

Premier entretien de la série "A voix nue" avec le réalisateur de documentaires Frederick Wiseman qui explique ses techniques de tournage et de montage dans le respect des gens filmés qui lui ont donné leur confiance. Il cherche à faire entrer les spectateurs dans un autre monde que le leur.
- Frederick Wiseman Cinéaste documentariste
Réalisateur, scénariste, producteur, monteur, preneur de son, et parfois même interprète, Frederick Wiseman a très tôt affirmé son ambition de cinéaste : dresser un portrait critique des États-Unis, dont le résultat serait « u_n seul et très long film qui durerait quatre-vingts heures_ ».
Les premiers documentaires de Frederick Wiseman, né à Boston en 1930 sont à l'intersection de sa brève carrière de professeur de droit et de son amour de jeunesse : le théâtre. Incisifs, Titicut Follies (1967), High School (1968) et Law and Order (1969) offrent une vision en coupe d'une institution américaine : ses bâtiments, sa hiérarchie, ses travailleurs et ses visiteurs. Mais les murs du palais de justice, de la prison, de l'hôpital, de l'école ou du zoo sont pour Wiseman " comme les lignes d'un cours de tennis " : elles lui permettent de capturer, dans un cadre donné, la vie humaine dans sa complexité.
Frederick Wiseman n'emploie ni voix off, ni entretiens, ni cartons explicatifs qui viendraient tirer la leçon de son observation : " Je ne suis pas un idéologue ", répond ce " marxiste, tendance Groucho " aux détracteurs qui voient dans son effacement devant la caméra une objectivité feinte.
Écartant un propos sociologique ou idéologique, Wiseman préfère faire surgir, dans la salle de montage, une véritable dramaturgie du réel que même le plus brillant des scénaristes n'aurait pu inventer.
Les entretiens ont été enregistrés en français à Paris, où Frederick Wiseman répétait la pièce de Beckett, Oh, les beaux jours, qu'il mettait en scène et interprétait au Vieux Colombier.
Il y évoque sa méthode de tournage aussi modeste qu'efficace et sa passion pour le montage, phase décisive de la production qui lui prend un an pour chaque film. Il revient sur les conditions rocambolesques de la censure imposée au pays du " First Amendment " à son tout premier film, Titicut Follies, tourné dans une prison psychiatrique aux pratiques archaïques. Il souligne ce que la critique laisse souvent de côté : son goût pour le burlesque du quotidien, jamais moqueur, et raconte son unique expérience de tournage en France, à la Comédie française.
Dans ce premier entretien, le cinéaste s'explique sur l'importance qu'il accorde aux paroles dans le montage de ses films et sur l’absence de voix off. Pendant le tournage, c'est d'ailleurs lui qui tient la perche et prend le son.
Le son et l'image sont également importants. Je fais le son parce que ça me donne plus de liberté en choisissant ce qu'on doit tourner. Particulièrement pendant le montage, je fais très attention aux choses qui sont dites. Quand on fait le montage des images et du son c'est une sorte d'écriture. Comme un écrivain doit faire attention aux mots qu'il choisit pour ses personnages, moi je n'invente pas les mots des personnages, mais je les sélectionne.
Il n'y a aucune narration dans mes films. J'essaye de faire le montage de la façon que tout ce que l'on voit s'explique. C'est très important pour moi. Le film est une réussite si les spectateurs peuvent entrer dans les événements et il doit y avoir assez de renseignements dans les conversations entre les gens, que l'on peut comprendre ce qui se passe.
Sur sa façon de tourner sans arrêter la caméra de peur de rater une séquence.
Pour moi le tournage, c'est le repérage. C'est pour cela que je tourne beaucoup, en général plus de cent heures.
La façon dont je monte est liée aux événements. J'ai tourné une séquence dans une usine où ils mettent les sardines dans leurs boîtes. J'ai eu cinq heures de rushes de ce travail, la séquence dans le film c'est onze minutes. Dans ces onze minutes, il y a 270 coupes et la force du montage est de donner un sens sur ce qui se passe dans l'usine, le travail des ouvriers, le bruit, le danger du travail, tout ce qui se passe pour eux dans une journée de travail, en onze minutes.
Par Charlotte Garson. Réalisation : Frank Lilin. Rediffusion de l'émission du 06/11/2006. Avec la collaboration de Claire Poinsignon et de Delphine Lemer.
Liens
Frederick Wiseman, sur Zipporah.com (en anglais).
Aux frontières du réel - Le très long film de Frederick Wiseman, un article de François Ekchajzer (Telerama.fr).
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