

Michel Virlogeux explique ce soir de quelles façons se conçoit un pont. Il commence par réagir à la lecture de quelques lignes du roman de Maylis de Kerangal dont le titre est aussi celui que nous avons choisi pour ce troisième entretien, Naissance d’un pont (Gallimard, 2010).
- Michel Virlogeux Polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, spécialiste mondialement reconnu de la conception des ponts.
« Fallait-il encombrer la Terre plutôt que le ciel ? Fallait-il démontrer sa force, opter pour un ouvrage puissant, une combinaison de pièces massives, lourdes, tel le pont de Maracaibo ? Fallait-il un ouvrage transparent, aérien, une construction où les structures concentrent la matière en peu d’éléments, une option de finesse tel le viaduc de Millau ? »
Selon Michel Virlogeux, ces lignes de Maylis de Kerangal présentent justement et clairement les questions que se posent le concepteur d’un pont et l’architecte avec lequel il travaille.
Mailys de Kerangal évoque le pont du lac Maracaibo. Je l'aime beaucoup ce pont, ce n'est pas un ouvrage qui est efficace structurellement. Il consomme beaucoup de matière, mais c'est un ouvrage extrêmement puissant qui montre très bien comment fonctionnent les efforts, par où passent les efforts.
Ma ligne, c'est bien celle de Maylis de Kerangal, c'est essayer de faire des ponts transparents, le viaduc de Millau comme elle le dit, c'est une volonté de transparence absolue, une option de finesse et d'élégance.
D’ailleurs, depuis quand un concepteur de pont travaille-t-il en duo avec un architecte ?
La collaboration entre un ingénieur et un architecte est récente et est obligatoire. Malheureusement, les architectes font un lobbying puissant, bien souvent on leur donne le leadership, ce qui est une catastrophe car si le pont s'écroule, ce n'est pas l'architecte qui va en taule, c'est l'ingénieur. Par conséquent c'est l'ingénieur qui doit commander.
Il est évident que vous ne pouvez pas ne pas écouter quelqu'un comme Lord Norman Foster mais Foster n'a jamais prétendu qu'il était le concepteur du viaduc de Millau, mais sans lui, il ne serait pas aussi beau.
Faut-il des piles dans la mer ou dans la rivière, ou faut-il les éviter car les bateaux rentrent trop souvent dedans accidentellement, et déstabilisent le pont ? Faut-il une structure épaisse ou fine ? En Bretagne, avec le granit environnant, l’épaisseur est permise.
"Chaque pont doit être adapté à son paysage"
Notre ingénieur dresse le portrait de deux célèbres architectes, Norman Foster et Renzo Piano, qui est aussi l’architecte du Centre Pompidou de Paris.
J'ai eu la chance de travailler avec deux très grands architectes : Lord Norman Foster avec du succès et avec Renzo Piano sans succès, ce qui est dommage parce que le pont était une petite merveille.
La naissance d’un pont nécessite des ingénieurs spécialistes du vent, du climat, des sols, etc., tant de données qu’un ingénieur des ponts et chaussées ne maîtrise pas parfaitement.
Michel Virlogeux établit une liste des ponts qu’il aime particulièrement : le pont du Golden Gate de San Francisco, et le pont du Maracaibo, au Venezuela, construit par l’architecte Ricardo Morandi en 1957. On doit aussi à Morandi le pont de Gênes.
Un pont est conçu pour tenir 100 ans, à condition d'être entretenu correctement.
Ce qui limite la durée de vie d'un pont à part les erreurs de conception ou les attentats ou les incendies, ce sont les soudures. Le point critique d'un pont métallique, c'est les soudures.
Liens
- L'esprit des ponts. Entretien avec Michel Virlogeux. Propos recueillis par Yvan Jablonka. La vie des idées.fr
- Conférence Structure et architecture dans les grands ouvrages d’art . Dialogue entre Michel Virlogeux et Jean-François Klein.
- Michel Virlogeux, il suffit de tracer le pont. Par Sibylle Vincendon. Libération, le 18 avril 2016.
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