Parfums et littérature : épisode 4/5 du podcast Serge Lutens, quand le noir montre sa couleur

Isabelle Weingarten, septembre 1968, in "Berlin à Paris" page 18, P. Nagel (Ed.Mondadori Electa)
Isabelle Weingarten, septembre 1968, in "Berlin à Paris" page 18, P. Nagel (Ed.Mondadori Electa) - Serge Lutens
Isabelle Weingarten, septembre 1968, in "Berlin à Paris" page 18, P. Nagel (Ed.Mondadori Electa) - Serge Lutens
Isabelle Weingarten, septembre 1968, in "Berlin à Paris" page 18, P. Nagel (Ed.Mondadori Electa) - Serge Lutens
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A ceux qui inlassablement lui demandent comment il choisit les essences qui entrent dans la composition de ses parfums, Serge Lutens répond que chaque parfum a une histoire et une histoire qui ne peut être uniquement olfactive, mais d'abord littéraire.

Avec

Depuis toujours, ce touche-à-tout « touché par tout » tente de reconstituer une image – originelle – qui, tour à tour, prend la forme d'une photographie, d'un parfum ou d'une construction littéraire.

Serge Lutens évoque les auteurs qui lui parlent et que par période il dévore ; mais aussi les mots dont il est l'auteur et qui accompagnent, sous la forme de textes inédits, la parution de chacune de ses nouvelles créations.

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Quand il nous fait partager la lecture de son texte Chypre Rouge, écrit en 2006 à l’occasion de la sortie de l’essence du même nom, l’auteur de parfums nous entraine dans le sous-bois – et son sous-texte – d’une étrange forêt : Gilles de Rai n’est pas loin ; les mousses de chênes déjà s’empourprent, et sur ce velours cramoisi, le sang s’apprête à couler !

Serge Lutens, Chypre Rouge, 2006

« Enfance, monde intense où parfois l’on se sent rétréci en petit, très petit... Une forêt en Vendée... je crois bien ? En cette fin d’automne, sur un épais tapis de feuilles, comme persane bigarrée, en oriflammes, arbres, mousses, bosquets, fourrés me donnèrent magiquement l’impression flottante de me trouver cellule minuscule, dans l’immense organisme vivant qu’est une forêt imaginaire : aortes, veines, vaisseaux, arbres ramifiés qui animeraient un être fantasmé dont je serais partie.
Le tournoi se termine, le sang a coulé sur les heaumes héraldiques. Les belles dames en robes de brocart, or, soie, damas, ont refermé leurs yeux et rejoint leurs palais de silence. L’hiver s’annonce dans son poignard d’acier que forme le glacier ; les sous-bois portent deuil, les grands arbres remués par le vent ressemblent à des seigneurs en armures rouillées, épuisés par la fin d’un combat. En regardant le sol couvert de feuilles mortes et jamais si vivantes, l’idée me venait que nous avions un cœur en deux parties composées. J’attardais mon regard sur la forêt ruinée qui me parut splendide au pied d’un arbre noir où montait un bosquet. En chausses de lisière, une mousse gonflée déclinait ses orgueils pourpres du rouge au cramoisi ; avait-elle saigné ? Apparat religieux, la fine lumière d’une proche clairière éclairait en mystère le faste et la mort. Ne niez pas, un jour vous avouerez. Dans ce donjon sans porte nous cherchons la sortie, la lueur en filet ne vient-elle pas par celle qu’on a nommée – elle n’y peut rien ma foi – meurtrière ! Nid d’aigle, pierres précieuses, armoiries, étendards, de quoi sommes-nous faits ? Éternité, limpidité, fraîcheur, beauté, douceur du velours, continent d’un secret dont nous serions le corps en ténèbres dorées, mousses d’aromates, vermeil orfrasé, baiser d’enfants de chœur sur la bague glacée au doigt d’un archevêque. Douceur et profondeur, secret en senteurs où, si l’on pose sa joue, l'on ne fait que des rêves. »

Couverture de Berlin à Paris, Cathy Gallagher, septembre 1999
Couverture de Berlin à Paris, Cathy Gallagher, septembre 1999
- Editions Mondadori Electa

Extrait de Jean Genet, Entretiens avec Antoine Bourseiller, 1981

« J’ai su très vite, dès l’âge de quatorze, quinze ans à peu près, que je ne pourrais être que vagabond ou voleur, un mauvais voleur, bien sûr, mais enfin voleur. Ma seule réussite dans le monde social était, aurait pu être de cet ordre, si vous voulez : contrôleur d’autobus ou peut-être aide-boucher, ou quelque chose comme ça. Et comme cette sorte de réussite me faisait horreur, je crois que je me suis entraîné très jeune à avoir des émotions telles qu’elles ne pourraient me mener que vers l’écriture. Si écrire veut dire éprouver des émotions ou des sentiments si forts que toute votre vie sera dessinée par eux, s’ils sont si forts que seule leur description, leur évocation ou leur analyse pourra réellement vous en rendre compte, alors oui, c’est au bagne d’enfants de Mettray, et à quinze ans, que j’ai commencé d’écrire. Ecrire, c’est peut-être ce qui vous reste quand on est chassé du domaine de la parole donnée. »

Générique

Une série d'entretiens proposée par Philippe Bresson. Réalisation : Lionel Quantin. Prise de son : Thomas Robine. Attachée de production : Claire Poinsignon et Daphné Abgrall. Coordination : Sandrine Treiner.