Se sauver grâce au cinéma : épisode 4/5 du podcast Rithy Panh

Rithy Panh
Rithy Panh ©Getty - Gregor Fischer/Picture Alliance
Rithy Panh ©Getty - Gregor Fischer/Picture Alliance
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Après trois années d'errance dans la jungle cambodgienne, confronté seul à l'horreur des charniers du génocide khmer, Rithy Panh arrive en 1979 à Grenoble où il retrouve deux de ses frères. Dans ce quatrième entretien, le cinéaste confie à Christophe Bataille ses souvenirs de cette arrivée en France

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A son arrivée en France en 1979, Rithy Panh a 16 ans. A Grenoble, il retrouve une partie de sa famille qui a pu fuir le Cambodge avant lui. Envoyé en apprentissage pour passer un CAP de menuiserie, l'adolescent, qui a passé les trois dernières années à survivre seul sous la dictature khmère, éprouve des difficultés à redémarrer cette nouvelle vie. Retrouver les petits gestes de la vie de la vie quotidienne, apprendre à se comporter de nouveau avec les autres, et même le fait de parler, de s'exprimer dans sa langue, tout lui est une épreuve.

Qu’est-ce que je faisais en France ? Comment redémarrer ? Je n’arrivais plus à parler le cambodgien, la langue de mes parents, tandis que la langue forgée par les Khmers rouges continuait de résonner encore. Et je ne savais pas encore parler le français. Cela a duré assez longtemps. Peut-être fallait-il passer par ce silence, par ce moment de reconstruction...

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L'impossible récit de l'horreur

Mais c'est surtout l'incapacité à raconter à ses frères et à ses proches ce qu'il a vécu depuis ce tragique mois d'avril 1975, notamment la mort de leur père, qui marquera cette année 1979 :

Je n'arrivais pas à raconter, j’avais peur de les accabler, je ne voulais que personne ne se sente coupable. S’ils étaient restés au pays, ils seraient morts dans le camp S21. J’étais content qu’ils aient pu se sauver. La seule chose que j'ai pu faire en matière de témoignage à l'époque, c'est d'écrire une lettre à Kurt Waldheim, alors secrétaire général de l’ONU pour lui demander des comptes sur le silence de la communauté internationale vis-à-vis du génocide. Pendant ces quatre années au Cambodge, je scrutais le ciel, mais il n’y avait jamais un seul avion, jamais un seul signe. 

De Jackson Pollock au premier film Super-8

Délaissant sa formation de menuiserie, Rithy Panh, bouleversé par les autres conflits qui secoue le monde, par le massacre du camp de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila en 1982, se met à peindre avec l'urgence d'exprimer une rage face à la violence du monde :

J'ai découvert Jackson Pollock avant même de savoir lire le français. Je peignais beaucoup, je me défoulais comme ça, je pouvais rester dix heures devant une toile, c’était un coupe-faim, Un jour on m’a donné une bobine de Super-8 pour réaliser un petit film pour une campagne caritative pour la Croix-Rouge. C'est le seul film drôle de ma vie, c'était un peu comme un film de Charlot. A ce moment-là, je me suis souvenu que après que ma mère ait refusé d’aller enterrer mon père, elle ne cessait de raconter la cérémonie de ces funérailles telle qu'elle se serait déroulée s’il n’y avait pas eu les khmers rouges. Elle imaginait le cortège avec tous ses anciens élèves, les instituteurs qu'il avait formés à l'institut pédagogique, etc. Ce souvenir est très fort pour moi. Quand on ne peut plus rien faire, il y a toujours l’imagination pour dire le refus de l’innommable, le refus de la barbarie.

  • Lectures : Charlotte Rampling
  • Réalisation Angélique Tibau
  • Prise de son : Frédéric Cayrou et Philippe Etienne
  • Avec la collaboration de Claire Poinsignon

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