

L'auteur prolifique achève avec ce sixième volume sa série à succès, une grande œuvre sur l'enfance.
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Aujourd'hui, le sixième et dernier tome de la série L'Arabe du futur de Riad Sattouf, Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-2011) qui paraitra le 24 novembre aux éditions Allary :
C’est une grande œuvre qui s’achève et je pèse mes mots, je tiens cette série de Riad Sattouf pour un des grands récits d’enfance qui ont été écrits ces derniers temps, toutes disciplines confondues.
Riad Sattouf est un auteur de BD très prolifique, qui tient en même temps plusieurs séries : Les Cahiers d’Esther, son autre grand succès du moment, Le jeune acteur, sur le comédien Vincent Lacoste qu’il a révélé dans son film Les Beaux gosses, et puis donc L’Arabe du futur, dans laquelle il raconte à la première personne son enfance avec des parents dans une relation compliquée. Sa mère est française, son père est syrien, il vit pendant plusieurs années en Syrie, fait quelques allers-et-retours entre des vies très différentes en Bretagne où il a ses grands-parents, et dans la région de Homs, où il vit sous la coupe d’un père autoritaire aux idées très arrêtées sur son futur d’homme arabe.
A l’orée du tome 6 la crise familiale est aigûe. Riad finit le lycée, il vit avec un de ses frères et sa mère à Rennes. Ses grands-parents vieillissent, il n’a pas vu son père depuis des années qui vit avec son autre frère en Syrie. Mais ce père est omniprésent dans sa tête, influence et bloque relations et décisions alors qu’il doit choisir des études, un métier, bref, une vie d’adulte.
La série a parvenu tout du long à saisir très justement l’évolution du personnage. Quand il était tout petit, l’étrangeté de sa vie familiale passait par des objets, des paysages, des inquiétudes d’enfant - un cartable en plastique, des mots de sa grand-mère syrienne, des fissures aux murs d’une maison. Désormais, Riad est adulte, et ce qu’il comprend de sa vie prend une forme différente. C’est en ça, déjà, que cette BD est une grande œuvre sur l’enfance : elle nous donne à voir et lire du temps sensible, rendu sensible par la singularité du souvenir. Dans le sixième tome, la grande affaire du protagoniste, c’est son devenir de dessinateur, ses études aux Beaux-Arts, puis aux Gobelins, ses rencontres avec des auteurs connus, mais c’est aussi la culpabilité, notamment vis à vis d’une mère qui lui reproche sans cesse son inaction. De ce point de vue, le récit n’a jamais été aussi dur, il met en scène par exemple Riad dans sa petite chambre d’étudiant qui fait des cauchemars terribles, dans lesquels il a l’impression d’être écrasé par une grosse masse noire et visité par une petite fille morte éplorée.

Le devenir psychanalytique
Un des évènements majeurs de ce nouvel opus, c’est la décision que prend Riad d’aller consulter une psychothérapeute. C’est comme un aboutissement, comme si l’Arabe du futur embrassait sa condition théorique, en dessinant son personnage dans un cabinet de psy, racontant son père, racontant des rêves qui se trouvent donc dessinés en grand sur des demi-pages très belles. Cette perspective psychanalytique, toujours abordée aussi par un biais comique - jamais d'esprit de sérieux chez Sattouf - éclaire en retour tous les tomes précédents, et notamment l’utilisation des couleurs. L’Arabe du futur fonctionne selon un code de couleurs simples, qui différencie la Syrie et la France, par exemple, dans les premiers albums. Ce dernier opus est presqu’entièrement bleu, à l’exception de certaines cases et bulles qui sont rouges : ce sont d’abord ces petites bulles réservées au père, absent mais omniprésent dans la tête du protagoniste - une petite tête qui commente tout comme un petit diable sur l’épaule avec un accent arabe (Sattouf est le spécialiste des accents écrits). Ce ne sont pas les seuls détails rouges, on se rend compte que dès que le personnage est en colère, en conflit avec sa mère, agressé dans la rue (ce qui lui arrive tout le temps), c’est aussi rouge. Or il se trouve que la psy, dans son contexte bleu, a une chevelure rouge. Avec elle, bleu et rouge se concilient sur la page. C’est simple, mais c’est très beau et très fort. Finalement, et non sans amertume, ce dernier tome est celui d’une réconciliation spectaculaire avec soi, qui se fait à la fois avec la BD - puisque c’est le moment où Riad commence à écrire et à être publié -, et dans la BD.
Lucile Commeaux
- le tome 6 de L'Arabe du futur de Riad Sattouf paraitra le 24 novembre aux éditions Allary
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