

Affaire Critique, c'est chaque jour, un objet culturel passé au crible d’une critique libre et assumée.
Aujourd’hui, Lucile Commeaux nous parle de “Dans la réserve”, le troisième roman d’Hélène Zimmer publié chez POL.
La réserve en question c’est la "Wild French Réserve", un espace en voie d’être semi-privatisé dans un Parc national du Sud de la France - un lieu où réintroduire des espèces en voie de disparition et des forêts primaires, un lieu autour duquel tournent les protagonistes de cette histoire, dans un roman bizarre, qui a l’air d’être un récit choral, qui a l’air d’être une fable politique, qui a l’air d’être une chronique réaliste, mais qui n’est finalement rien de tout ça, et c’est assez réjouissant.
Le premier de ces personnages c’est Arnaud, quand on le rencontre il vient d’acquérir, avec l'argent qu’il a gagné comme saisonnier, un terrain en bord de départementale, sur lequel il gare son camion, plante de quoi manger, pisse tous les matins sur un poteau pas loin, jusqu’à ce que le Maire poussé par l'exploitant agricole du coin ne l’informe de son expulsion imminente. Non loin on croise Nassim et Solveig, un couple de journaliste et photographe militants, qui se rendent sur le chantier de la réserve pour documenter la construction du mur et les manifestations qui s’y opposent. Et puis il y a Eva-Lou, elle a vingt ans, et devient “éco-sentinelle” dans la réserve, chargée de traquer les bêtes à moins que ce ne soient les manifestants. Ces protagonistes n’ont pas les mêmes vies, mais convergent tous vers cette fameuse réserve qui reste un lieu relativement abstrait, une espèce de topos littéraire bien davantage qu’un espace documenté. C’est drôle parce qu’il y a quelque chose de très reconnaissable d’abord dans la manière dont le récit se met en place, qui dispose les éléments bien connus d’une espèce de ZAD, d’un combat idéologique entre l’Etat et l’écologie radicale, mais aussi d’autres motifs ultra contemporains tenant en particulier à la représentation des rapports de genre, dans le couple que forme Nassim et Solveig par exemple - elle veut un enfant toute seule -, ou la relation que la jeune Eva-lou entretient avec les hommes, notamment au sein de cette armée privée où son habileté au tir fait des jaloux. Tout ça pourrait constituer une espèce de paquet de clichés avec une vague ambition dystopique, mais le récit est beaucoup plus bizarre que ça.
Cœur battant
Cela tient d’abord à la construction du récit, qui commence et termine précisément avec Arnaud, ce personnage de solitaire nomade, qui n’est d’aucun temps et d’aucun lieu, et dont l’archaïsme quasi mythologique subvertit en permanence le potentiel modeux et opportuniste du livre. De fait le roman est faussement choral, les personnages ne sont pas des équivalents entre lesquels la narration circule, ils se nourrissent et s’engendrent les uns les autres. De ce point de vue l’arrivée assez tardive d’Eva-Lou dans l’économie du récit est intéressante, c’est vraiment elle le coeur battant du livre, (le coeur c’est un mot important, à la fois employé par les autorités pour décrire la réserve - “coeur du parc” -, et aussi une préoccupation permanente d’Arnaud, sans cesse en quête de sa propre pulsation). Au cœur du livre, Eva-Lou est hyper incarnée, elle existe très fort dans sa singularité propre.
Cette incarnation elle trouve ses moyens dans un style très riche, qui recherche sans cesse la précision de l’impression ou de la sensation. Les scènes de sexe sont nombreuses, on sent qu’elles sont pour l’écrivaine un lieu fort de la détermination des individus. Ce qui importe au cœur de l’écriture c’est le corps, avec ses fluides, ses désirs, ses dégoûts, sa culture. Nassim par exemple, est d’emblée défini comme un homme qui vomit en voiture, et ce n’est pas un détail, sa nausée récurrente détermine une manière d’être au monde. Arnaud lui doit faire avec des érections impromptues qui le gênent dans sa solitude. Dans cette économie hyper charnelle, qui logiquement s’épanouit dans des dénouements amoureux assez jouissifs, la fable politique sur les hommes et le vivant trouve finalement, par détours, une vigueur particulière. - Transcription de la chronique radio de Lucile Commeaux -
- Plus d'informations : “Dans la réserve” d'Hélène Zimmer (POL)
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Collaboration