

Qu'est-ce que la bonté ? Au micro de Marie Sorbier, la philosophe Barbara Cassin explore ce concept, entre philosophie antique et les expériences personnelles qu'elle relate dans son autobiographie parue à l'automne 2020.
- Barbara Cassin Philosophe, philologue, académicienne et directrice de recherche au CNRS
Deux pièces de théâtre ont choisi récemment de travailler autour de la notion de bonté : Tiphaine Raffier explore dans son spectacle La réponse des hommes, via l'Évangile de saint Matthieu, les différents sens et conséquences de la miséricorde, tandis que Dorian Rossel parie dans Madone, à partir d'une nouvelle de Vassili Grossmann, sur la subversivité de la bonté. Barbara Cassin, philosophe, helléniste et académicienne, évoque également la bonté dans son autobiographie philosophique Le bonheur, sa dent douce à la mort (Fayard, 2020). Elle revient sur ces réflexions au micro de Marie Sorbier.
Kalos kagathos
Selon Barbara Cassin, il y a une tension entre deux définitions possibles de la bonté : la définition grecque et la définition chrétienne. Une dualité de sens contenue dans le syntagme en grec ancien kalos kagathos, un mot-valise qui se traduit par l'expression "bel et bon". La conception du bon chez les philosophes de la Grèce antique correspond à ce qui est valeureux, héroïque. Une définition que l'on retrouve autant chez Nietzsche et son concept du surhomme, que dans la notion de virtus, en latin, qui signifie non seulement le courage, mais la capacité à remplir son être. De la même façon pour Aristote la vertu de l'oeil, par exemple, est de bien voir, la virtus de l'être humain est d'être lui-même pleinement, de fonctionner au mieux de ses capacités, explique Barbara Cassin.
Dans l'expression kalos kagathos, il y a l'idée que le dehors correspond au dedans. Il y a un rapport entre le fait d'être beau (kalos) et le fait d'être bon (agathos).
Barbara Cassin
La bonté comme bienveillance
Bien que marquée par sa connaissance de la philosophie hellénique, Barbara Cassin dit devoir une autre vision de la bonté, héritée de la philosophie chrétienne, à son mari, qui fait partie des sujets explorés dans son autobiographie.
La bonté au sens chrétien, ça m'est beaucoup plus étranger, et c'est ce dont je parle dans mon livre, en parlant de mon mari disparu. Nous nous sommes choisis parce qu'il m'a fait connaître la bonté comme une bienveillance, du crédit accordé à l'autre. Je n'accorde pas beaucoup de crédit jusqu'à preuve du contraire, ou plutôt, je crois que les gens sont bien jusqu'à ce qu'ils soient prouvés moches. Lui, il croyait que les gens étaient bien, c'est tout.
Barbara Cassin
La bonté au sens chrétien, c'est une vertu qui n'est pas mienne, qui m'étonne et que j'admire, dont j'aurais bien aimé qu'elle fut tout simplement mienne. Barbara Cassin
La bonté comme subversion ?
La vraie force de la bonté, c'est qu'on ne compte pas. On ne tient pas un registre. C'est pour ça qu'elle ne se confond pas avec la charité, qui devrait être sans fin et sans fond, mais qui ne peut pas. Avec la bonté, on peut toujours dire : "encore". C'est ce qui définit que l'autre est famille, si étranger soit-il.
Barbara Cassin
Malgré tout, la philosophe ne peut se résoudre à cantonner la bonté à une attitude, à une valeur ou à une morale, justement parce qu'à ses yeux, l'essence de ce concept est de se définir et de s'appliquer hors de toute contrainte ou condition.
J'ai très peur des grands mots. J'ai très peur des majuscules. Je ne supporterais pas la bonté avec un grand B. Et avoir "des bontés" pour quelqu'un, on en rigole. La bonté est un mot qui me ferait plutôt peur, mais plus il me fait peur, plus il me semble qu'il peut porter aujourd'hui une charge subversive dans la mesure où ça n'est plus du tout fréquent d'être bon.
Barbara Cassin
Pour aller plus loin :
- Le 24 décembre 2020 à 22h15, l'émission de France Culture Par les temps qui courent rediffusera un entretien au long cours entre la philosophe Barbara Cassin et Marie Richeux.
- Retrouvez ici la tribune au Monde de Barbara Cassin et son fils, l’anthropologue Victor Legendre, qui proposent que "l’école du déconfinement soit une école de la découverte, dans le strict respect des règles sanitaires, des lieux de culture et des espaces de liberté, aujourd’hui fermés".
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