

Depuis la cérémonie d'investiture de Joe Biden, impossible de ne pas voir le mème de Bernie Sanders, l'ancien candidat démocrate, circuler sur tous nos écrans. Explication de ce phénomène numérique avec le professeur en humanités numériques Frédéric Kaplan.
- Frédéric Kaplan Professeur, directeur du Collège des humanités digitales de l’École polytechnique de Lausanne, président de la Time Machine Organisation
Depuis la cérémonie d'investiture du 46e président des Etats-Unis Joe Biden, le 20 janvier, il est partout : Bernie Sanders, l'ancien candidat démocrate, assis, bras et jambes croisés, les mains parées de moufles tricotées, tel que photographié par un journaliste de l'AFP est devenu une image virale, notamment sous la forme de mème. Pour comprendre ce phénomène, Frédéric Kaplan, professeur en humanités numériques à l'École polytechnique de Lausanne, est au micro de Marie Sorbier.
Un système d'images
La propagation d'un mème commence par la diffusion sur Internet d'une image ou d'une vidéo que les internautes trouvent intéressantes. C'est par la viralité de cette diffusion que le contenu prend de l'ampleur.
Le contenu viral devient un mème quand il devient un système d'image. Quand un aspect créatif rentre en jeu.
Frédéric Kaplan
A titre d'exemple, le professeur en humanités numériques cite le clip musical de Gangnam Style du Sud-Coréen Psy, qui fut une des premières vidéos à atteindre le milliard de vues sur YouTube. C'est dès lors que des internautes opèrent un détournement de cette vidéo, imitant par exemple la chorégraphie chez eux, que le contenu viral devient un mème.
Les deux phénomènes se renforcent souvent. Le passage au mème, à un système d'image, change la dynamique et donne une autre ampleur.
Frédéric Kaplan
Dans le cas de la photographie de Bernie Sanders, c'est le fait qu'elle soit devenue un mème qui lui a donné de la visibilité. Comment savoir d'une image qu'elle a le potentiel de devenir un mème viral ? En se rapportant à l'histoire des mèmes sur Internet, quelques indices apparaissent. Par exemple, Bernie Sanders avait déjà été l'objet de nombreux mèmes, au point où l'équipe de communication de sa campagne aux présidentielles américaines en avait fait l'usage. De plus, note Frédéric Kaplan, le mème présente une grande ressemblance avec un autre qui fut tout aussi viral en 2020 : le Sad Keanu. Ce dernier détourne une photographie de l'acteur américain Keanu Reeves en le plaçant par des montages dans toutes sortes de situations. La même logique de détournement s'applique à la photographie de Bernie Sanders.
On est face à un motif mèmetique : un potentiel déjà avéré et qui, s'il est inconscient pour certains, est clairement connu pour beaucoup d'internautes qui lancent ces dynamiques.
Frédéric Kaplan
Un vocabulaire à part entière
Les mèmes s'imposent comme références justement parce que leur principe est d'être utilisés, créés et partagés au maximum.
Les mèmes créent un vocabulaire croissant d'année en année, un contenu sémiotique complexe et compréhensible par certaines communautés.
Frédéric Kaplan
Pour comprendre le potentiel mèmetique d'une image, précise Frédéric Kaplan, il faut se pencher sur les détails. Dans le cas de Bernie Sanders, il y a l'attitude, la posture, mais aussi et surtout les moufles. Leur saillance visuelle, l'effet de contraste qu'elles produisent, ont un potentiel visuel et iconique immédiat.
Collectivement, ces moufles sont maintenant associées à Bernie Sanders. Elles donnent lieu à leur propre branche mèmetique, qui est particulièrement forte car elle réussit à résumer quelque chose de relativement complexe en un seul objet iconique.
Frédéric Kaplan
Viralité : comment, pourquoi ?
Pour le professeur en humanités numériques, un des facteurs de la propagation massive de ce mème est l'ambiguïté de l'image d'origine. C'est le fait qu'elle n'est pas comprise de la même manière par l'ensemble des internautes qui participe à sa viralité. Chaque créateur de mème veut participer dans cette joute créative, où la communauté rejette immédiatement toute forme de copie, précise Frédéric Kaplan.
Outre la joute créative, c'est l'instrumentalisation du phénomène qui participe à élargir encore plus sa diffusion. Des commerçants représentant Bernie Sanders devant leur magasin à une nouvelle fonctionnalité de Google Street View qui permet de placer le sénateur démocrate dans n'importe quel environnement, plus il devient facile de réaliser ces montages, moins ils ont de valeur. Le pic, selon Frédéric Kaplan, se situe au 23 janvier, lorsque le premier ministre canadien Justin Trudeau a utilisé ce mème lors d'une conférence de presse. Depuis, le mème de Bernie Sanders est de moins en moins présent sur Internet.
Ce qui caractérise le plus un mème et la diffusion phénoménale dont il peut être l'objet, explique Frédéric Kaplan, c'est son ambivalence.
Même si la plupart des internautes propagent cette image parce qu'ils la trouvent drôle, on ne peut pas totalement expliquer cette propagation. Il s'agit d'une communication uniquement par image. Mais quels que soient les actes et intentions communicatifs de chaque propagation, ils participent tous à la même dynamique visuelle.
Frédéric Kaplan
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