Prenant exemple sur des projets menés en tant que directeur du Théâtre de l'Agora, à Evry-Courcouronnes, Christophe Blandin-Estournet nous explique comment une institution culturelle, en impliquant son public dans sa programmation, est plus à même de s'adapter à tout type de circonstances.
- Christophe Blandin-Estournet Directeur du théâtre de l'Agora, scène nationale d'Evry et de l'Essonne
Dans cette période de nouveau confinement, la relation du public à ses lieux culturels et à leur programmation subit inévitablement des transformations. Le directeur de théâtre Christophe Blandin-Estournet partage avec nous son expertise et les apports d'initiatives sollicitant à la fois les résidents d'un territoire et ses acteurs culturels. Ou comment l'institution culturelle peut faire passer le public du simple spectateur riverain, au citoyen impliqué dans la programmation culturelle. Reste à savoir dans quelle mesure cette approche participative est limitée par les conséquences des confinements successifs.
Des projets qui se développent non seulement dans un contexte, mais avec lui
Christophe Blandin-Estournet, directeur du théâtre de l'Agora (scène nationale d'Evry et de l'Essonne) développe depuis 2012 ce qu'il appelle un " projet situé". Le théâtre de l'Agora, à Evry-Courcouronnes et le Centre culturel Robert-Desnos, à Ris-Orangis, forment les points d'ancrage de cette initiative qui inclut la communauté d'agglomération du Grand Paris sud et un département où le périurbain, le rural et la ville cohabitent. Ce projet implique ses habitants dans toute leur diversité, géographique comme sociale, et préfère à la seule diffusion de spectacles (danse, musique, théâtre, cirque) le partenariat, la co-création, l'échange avec l'ensemble des énergies locales.
Qu'est ce qu'un projet "situé" ? Quelles actions y sont développées ?
Un projet situé est un projet qui existe et se développe avec et dans un contexte. Il s'adresse aux territoires, mais est aussi disponible à ce que dit le territoire. Christophe Blandin-Estournet
Concrètement, nous dit le directeur du théâtre de l'Agora, il s'agit d'un projet qui tient compte des caractéristiques de territoires comme l'Essonne, Evry-Courcouronnes, Ris-Orangis, où la population est très jeune (avec une moyenne d'âge de 26 ans), d'une grande diversité ethnique et culturelle, et où le niveau de précarité économique très élevé. Une programmation spéciale pour le jeune public, d'un tarif plein à prix fixe, mais aussi de rester vigilant à la représentation des diversités, dans la salle, sur scène et au sein des équipes, ce sont tant de mesures qui définissent les projets artistiques en relation au territoire où ils se développent.
C'est non seulement poser un projet artistique et culturel qui s'adresse à un territoire, mais aussi être en permanence à l'écoute de ce qu'est ce territoire, afin de s'y adapter et de nouer une relation. En réalité, notre travail est celui d'un agent de liaison : faire le lien entre des habitants, des artistes et des oeuvres. Ca ne peut se faire uniquement sur une adresse. Il faut qu'il y ait l'adresse, mais aussi la réception de la parole, de la pensée et du contexte de l'autre.
Christophe Blandin-Estournet
Parmi ces projets, Christophe Blandin-Estournet a initié Tous programmateurs, dont l'objectif est de confier une parte de la programmation culturelle à des résidents du territoire.
Les vrais résidents d'Evry, ce sont les jeunes, car ce sont eux qui restent 24 heures sur 24 sur le territoire. Tous programmateurs consiste à proposer à des jeunes, entre 9 et 13 ans, issus de centres sociaux ou de maisons de quartiers, d'aller repérer plusieurs spectacles.
Christophe Blandin-Estournet
La première étape de ce processus consiste à amener ces jeunes résidents au théâtre de l'Agora, où leur sont expliquées les différentes fonctions et responsabilités propres à la vie du lieu culturel. C'est une fois cette présentation effectuée que les jeunes résidents sont envoyés en repérage de spectacles, parmi une sélection effectuée par le théâtre de l'Agora en collaboration avec les travailleurs sociaux présents sur le territoire. A l'issue de ce repérage, ils font le choix d'une proposition artistique qu'ils souhaitent voir accueillie au cours de la saison.
La seule consigne que je leur donne, c'est d'éviter de dire "j'aime" ou "j'aime pas", car une fois qu'on a dit ça, on a un peu tout dit et rien dit. Ils argumentent donc entre eux et se mettent d'accord sur ce qu'ils pensent important de faire voir à leur entourage. Ca produit des comportements assez ordinaires dans la programmation. Par exemple, ils allaient directement voir un responsable pour négocier avec lui quant à la programmation.
Christophe Blandin-Estournet
Selon Christophe Blandin-Estournet, ce processus illustre les travaux de la chercheuse Marie-Christine Bordeaux au sujet des conseils de quartier.
Soit on convie les gens en tant que riverains, et alors ils vont se plaindre des crottes de chien en bas de chez eux. Soit on les convie comme citoyens, et alors on pourra parler de la politique alimentaire des cantines ou de moyens de transport durables. Tout le pari est de placer les jeunes en situation de citoyen plutôt que de riverain. De les mettre dans cet endroit de responsabilité, au lieu de simplement les placer au rang d'audimat.
Christophe Blandin-Estournet
Déplacer le curseur de la programmation, souvent considérée comme un endroit sacré et privilégié de la direction de la scène nationale, cela génère des effets intéressants sur le territoire. Nous mettons les jeunes en situation de responsabilité et d'émancipation. S'ils deviennent spectateurs, c'est très bien, mais le projet n'a pas vocation à en faire obligatoirement des spectateurs à l'avenir. Christophe Blandin-Estournet
Le projet situé, remède anti-Covid pour la culture ?
Des initiatives participatives locales comme les projets situés du théâtre de l'Agora et du Centre culturel Robert-Desnos peuvent-elles former un moyen de préserver la programmation d'un lieu culturel public malgré les effets de deux confinements successifs ?
La manière dont on aborde le projet depuis huit ans fait que nous avons tranquillement adapté notre programmation et nos activités lors des deux confinements. On a fait le choix de continuer autant que possible. Suite au dernier confinement, on a immédiatement organisé une programmation d'été. Quant au confinement actuel, on essaye d'imaginer quelque chose avec les artistes qui étaient prévus pour cette période : des captations audio, des temps de rencontre en visioconférence, maintien des résidences d'artistes.
Christophe Blandin-Estournet
Cette configuration ne nous a pas totalement déstabilisés, car la disponibilité et la réactivité font partie de l'ADN de la maison. Les projets culturels situés supposent de s'adapter en permanence. De manière infime ou abyssale, d'être toujours en capacité de se mouvoir.
Christophe Blandin-Estournet
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