"Comment est-ce possible à notre époque qu'on ne puisse pas montrer un sein ?"

Les masques d'ORLAN arrivent !
Les masques d'ORLAN arrivent ! - ORLAN
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Les masques d'ORLAN arrivent ! - ORLAN
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ORLAN est l'invitée d'Affaire en cours, à l'occasion de la journée thématique "Que faisons-nous du débat public ?" sur France Culture. L'artiste plasticienne, qui fait de son propre corps une œuvre de performance artistique, le définit comme un lieu où peut se déployer le débat public.

Avec
  • ORLAN Artiste plasticienne transmédia et féministe française

Vendredi 16 octobre, France Culture propose une programmation spécialisée autour de la question : "Que faisons-nous du débat public ? Réseaux sociaux, culture, médias". Pour y répondre, Affaire en cours donne la parole à ORLAN, artiste plasticienne connue notamment pour avoir utilisé son corps comme objet et sujet de performances artistiques au moyen d'opérations de chirurgie esthétique. 

Aujourd'hui en France, un artiste peut-il s'exprimer librement ?

Théoriquement, oui. Mais il y a une pression énorme des censures algorithmiques, qu'elles soient de Facebook ou d'Instagram.                            
ORLAN

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Toute une partie des œuvres d'ORLAN où l'artiste montre son corps nu ont ainsi dû être adaptées pour éviter la censure sur les réseaux sociaux. 

J'ai dû mettre au bout de mes seins des petits crânes, qui sont mes propres crânes réalisés à partir de mes scans médicaux, pour les couvrir. C'est une situation hallucinante. C'est comme si on reculottait la chapelle Sixtine et les œuvres de Michel-Ange. Comment est-ce possible à notre époque qu'on ne puisse pas montrer un sein ? C'est non seulement étrange, mais c'est souvent sous le couvert de la pression des religions. Mais si on croit que Dieu a fait l'humain à son image, c'est forcément un chef d'œuvre, et un chef d'œuvre que l'on doit montrer. Ces aberrations qui nous entourent produisent aussi beaucoup d'autocensure.                      
ORLAN

L'œuvre d'ORLAN interroge le statut du corps dans la société face aux pressions culturelles, traditionnelles, politiques et religieuses. 

J'enrage d'être obligée d'opérer par détournement ou par dérèglement à mon époque.                            
ORLAN

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"Que mon corps devienne un lieu de débat public"

Si on me décrit sans me voir, comme à la radio, en disant que je suis une femme avec deux bosses sur les tempes, on va penser que je suis monstrueuse et indésirable. Si on me voit, c'est tout à fait différent : ces bosses sont devenues des organes de séduction. Ces bosses, c'est ma décapotable.                        
ORLAN

ORLAN s'est servie de la chirurgie esthétique, non pas contre cette pratique elle-même, mais contre ce qu'on en fait. Ainsi, elle opère un déplacement en faisant poser sur ses tempes des implants habituellement utilisés pour rehausser les pommettes. 

Ce petit déplacement ou dérèglement a fait couler beaucoup d'encre. C'est là où le débat public existe, car je n'ai pas choisi de me faire une opération chirurgicale à un endroit couvert par les vêtements, mais sur mon visage, ma carte de visite que tout le monde voit.                        
ORLAN

À réécouter : Orlan
Hors-champs

Le devoir de l'artiste est-il de prendre part au débat public ?

Je pense que nous avons déjà les rideaux, les meubles et les napperons pour décorer nos appartements. L'art qui m'intéresse, c'est vraiment celui qui interroge notre société. J'essaye de dire des choses importantes quant aux phénomènes de société et ensuite de trouver la bonne matérialité. Ca peut passer par le corps comme par beaucoup d'autres choses.                        
ORLAN

ORLAN est aussi photographe, sculptrice, son art s'avère multiple, s'exprimant sur de nombreux et différents supports.

Je ne suis absolument pas assujettie à une technique ou à un matériau. Ce qui compte pour moi est d'interroger mon époque avec une distance critique et de l'interroger de toutes les manières possibles.                        
ORLAN

Ce qui importe à ORLAN, c'est donc le concept, la démarche et l'interrogation qui forment la colonne vertébrale de ses œuvres. C'est autour de ce squelette qu'elle appose ensuite de la "chair", en recherchant la matérialité adéquate, des biotechnologies à l'imprimerie 3D en passant par la chirurgie esthétique et la culture de ses propres cellules et microbiote. 

ORLAN en majuscules, hors des rangs

Je ne suis effectivement pas quelqu'un qui parle mièvrement. Je parle haut et fort et je veux que ma parole soit entendue. C'est vraiment important pour moi d'écrire mon nom en majuscules, parce que je ne veux pas qu'on me fasse rentrer dans les rangs. C'est amusant parce, par exemple, Wikipédia dit "Orlan s'écrit en majuscules" mais ils l'écrivent quand même en minuscules. Tant de petits détails qui entraînent des réactions en chaîne difficiles à tenir et à dépasser. Dès qu'on fait un pas de côté, on essaye de nous faire entrer dans les rangs.                        
ORLAN

"La beauté est une question d'idéologie dominante"

Je voudrais dire que la beauté est une question de l'idéologie dominante. Ici et maintenant, on nos impose des modèles qu'il faut absolument tenir. Par exemple, dans mes Self-hybridation africaines, j'ai travaillé à partir de photos ethnographiques où apparaît une femme noire avec un énorme labret (ornement labial sous forme de disque plat) qui a l'air très heureuse de sa séduction. Dans sa tribu, à cette époque, dans l'histoire de sa tribu, celle qui avait le plus grand labret faisait bander les mecs. Et donc tout allait bien pour elle. Alors que si nous avions des labrets aujourd'hui, tout le monde se détournerait de nous.                        
ORLAN

L'artiste ORLAN se produira au festival Philosophia à Saint-Emilion les 24 et 25 octobre, et son travail pour l'exposition collective "Real Utopias" à Manifesta 13 à Marseille est visible jusqu'au 30 novembre 2020.

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