"Désigner l'opéra comme élitiste, c'est un discours d'opposition dans lequel on ne se reconnaîtra jamais"

Le dépôt de costumes de l'Opéra de Lyon, photographié en avril 2019.
Le dépôt de costumes de l'Opéra de Lyon, photographié en avril 2019. ©Maxppp - Stéphane GUIOCHON
Le dépôt de costumes de l'Opéra de Lyon, photographié en avril 2019. ©Maxppp - Stéphane GUIOCHON
Le dépôt de costumes de l'Opéra de Lyon, photographié en avril 2019. ©Maxppp - Stéphane GUIOCHON
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Suite à l'annonce par la mairie de Lyon d'une baisse de la subvention pour l'Opéra de Lyon à hauteur de 500 000 euros, le directeur de l'Opéra de Rouen Loïc Lachenal revient au micro de Marie Sorbier sur la signification politique de cette décision.

Avec
  • Loïc Lachenal Directeur de l'Opéra de Rouen

La Ville de Lyon a annoncé une baisse de subvention pour l'Opéra de Lyon à hauteur de 500 000 euros, sachant que l'aide globale de la Ville pour l'établissement est de 17 millions d'euros par an. Un débat s'articule autour de la symbolique de ce geste, dont la mairie EELV de Lyon explique qu'il consiste à retirer de l'argent à l'opéra de la ville pour le distribuer plus équitablement à d'autres structures. Au micro de Marie Sorbier, le directeur de l'Opéra de Rouen Loïc Lachenal revient sur ce choix politique.

Selon Loïc Lachenal, les réactions que suscite cette décision sont notamment dues au contexte dans lequel elle survient. Affectés par la crise sanitaire depuis un an, les opéras et orchestres ont néanmoins oeuvré pour continuer d'entretenir des liens avec leur public et accompagner les artistes et techniciens qu'ils emploient.

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A ce moment de fragilité, cette nouvelle est extrêmement perturbante. Elle est mauvaise pour les passionnés de culture, de musique, mais aussi pour tous les habitants de la région qui travaillent au quotidien avec l'Opéra de Lyon.          
Loïc Lachenal

Loïc Lachenal s'étonne particulièrement du caractère unilatéral de cette décision. Notamment car le budget de l'Opéra de Lyon, incluant les subventions et reconductions, avait auparavant été voté avec l'ensemble des parties prenantes de l'institution. 

On peut débattre avec l'Etat, la région, la métropole, avec tous les outils de gouvernances de nos institutions, de nos feuilles de route, de nos périmètres budgétaires. C'est la force des institutions, qui appartiennent davantage aux collectivités qui les financent qu'aux directeurs qui les font vivre au quotidien. Ce qui est choquant aujourd'hui et qu'on vit comme une attaque, c'est cette décision unilatérale, prise par la collectivité sans débat préalable. C'est très violent pour les employés de cette institution.          
Loïc Lachenal

"L'erreur de la cible"

Une critique récurrente qui sous-tend cette baisse de subvention est que l'opéra est un art élitiste, d'où la nécessité de distribuer une partie des fonds qui lui étaient jusqu'alors alloués dans d'autres domaines. Pour Loïc Lachenal, cette critique est erronée en ce qu'elle ignore les différents efforts d'ouverture faits par les différents opéras et orchestres de France.

Cette critique commet l'erreur de la cible. Toutes les maisons d'opéra et les orchestres sont aujourd'hui engagés sur une culture ouverte et partagée. Il est faux de penser que ce sont des institutions intimidantes qui seraient retranchées dans une culture pour élites.          
Loïc Lachenal

Une étude de 2017 situe à 25 euros le prix du billet moyen dans un opéra. Par ailleurs, note Loïc Lachenal, les maisons d'opéra travaillent en réseau avec l'ensemble du monde culturel : chaque année, ces institutions redistribuent plus de 70 millions d'euros, au moyen des collaborations qu'elles développent avec d'autres acteurs culturels. 

Cette question d'élitisme, on la balaye. Notre raison d'être est de mettre l'émotion artistique au service de la découverte du monde et de la vibration collective.          
Loïc Lachenal

Bien installées dans le paysage culturel français, les institutions d'opéra ont une capacité d'action non négligeable. Ce sont des structures capables de produire d'importants effets de levier sur les politiques publiques, estime Loïc Lachenal, notamment en ce qu'elles peuvent avoir un impact sur un large public.

On compte par dizaines de milliers à chaque endroit les enfants qu'on accueille dans toutes les actions pédagogiques et culturelles. Qui, au moment de la réouverture au printemps 2020, est allé au chevet des Ehpad et des écoles ? Les musiciens des orchestres, parce qu'ils étaient là, installés sur le territoire. C'est tout cela qu'on fait vivre au quotidien. Il y a donc une erreur d'appréciation et de ciblage.          
Loïc Lachenal

Nous désigner comme des institutions élitistes, c'est un discours d'opposition dans lequel on ne reconnaît pas, et dans lequel on ne se reconnaîtra jamais. Il y a toujours des grands et des petits, des institutions et des indépendants, mais lorsqu'une personnalité politique en charge d'un projet culturel citoyen alimente un discours d'opposition entre le savant et le populaire, ce n'est pas notre histoire, ce n'est pas là-dedans qu'on a envie de se faire enfermer.          
Loïc Lachenal

"Un jeu à somme nulle"

S'il est question, dans le discours politique qui accompagne la baisse de subvention de l'Opéra de Lyon, de mieux répartir les financements, qui détermine ce mieux, et comment ? 

La question d'une meilleure répartition, c'est un jeu à somme nulle. C'est considérer qu'on peut enlever quelque chose à une structure sans qu'il y ait de conséquences. Il faut parler de ces conséquences, les assumer, et savoir ce sur quoi on s'accorde. Ce qu'on enlève à une structure, est-on sûr qu'il soit réellement recréé ailleurs ?          
Loïc Lachenal

Face à ces conséquences et à ces incertitudes quant à la répartition souhaitée par la municipalité lyonnaise, Loïc Lachenal se dit inquiet. S'il admet que la Ville de Lyon, entre autres, avance des politiques ambitieuses, il estime que le redéploiement des investissements n'est pas la solution adéquate. 

Une politique ambitieuse, venant d'une municipalité qui se revendique comme une force de progrès, doit se créer dans l'articulation des acteurs, dans la mise en réseau et dans la définition des feuilles de route avec nos institutions. La répartition à somme nulle est forcément un endroit de fragilisation. Quand on fragilise une partie, on n'est absolument pas sûr d'en renforcer une autre par ailleurs.          
Loïc Lachenal

Le directeur de l'Opéra de Rouen rappelle que les opéras et orchestres sont souvent le premier employeur culturel du territoire dans lequel ils sont situés. De quoi, selon lui, douter que l'activité générée par ces institutions puisse être recrée ailleurs.

"La fatigue et la lassitude sont là, mais notre esprit combattif aussi"

Aujourd'hui, on est dans la plus mauvaise des périodes. La fermeture jusqu'à nouvel ordre, sans perspective, est extrêmement angoissante et étouffante pour les gens qui travaillent dans nos institutions et le public qui le suit.          
Loïc Lachenal

Décriant le caractère injuste des accusations d'élitisme portée sur les opéras, Loïc Lachenal met l'accent sur les efforts continus de ces institutions, y compris à travers la crise sanitaire, pour faire vivre la culture auprès de leur public et de la partager le plus largement possible. Un modèle qui a pu continuer à produire et à accompagner les artistes et les spectacles, avec pour intention de maintenir en vie l'imaginaire collectif. Aujourd'hui, les opéras attendent, comme nombre d'autres secteurs, la reprise. En attendant, ils effectuent de nombreuses expertises scientifiques afin de démontrer la fiabilité des protocoles sanitaires permettant d'accueillir à nouveau le public. 

L'espoir de réouvrir, on l'a. On s'est réinventé depuis le début, plié au couvre-feu et aux confinements, pour ne jamais abandonner. La fatigue et la lassitude sont là, mais notre esprit combattif aussi.          
Loïc Lachenal

En termes de décisions politiques pour le secteur culturel, le mois de mars constitue un cap important et difficile. Sous la pression des mouvements d'occupation de certains théâtres publics par des intermittents du spectacle, la ministre de la Culture a convoqué un Conseil national des professions du spectacles. Pour tout un secteur dépourvu de perspectives depuis la mi-décembre, l'attente de réponses et de prises de positions se fait de plus en plus pressante. 

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