Donner une voix à ce qui n'en a pas

Photo prise dans une grotte de glace du glacier de Jškuls‡rl—n, en Islande.
Photo prise dans une grotte de glace du glacier de Jškuls‡rl—n, en Islande. ©Getty - REDA&CO
Photo prise dans une grotte de glace du glacier de Jškuls‡rl—n, en Islande. ©Getty - REDA&CO
Photo prise dans une grotte de glace du glacier de Jškuls‡rl—n, en Islande. ©Getty - REDA&CO
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Un fleuve a-t-il droit à la parole ? À l'heure de l'Anthropocène, Aliocha Imhoff et Kantuta Quiros, curateurs et fondateurs de la plateforme "Le Peuple qui manque" s'interrogent sur le rôle des artistes dans la prise en compte des voix des non-humains.

Avec
  • Kantuta Quirós Cinéaste, curatrice, théoricienne de l'art, co-fondatrice de la plateforme curatoriale le peuple qui manque
  • Aliocha Imhoff Curateur, collectif Le Peuple Qui Manque

D’où est-ce que je parle ? A qui je m’adresse ? Ou est-ce que je me situe dans le discours ? sont autant de questions qui surgissent à l’heure de l’anthropocène. Alors, qui parle et qui agit ? selon Gilles Deleuze "C’est toujours une multiplicité, même dans la personne qui parle ou qui agit. Nous sommes tous des groupuscules". Toutes ces questions relatives à l’énonciation agitent depuis longtemps le milieu de l’art mais elles sont aujourd’hui rattrapées par une prise en compte toute contemporaine des voies silencieuses du monde animal, végétal ou même de celui des machines. Dans ce cas, comment faire pour donner la parole à ceux qui n’en n’ont pas ? C’est la question posée par Marie Sorbier à Aliocha Imhoff et Kantuta Quiros, respectivement maître de conférences en Arts Plastiques et professeure de Théorie de l’Art, tous deux curateurs et co-directeurs de la plateforme Le Peuple qui manque.

Installation artistique à la Biennale de Lyon
Installation artistique à la Biennale de Lyon
- A. Imhoff & K. Quiros

Vox Naturae

L’impact de l’Homme sur les écosystèmes étant de plus en plus néfaste depuis l’entrée de l’humanité dans l’anthropocène, certains ont décidé de défendre les richesses muettes de la planète en leur servant de porte-voix ou même en leur donnant des droits, comme c’est le cas du fleuve néo-zélandais Whanganui depuis 2017.

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« Le fait de conférer au fleuve une personnalité juridique a été la source de vifs débats ces dernières années. Cette démarche a inspiré le projet du Parlement de Loire, initié par  POLAU, ou encore l’écrivain Camille de Toledo qui a réfléchit aux conditions d’émergences d’une voix pour un fleuve. » Aliocha Imhoff

Ces actions et projets élaborés, en partie par des artistes, pour faire entendre la voix de la Terre sont en réalité l’aboutissement de réflexions théoriques fortes :

« La référence la plus évidente et la plus discutée nous vient de Bruno Latour, qui à la fin des années 90 dans son livre Politiques de la nature : Comment faire entrer les sciences en démocratieimaginait déjà des instances de représentation pour les non-humains. Aussi, se trouvent au cœur des pratiques artistiques contemporaines des réflexions qui cherchent également à inclure les non-humains. » Aliocha Imhoff

La Suite dans les idées
49 min

Des solutions en germe :

Alors, très concrètement, comment les artistes peuvent utiliser les outils qui sont les leurs pour faire entendre cette parole des non-humains et la propager dans notre vie quotidienne ?

« Les artistes s’attèlent à cette tâche impossible de la traduction des voix animales et végétales par le biais de tentatives liées à des réflexions autour de formes "assembléistes", comme celles de l’artiste néerlandais Jonas Staal. On essaye de penser l’art comme un espace de tentatives. En Bolivie par exemple il y a des tentatives d’assemblées constituantes qui donnent des droits juridiques à la terre mère par exemple. » Kantuta Quiros

Si ces pratiques, ou du moins ces tentatives, émergent dans des pays très sensibles à leur patrimoine naturel comme la Bolivie ou la Nouvelle-Zélande, est-il envisageable que la société française soit, elle aussi, prête à écouter la voix des non-humains ?

« Bien sûr, malgré tous les dispositifs qui cherchent à la faire taire. On voit bien que pour entendre et considérer goutte à goutte la fonte des glaciers il faut un arsenal scientifique... Il faudrait déployer des politiques qui reconnaissent ces voix-là, et reconnaissent ce silence comme celui du deuil collectif dans lequel nous vivons désormais ; celui de la sixième extinction de masse. Cette pesante éco-mélancolie silencieuse nous constitue désormais. » Aliocha Imhoff

Pour en savoir plus retrouvez Qui Parle ? (pour les non-humains) d'Aliocha Imhoff et Kantuta Quiros aux éditions PUF.

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