Le monde de l'édition français s'inquiète de la fusion Editis / Hachette. Sabine Wespieser, directrice de sa maison d'édition, nous explique les dangers de ce futur monopole.
- Sabine Wespieser Éditrice
Le monde de l’édition est-il en danger ? Tout porte à le croire alors que le Vivendi, chapeautant le groupe Editis, possède désormais plus de la moitié du groupe Lagardère, propriétaire d’Hachette. De ces rachats en résulte un groupe d’édition hors norme dirigé par Vincent Bolloré. Depuis l’annonce de cette acquisition, des voix se font entendre et craignent une perte dommageable de diversité dans les publications à venir. Parmi elles, Sabine Wespieser, directrice de maison d’édition, qui aborde aujourd’hui les tenants et aboutissant d’un tel mercato éditorial au micro de Marie Sorbier.
Les risques tous azimuts d’un potentiel monopole
Particulièrement concernée par les enjeux suscités par le rapprochement de géants de l’édition comme Editis et Hachette, du fait de sa condition d’éditrice indépendante, l’ancienne salariée d’Actes Sud fait état des raisons pour lesquelles l’édition française doit s’inquiéter :
« Je pense qu’il faut s’inquiéter tout d’abord pour les lecteurs. Le problème de la concentration n’est pas nouveau, il n’a pas été inventé par Vincent Bolloré. Souvenez-vous du livre d’André Schiffrin L’édition sans éditeur, qui détaillait à travers un exemple américain que la concentration signe la victoire de l’industrie sur l’artisanat. » Sabine Wespieser
Avec une dizaine de livres publiés par an, il tient à cœur aux éditions Sabine Wespieser de conserver leur statut d’artisan de l’édition, leur rythme mais surtout de maintenir la qualité littéraire de leurs parutions, contrairement à ce qui peut se faire dans les rouleaux-compresseurs des géants de l’édition :
« Cette industrie a une force d’inertie terrible. Plus les maisons grossissent, plus elles gagnent de l’argent et plus les deux postulats de l’industrie, le temps court et la rentabilité immédiate, s’imposent. Quand les maisons se concentrent, elles sont obligées de produire plus car elles ont beaucoup de frais fixes et de salaires à amortir. » Sabine Wespieser
Toutefois, si la concentration met à mal l’édition indépendante et se construit à l’encontre d’une visée qualitative, les maisons d’éditions ne sont pas les seules impactées par ce processus, puisqu’il se fait aussi au détriment des lecteurs et des auteurs :
« Je m’inquiète pour le lecteur car il va se retrouver face à une offre standardisée, car l’industrie fait ce qu’elle sait faire de mieux : cloner. Ce processus se fait aussi au détriment des auteurs qui sont désormais considérés comme des prestataires de service, supposés remplir des niches marketing vides, c’est effroyable. » Sabine Wespieser
Edition, impression, distribution, même combat
Aussi, la tribune publiée par Sabine Wespieser et trois de ses consœurs dans Le Monde explique que la mise en place d’un monopole éditorial va impacter l’ensemble de la chaîne de l’édition, de la distribution aux libraires :
« Il y aura une phase de séduction puis une phase d’emprise, à laquelle on assiste déjà, où la quantité va primer sur la qualité. Pour l’heure nous avons le choix entre quatre ou cinq plateformes de distribution et nous pouvons négocier nos coûts et faire tenir debout nos maisons économiquement, mais pour combien de temps ? » Sabine Wespieser
Outre la distribution, l’impression et la vente en librairie seront elles aussi affectées par la création d’un tel monopole :
« Papetiers ou imprimeurs, ils iront vers celui qui leur garantira de grandes quantités. Aussi, il y aura une pression colossale qui va peser sur les libraires, nos alliés principaux dans cette résistance, car ils vont devoir faire face à l’imposition de conditions commerciales. » Sabine Wespieser
Enfin, pour revenir sur les auteurs, ils verront eux-aussi leurs conditions de travail complètement chamboulées par les changements qu’induisent la formation d’un monopole éditorial :
« Il y aura quelques appelés, très peu d’élus. Les auteurs à succès seront les mieux traités du monde, mais pas les auteurs fragiles, que les petites maisons soutiennent. Les pontes seront séduits, raptés par les groupes ayant la possibilité de proposer des avances à leurs auteurs. »
Pour en savoir plus sur le sujet, n’hésitez pas à lire la tribune parue dans le journal Le Monde.
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