Alors que le chanteur populaire et star de télévision Stanislav Trifonov est arrivé deuxième aux élections législatives bulgares, l'écrivain et journaliste Eric Naulleau évoque au micro de Marie Sorbier ce qui anime la culture en Bulgarie aujourd’hui.
- Eric Naulleau animateur, chroniqueur
"Slavi", voilà le surnom qu'on donné les Bulgares à celui qui a créé la surprise dimanche 4 avril lors des élections législatives en Bulgarie. Le chanteur et star de télévision Stanislav Trifonov est arrivé deuxième avec 16,2% des voix. Immense star nationale âgée de 54 ans, Trifonov a fait campagne uniquement sur son compte Facebook et dirige un parti centriste auquel il a donné le nom d'un de ses albums : "Un tel peuple existe". Au micro de Marie Sorbier, le journaliste, écrivain et éditeur de littérature bulgare Eric Naulleau évoque la Bulgarie culturelle et contemporaine.
Pour Eric Naulleau, la deuxième place de Trifonov aux législatives est symptomatique de la décomposition politique en Bulgarie. Ce type de candidature alternative qui peut sembler fantaisiste se trouve dans d'autres pays européens. Par exemple, avant de devenir l'actuel président de l'Ukraine, Volodymyr Zelensky était un acteur et humoriste. Il incarnait notamment, dans la série télévisée Serviteur du peuple, un professeur de lycée devenu malgré lui président de l'Ukraine.
J'ai habité en Bulgarie juste avant la fin du communisme et au début de l'ère post-communiste. Si on m'avait dit à l'époque que Slavi Trifonov ferait carrière, j'aurais été très étonné.
Eric Naulleau
Homme de télévision émergeant en même temps que la télévision privée en Bulgarie, qui n'existait pas dans l'ère communiste, Stanislav Trifonov s'est fait remarquer pour ses talents de musicien en mélangeant le folklore bulgare avec des influences pop : difficile de lui prédire un destin politique. En outre, la Bulgarie est le pays le plus pauvre de l'Union européenne, un des Etats les plus corrompus du monde où le poste de premier ministre est occupé de manière inamovible par l'ancien garde du corps du dictateur Todor Jivkov, rappelle Eric Naulleau.
Cet été en Bulgarie, il y avait des manifestations tous les jours pour dégager ce premier ministre. Le système n'y parvenant pas, il produit des candidatures alternatives comme celle de Slavi Trifonov. C'est un homme extrêmement sympathique, mais pour que les Bulgares placent leurs espoirs en lui, cela veut dire que le pays va assez mal.
Eric Naulleau
Plusieurs romans récemment parus prennent les rues de Bulgarie comme cadre de leurs récits. C'est le cas du roman Ruse d'Eric Naulleau (Albin Michel, 2020), mais aussi de Pureté (Grasset, 2021), du romancier américain Garth Greenwell, où un professeur de littérature se perd dans la ville de Sofia. En quoi la Bulgarie se prête-t-elle à ces errances ?
Avant la chute du communisme en Bulgarie, entre 1986 et 1988, Eric Naulleau y était professeur. Faisant déchiffrer le texte d'une chanson de Boby Lapointe où il est question d'une "catin" à sa classe, une de ses élèves lui demande ce que signifie ce terme. S'ensuit une discussion sur la prostitution en France, dans laquelle Eric Naulleau précise que la prostitution existe dans toutes les grandes villes, y compris en Bulgarie. Choquée par cette affirmation, l'élève soutient que la prostitution n'existe pas dans les pays communistes, et que l'homosexualité, la mafia et la délinquance non plus.
A chaque fois que j'entends parler de la Bulgarie, je repense à cette élève avec beaucoup de tendresse. Depuis la chute du communisme, tout l'envers du décor apparaît. Le communisme avait la prétention de bâtir un homme et une femme nouveaux, meilleurs. Tout cela n'était qu'une façade : la prostitution existait en Bulgarie, l'homosexualité était très présente mais ne se montrait pas, et la délinquance était bien réelle.
Eric Naulleau
C'est notamment sur la délinquance que se penche Eric Naulleau dans son roman Ruse. Il s'intéresse à la manière dont la mafia du Parti communiste a fait main basse sur le système économique de la Bulgarie. Le roman Pureté de Garth Greenwell se penche sur l'homosexualité en Bulgarie, la montrant dans des aspects particulièrement crus.
Ce n'est pas un hasard si ce sont deux écrivains étrangers qui mettent cela en évidence. La Bulgarie a encore du mal avec l'homosexualité, l'homophobie est encore assez présente. Même si des auteurs bulgares s'emparent également de ce sujet, je ne trouve pas anormal que cela passe aussi par des auteurs étrangers.
Eric Naulleau
Eric Naulleau a édité plusieurs ouvrages de littérature bulgare, qu'il considère comme une des littératures les moins connues d'Europe. Il conseille d'y entrer par des classiques, notamment l'oeuvre d'Yordan Radichkov. Il a également édité l'auteur Angel Wagenstein, qui porte sur la Bulgarie le regard d'un Juif à une époque où, en Bulgarie, certaines villes comme Plovdiv voyaient des dizaines de communautés ethniques différentes vivre en relative harmonie. Une situation bien différente des drames de l'épuration ethnique et de la guerre civile tels qu'ils ont eu lieu en Yougoslavie. Eric Naulleau conseille également la lecture des Légendes du Balkan d'Yordan Yovkov (L'Esprit des Péninsules, 1999). Une des nouvelles de cet auteur bulgare méconnu en France avait été inclue dans l'anthologie des dix meilleures nouvelles jamais publiées selon Thomas Mann.
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