En quoi Fifi Brindacier incarne-t-elle le féminispunk, libéré des effets de mode et du conformisme ? Au micro de Marie Sorbier, l'autrice Christine Aventin revient sur ce personnage né dans les années 1940 et ses apports à la pensée féministe.
- Christine Aventin Autrice
Fifi Brindacier, la fille la plus forte du monde qui vit sans adultes, est née sous la plume de la Suédoise Astrid Lindgren dans les années 1940. C'est aujourd'hui l'autrice Christine Aventin qui s'empare du personnage comme avatar du féminispunk. Dans son essai FéminiSpunk. Le monde est notre terrain de jeu (Editions Zones, 2021), Christine Aventin alerte sur la manière dont certains termes peuvent devenir plus conformistes qu'anti-conformistes. En quoi Fifi Brindacier incarne-t-elle un féminisme libéré des effets de mode ?
Je voulais au départ écrire un livre sur le féminispunk, sans trahir notre histoire, sans donner des outils à l'ennemi, tout en invitant d'autres femmes qui ne sont pas de ces milieux à nous rejoindre. Fifi Brindacier est pour moi un avatar expérimental qui me permet de parler de nous en ayant l'air de parler d'elle.
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Fifi Brindacier est créée par l'autrice suédoise Astrid Lindgren en 1943, lorsque sa fille, souffrant d'une pneumonie, lui demande de lui raconter l'histoire d'un personnage dont elle invente le nom : Pippi Långstrump, qui se traduit en français par "Pippi longues chaussettes".
Dès 1943, dans la trilogie des romans Fifi Brindacier d'Astrid Lindgren, tout est là : l'anti-autoritarisme, l'anti-racisme, l'antispécisme, l'anti-âgisme, une égalité des genres qui ne se nomme même pas ainsi parce qu'on soit fille ou garçon, on est juste un être humain avec ses audaces, ses forces, ses faiblesses et sa vie à mener. Dans le secteur très particulier de la littérature jeunesse destinée aux petites filles, c'est un coup de maîtresse qui ne s'est jamais reproduit.
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Hachette, l'éditeur français de Fifi Brindacier, a beaucoup édulcoré la charge subversive de ces romans. Par exemple, le personnage connu sous le nom du Grand Hector s'appelle en réalité, dans la version originale, le Grand Adolphe. Pourquoi cette volonté d'Hachette de nier la portée politique et féministe de ce texte de la littérature jeunesse ? En tant que Belge, Christine Aventin estime que les Français ne sont pas aussi perméables aux influences venues d'ailleurs que leurs voisins et qu'ils font plutôt preuve d'un certain orgueil culturel. Phénomène qui se caractérise pour les éditions Hachette comme une nécessité de faire rentrer le personnage de Fifi Brindacier dans les normes d'une culture cartésienne et d'une langue académique. Il s'agit non seulement de raboter le côté subversif du personnage, mais aussi d'apposer des critères esthétiques à l'apparence et à la manière de s'exprimer des personnages. Outre le Grand Adolphe devenu le Grand Hector puis Arthur le Costaud, d'autres détails ont été modifiés, comme par exemple le plat préféré de Fifi Brindacier. Dans la version originale, il s'agit de la crème à la rhubarbe, ce qu'Hachette a transformé en fraises à la crème.
Pour cet éditeur qui représente quelque chose dans le territoire de la littérature jeunesse francophone, il y a comme une impossibilité de faire de la place à ce qui paraît bizarre. Même dans les goûts alimentaires de Fifi.
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Alors que les réunions non-mixtes provoquent aujourd'hui des débats houleux, Christine Aventin en donne avec la figure de Fifi Brindacier une justification festive, déployant le concept de "non-mixité festive". Le personnage créé par Astrid Lindgrenest féminispunk parce qu'elle occupe un territoire culturel disqualifiant, moins légitime et associé à moins de pouvoir financier et symbolique que d'autres domaines : la littérature jeunesse. Notamment à une époque où la littérature jeunesse est séparée en deux clans distincts, dont la bibliothèque rose, spécifiquement destinée aux jeunes filles.
En occupant ce territoire, Astrid Lindgren commet un acte d'activisme féministe. Elle met son cocktail molotov dans le rayon le plus disqualifiant de la culture populaire : la littérature spécifiquement destinée aux petites filles. A priori, il n'y a aucune chance qu'un petit garçon lise les romans Fifi Brindacier à l'époque de leur parution. Tout dans le design, les couleurs, la collection, indique que c'est pour une petite fille.
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Pour Christine Aventin, cette littérature spécifiquement destinée aux petites filles constitue une forme de non-mixité. Un rayon littéraire dans lequel sont représentés des modèles de petites filles sages, polies, bien coiffées, aidant leurs mères aux tâches ménagères et rêvant elles-mêmes de devenir mères. En occupant cette zone dominée de la culture populaire, Astrid Lindgren transforme cette non-mixité obligatoire et discriminante de la littérature jeunesse.
C'est la grande teuf des meufs ! Au point où ça donne envie aux petits garçons d'aller voir le personnage de Fifi Brindacier.
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En ce qui concerne la culture des non-mixités choisies chez les féministes punks, il est clair qu'à certains moments, nous avons besoins d'être entre femmes. Et par femme, j'entends toute personne qui s'auto-détermine en tant que femme, pas seulement les femmes cisgenres, blanches et hétérosexuelles. On peut avoir besoin de non-mixité pour parler de questions comme celle du viol. En général, les hommes comprennent cela très bien et n'ont aucune envie de s'y mêler, préfère qu'on règle ça entre nous et qu'on leur donne les résultats de nos discussions.
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Grâce à Fifi Brindacier, on a, face à une tradition politique et culturelle, la possibilité d'une teuf entre meufs. C'est-à-dire : on ne vous veut pas, les gars ! On a envie de faire la fête sans avoir besoin de se méfier à chaque coin, de pouvoir être provocante si ça nous plaît, sans risquer de se faire violer. C'est ça que Lindberg inaugure, avec son personnage tellement puissant, drôle, bruyant, qui vit sa vie comme elle l'entend, avec un amour profond d'elle-même.
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Résolument libre, Fifi Brindacier est aussi un personnage profondément empathique à l'égard des autres, notamment envers le personnage d'Anika, archétype de la petite fille commettant sans cesse des maladresses du fait des contraintes normatives qui l'empêchent de s'exprimer librement et spontanément.
Très empathique à l'égard de cette petite Anika, Fifi va progressivement l'emmener sur son bateau pirate. C'est un peu ce que j'essaye de faire avec mon livre : je brandis ma pancarte "Fifi Brindacier" et j'invite toutes les Anika à venir, car on est plein, et on se marre.
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Attention à ne pas transformer Fifi Brindacier en idole ou en héroïne, précise Christine Aventin : ce serait nier les velléités de son ouvrage FéminisPunk qui vient de paraître aux Editions Zones.
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