"La culture du milieu est en danger"

Un aperçu du concert virtuel géant organisé par Lady Gaga en avril 2020, lors du premier confinement.
Un aperçu du concert virtuel géant organisé par Lady Gaga en avril 2020, lors du premier confinement. ©AFP
Un aperçu du concert virtuel géant organisé par Lady Gaga en avril 2020, lors du premier confinement. ©AFP
Un aperçu du concert virtuel géant organisé par Lady Gaga en avril 2020, lors du premier confinement. ©AFP
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Après la parution dans La Revue du Crieur d'un article d'Ingrid Merckx sur le spectacle vivant au temps du Covid et du confinement, nous interrogeons le philosophe Mathieu Potte-Bonneville sur les manières dont les artistes peuvent partager leur travail virtuellement.

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Truffaut sur Netflix, Radiohead en concert exceptionnel, Le Lac des cygnes sur le site de l'Opéra de Paris... La culture a été une belle alliée du confinement. Mais le spectacle vivant reste l'une des grandes victimes de la pandémie de Covid-19 : les artistes jouent, mais pour qui et comment ?
C'est ainsi que la journaliste Ingrid Merckx introduit son article "Chanter, jouer, répéter, confiner. Le spectacle vivant au temps du Corona" paru dans le 17ème numéro de la Revue du Crieur.

Avec le philosophe et directeur du département Culture et Création du Centre Pompidou Mathieu Potte-Bonneville, cité par Ingrid Merckx dans son article, nous nous interrogeons sur la manière dont les artistes apprivoisent le partage de leur travail au moyen des images et des moyens numériques, alors que le milieu culturel craint pour son avenir en ce deuxième confinement démarré le 30 octobre 2020.

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Si l'image n'est pas seulement une représentation, risque-t-elle, lorsque qu'elle touche aux arts, de devenir plus importante que les événements artistiques eux-mêmes ?

Il est vrai que la période que nous traversons a vu migrer du côté des images toute une série d'événements et de propositions culturelles que nous rencontrions auparavant dans des espaces divers. Cette mise à plat au sens strict pose plusieurs questions. Nous n'avons pas encore éprouvé toutes les potentialités de ces images-là. Il y a une grande loi dans l'histoire des médias qui est que tout nouveau médium commence par emprunter ses formes au médium précédent. On fait du théâtre filmé, des conférences filmées, mais on ne sait pas encore ce que cela pourrait faire. On commence une exploration des possibilités mêmes de ce médium numérique, appliqué à des propositions culturelles qui ne relevaient pas de son champ traditionnel.        
Mathieu Potte-Bonneville

Ces images, ce sont des images pauvres. Des images à faible résolution qui parfois bavent, ou sautent. Il y a quelque chose d'assez émouvant, on retrouve de l'événement dans la pauvreté de ces images. Mais la limite de cela est que face la disponibilité très forte des propositions culturelles sur Internet, qui a commencé avec le premier confinement, il n'est pas sûr que nous soyons disponibles pour elles. Toutes ces choses qu'on pourrait voir ou revoir, est-ce qu'on les voit effectivement ? C'est là où l'événement nous manque. La limite de la proposition en ligne, c'est qu'on se dit qu'on pourra toujours y revenir plus tard, là où un spectacle, ça se voit ou ça se manque, avec qu'il peut y avoir d'imprévu et d'urgent à le rencontrer. Peut-être que la disponibilité infinie des propositions culturelles organise une certaine indisponibilité des spectateurs. Mathieu Potte-Bonneville

Ce deuxième confinement se distingue par l'autorisation du maintien des répétitions dans le domaine du spectacle vivant. Mais le temps de répétition suffit-il à la création ? Ces périodes de jachère sont-elles uniquement néfastes ?

C'est très important qu'on ait autorisé les répétitions cette fois-ci. Ce qui va abimer le champ du spectacle vivant, c'est cette incapacité à créer. On a vu des danseurs cette automne se blesser car leurs corps s'étaient arrêtés au printemps.Pouvoir répéter, c'est quelque chose.    
Mathieu Potte-Bonneville

Le premier confinement nous a rendu incapables de nous faire les commentateurs de ce qui est en train de nous arriver. Nous ne supportons plus d'entendre parler de confinement et de discuter sans ricaner un peu du monde d'après. Cet immense bavardage nécessaire et normal qui nous avait saisi au printemps, nous n'arrivons plus à repartir là-dedans. Qu'est-ce qui reste quand on vit une chose aussi singulière dont on ne veut plus parler ? Il reste le travail. Creuser, essayer, s'acharner avec patience et endurance à créer, à lire, à écrire. Toutes ces choses, que les auteurs nous expliquaient de manière un peu luxueuse et agaçante concernant le premier confinement, nous reviennent d'une toute autre façon. Ce n'est pas que nous avons du temps pour nous, la précarité économique règne, mais que la seule chose que nous puissions faire, c'est de nous installer dans ce temps de patience pour essayer d'en tirer quelque chose. Quelque chose qui ne soit pas simplement le commentaire de ce qui se passe, mais quelque chose pour l'avenir, pour imaginer qu'il pourrait y avoir un avenir. Ce qui, dans les conditions du présent, n'est pas gagné. Mathieu Potte-Bonneville

Dans l'article "Chanter, jouer, répéter, confiner" cité plus haut, Mathieu Potte-Bonneville affirme que la plus grande inquiétude concernant la culture aujourd'hui relève des menaces qui pèsent sur la diversité. 

Du point de vue économique, l'année que nous traversons est dévastatrice pour la culture du milieu. Pascal Ferrand parlait de films du milieu pour désigner les films qui ne sont ni blockbusters, ni micro-productions cinématographiques, qui s'en sortent toujours parce qu'elles vivent de rien. Aujourd'hui, la culture du milieu est en danger car si les grandes institutions culturelles en France sont protégées - et il faut s'en réjouir, et si les micro-initiatives continueront à travailler avec des bouts de ficelle, il reste entre les deux un creux terrible.    
Mathieu Potte-Bonneville

Au cours de cette crise, nous avons tous une responsabilité de nous faire accueillants et solidaires avec les artistes. Imaginer ensemble des formes de propositions culturelles pour la suite.    
Mathieu Potte-Bonneville

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