"Another Screen" est une nouvelle plateforme de streaming qui propose une programmation pointue de films artistiques féministes. Une réappropriation de l’image de la femme par la femme qu'évoque la philosophe Camille Froidevaux-Metterie au micro de Marie Sorbier.
- Camille Froidevaux-Metterie Philosophe, professeure de Sciences Politiques et romancière
La nouvelle plateforme de streaming Another Screen sélectionne des courts-métrages et des films expérimentaux pensés et réalisés par des femmes autour de thématiques qui agitent les débats féministes. La plateforme est gratuite et propose des cycles différents chaque semaine. Sa sélection pointue et engagée redonne son sens à une programmation sur une plateforme de streaming. Au micro de Marie Sorbier, la philosophe, professeure de sciences politiques et chargée de mission "Egalité / Diversité" à l'Université de Reims Camille Froidevaux-Metterie explique la résurgence du corps des femmes dans la pensée féministe contemporaine.
Le premier mouvement majeur de réappropriation du corps féminin par la pensée féministe a eu lieu pendant les années 1970. Le corps des femmes était alors au coeur de combats comme la lutte pour les droits procréatifs et les mouvements de libération sexuelle. Durant les cinq décennies suivantes, observe Camille Froidevaux-Metterie, ces questions ont quasiment disparu du champ féministe. On assiste aujourd'hui à leur reviviscence.
Depuis le début des années 2010, l'accent est mis sur le corps des femmes dans ses dimensions les plus intimes. On s'est soudainement rendu compte qu'un domaine avait échappé au combat pour l'égalité et la liberté, celui de la vie intime et sexuelle.
Camille Froidevaux-Metterie
Si ces questions n'ont pas été réinvesties plutôt, c'est pour des raisons proprement féministes. On a observé une déconsidération dans le champ féministe pour les questions incarnées féminines, car le corps des femmes était considéré comme le lieu par excellence de la domination féminine. Il était rangé du côté de la soumission aux diktats patriarcaux, comme la maternité ou le souci de l'apparence.
Camille Froidevaux-Metterie
Pour Camille Froidevaux-Metterie, le débat féministe a donné lieu en France à une puissante synthèse intellectuelle. Un débat qui mêle la pensée de Simone de Beauvoir a été assimilée trop étroitement à une forme de détestation corporelle, le féminisme matérialiste lesbien des années 1970 (qui fait de l'hétérosexualité le socle des inégalités de genre) et le républicanisme universaliste défendu par Elisabeth Badinter, qui considère que tous les individus doivent être appréhendés comme des sujets de droits, indépendamment de toute autre caractéristique.
Ces trois lignes de pensée ont nourri pendant longtemps un rejet de la question du corps des femmes. Au début des années 2000, a constaté Camille Froidevaux-Metterie, la problématique de la maternité avait virtuellement disparu des écrits et des combats féministes. Un constat qui a amené la philosophe à interroger cette curieuse disparition du corps des femmes dans le champ féministe.
En quoi l'acte artistique s'inscrit-il dans la réparation du corps féminin ? Dans quelle mesure rendre visible le regard des femmes, comme le font les films proposés sur Another Screen, est-il une étape nécessaire à cette reconstruction ?
Le plus important aujourd'hui, c'est la visibilité du corps des femmes, et plus exactement, la visibilité des corps des femmes. Il s'agit de rendre visible dans l'espace public la diversité des corps féminins.
Camille Froidevaux-Metterie
Un mouvement qui a débuté dans les années 2010 et que Camille Froidevaux-Metterie qualifie de tournant génital du féminisme lié à des moments paroxystiques comme le mouvement #MeToo, mais aussi à d'autres mobilisations revendiquant la nécessité de rendre visible le corps des femmes en dehors des normes dominantes portant sur sa représentation. Les seins sont un exemple typique et révélateur, autour duquel Camille Froidevaux-Metterie a axé ses recherches.
Les seins que l'on voit dans les films, les séries et l'espace public sont des seins idéaux, en forme de demi-pomme, alors que les seins des femmes sont infiniment plus divers. C'est ce que j'ai pu observer en faisant leurs portraits, et quelque chose que l'art permet de dépasser. J'observe avec joie sur les réseaux sociaux des comptes dédiés à la visibilisation des seins des femmes. Le cinéma a un rôle crucial car c'est le vecteur principal des représentations des corps des femmes.
Camille Froidevaux-Metterie
Le corps des femmes est pris dans un système de dépossession, explique Camille Froidevaux-Metterie, où les femmes font l'expérience de leur propre corps comme n'appartenant pas à elle, mais à d'autres, à ceux qui peuvent en tirer un profit. Par exemple, les seins sont destinés soit aux enfants qu'ils nourrissent, soit aux hommes qu'ils excitent.
Quand les femmes sont engagées dans des procédures médicales, elles prennent conscience de manière brutale de cette dépossession qui les caractérise. Les regards portés sur elles les objectivent, font de leur corps un objet que l'on peut prendre, jeter, maltraiter, violenter. L'objectivation va de pair avec un phénomène d'aliénation : nous sommes rendues étrangères à nos propres corps par ces mécanismes patriarcaux qui entretiennent l'idée que nos corps remplissent des fonctions sociales, et que de ce fait ils ne nous appartiennent pas.
Camille Froidevaux-Metterie
On est aujourd'hui dans une dynamique intense de réappropriation par les femmes de leur corps. La séquence féministe qui est la nôtre est un tournant aussi important que celui des années 1970. Le scandale mis au jour, notamment par #MeToo, est que nos corps sont considérés comme étant à disposition. Aujourd'hui, les féministes rejettent cette disponibilité corporelle pour que nous puissions se réapproprier nos corps. Non pas simplement avoir des corps, mais devenir nos corps et être nos corps.
Camille Froidevaux-Metterie
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