Le lichen ou l'insurrection des humbles

Un lichen jaune développé sur l'écorce d'un arbre.
Un lichen jaune développé sur l'écorce d'un arbre. ©Getty
Un lichen jaune développé sur l'écorce d'un arbre. ©Getty
Un lichen jaune développé sur l'écorce d'un arbre. ©Getty
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"Proches" : voilà le thème qui anime l’edition 2021 de la Nuit des idées. L’écrivain Vincent Zonca revient au micro de Marie Sorbier sur son étude du lichen, organisme familier et méprisé mais symbole possible d'un langage populaire à cultiver.

Avec
  • Vincent Zonca Ecrivain

Dans le cadre de la Nuit des idées 2021, dont le thème est "Proches", l'écrivain Vincent Zonca revient au micro de Marie Sorbier sur son étude d'une matière vivante, humble et très présente sous nos latitudes ainsi qu'ailleurs : le lichen. Loin d'une approche biologique, son livre met en exergue, par la littérature, la philosophie et les arts, le lichen comme un élément commun qui peut devenir le symbole d'un langage populaire à cultiver. Les racines d'une résistance peuvent-elles venir de ce qui est proche ?

Invisible, humble et résistant

Organisme familier, observable sur les murs et arbres qui nous entourent, le lichen est particulièrement proche de nous. Cependant, cette substance fait l'objet de peu d'usages communs, à l'exception d'une utilisation scientifique. 

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Le lichen est devenu invisible, la plupart des gens ne le voient pas. Réparer cette familiarité des lichens qui nous entourent permet de se reconnecter à notre environnement naturel, notamment en ville.                    
Vincent Zonca

Dans son livre, Vincent Zonca propose une enquête à la croisée de l'anthropologie, de la philosophie et de la littérature. L'objectif ? Se rapprocher de ces organismes communs, banals, proches de nous, que nous avons oublié de voir. Stimuler cette fréquentation, c'est inviter à voir des organismes humbles et résistants : le lichen résiste aux conditions de pollution des villes et forme le premier organisme naturel qui repeuple un lieu suite à une éruption, à une explosion atomique...

Ce sont des organismes pionniers et résistants. Se reconnecter à eux nous invite à porter une attention particulière à un organisme qui résiste à des conditions écologiques très compliquées.                    
Vincent Zonca

Enquêtant auprès de différents artistes, écrivains et scientifiques, Vincent Zonca étudie les différents discours et projections qui existent autour du motif du lichen. Il s'aperçoit que depuis une quinzaine d'années, le lichen fleurit dans les pages de certains poètes et les expositions de certains artistes contemporains, ainsi que chez quelques philosophes. 

Les lichens sont une forme de résistance en conditions hostiles. Cela est repris par des poètes qui cherchent à s'exprimer dans un contexte peu enclin à la poésie, et incarne un organisme symbiotique, à la différence d'un être vivant unitaire. Il déjoue le schéma traditionnel selon lequel un individu est un être biologique unique, alors qu'il s'agit en réalité d'un être pluriel.                    
Vincent Zonca

Le lichen comme subversion

Symbiose entre l'algue et le champignon, le lichen décuple ses potentialités et là est sa subversivité : chaque composante de l'organisme nourrit l'autre, un compagnonnage qui lui permet de résister à des conditions particulièrement difficiles. 

Cette nature symbiotique est subversive : elle invite à repenser le vivant davantage sous forme de coopération que de compétition. Vincent Zonca

L'autre aspect subversif du lichen est évoqué notamment par les artistes, les poètes et les écrivains qui font référence à ce qui est mineur, banal, familier, ancré dans le local. Comme l'écrivait le penseur Gaston Bachelard, le lichen "mondifie" : il fait monde en incarnant un être ancré dans le local, résistant aux épreuves écologiques, tout en étant modeste et humble d'apparence. La poétesse Brenda Hillman associe le lichen à la condition ouvrière, aux formes de vie précarisées qui oeuvrent en silence et écrit : "Le lichen prend racine comme Rosa prend le bus", faisant allusion aux figures héroïques de Rosa Parks et Rosa Luxemburg. Le lichen nous invite ainsi à penser que ce qui nous entoure, sans gloire ni faste, peut être d'une puissance redoutable.

La pensée de la symbiose, d'un être vivant qui repose sur le mutualisme et la coopération, remonte aux années 1860 dans le champ de la biologie, où l'étude de la symbiose et de la pluralité inhérente au vivant se fait à partir de l'étude des lichens.

Cette lecture fait aujourd'hui l'objet d'une relecture politique et idéologique : elle invite à considérer les êtres vivants, y compris les humains, sont poreux, ouverts aux autres et capables de cohabiter avec eux. Le travail de Brenda Hillman vulgarise un être vivant commun, mais dont nous avons oublié les caractéristiques, pour nous inviter à le regarder à une autre échelle. Face à cette biodiversité négligée, ce travail crée une empathie vis à vis d'êtres vivants qui font également partie de notre environnement.                    
Vincent Zonca

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