Le pronom "iel" est une affaire linguistique en cours

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Dictionnaire ©AFP - Karen BLEIER
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Le pronom "iel" fait son entrée dans le dictionnaire; d’où vient-il ? Comment doit-on le conjuguer ? Petit point de grammaire avec Julie Neveux, linguiste et maîtresse de conférences à la Sorbonne.

Avec
  • Julie Neveux Maîtresse de conférences en linguistique à Sorbonne Université

Un nouveau découpage de la réalité

Le Petit Robert vient d’annoncer l’entrée du pronom non genré "iel" dans ses pages web. On peut désormais lire : "le pronom "iel" vise à désigner une personne quel que soit son genre." Ce pronom, apparu au début des années 2010, est une proposition émanant de la communauté LGBT+ qui ne se sentait pas représentée dans le système binaire de nos pronoms avec le "il" et le "elle".

Aucun des deux pronoms ne convient pour certaines personnes, donc ils ont proposé le pronom "iel". L'usage se répand doucement et il est surtout important au sein de la communauté LGBT+.

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Selon Julie Neveux, c’est un usage militant qui prend racine dans une injustice sociale, ici perpétuée par la langue, ainsi qu’un manque de représentation et de visibilité d’un certain type de personne. L’usage militant du mot "féminicide", par exemple, a convaincu le grand public qu’il y avait nécessité de décrire ce crime spécifique. Dans le cas de "iel" ce serait un type d’identité que ni "il" ou "elle" ne permet de définir correctement.

D'après l'expérience vécue par ces personnes non genrées, l’intégration du pronom "iel" résulte d’une avancée sociale, d’une réflexion sur ce qu’est le genre comme construction sociale et sur la langue comme système de représentation. Cela véhicule un certain découpage de la réalité qui jusqu’à présent se faisait seulement entre les hommes et les femmes.

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Inclure "iel" dans le dictionnaire de la langue française

Les lexicographes du Robert ont décidé d’inclure le pronom " iel" dans leurs pages numériques au mois d’octobre, avant que la polémique ne s’enflamme, selon Julie Neveux. Ils se sont rendu compte que sur leur site il y avait un certain nombre de requêtes inabouties, c’est-à-dire des locuteurs qui entraient dans le moteur de recherche le pronom "iel".

Les lexicographes ont considéré que leur site est un service public, gratuit, accessible à tous et qu’il est important de répondre à ces requêtes et donc de définir "iel".  Il y a, par conséquent, une volonté de remplir la mission proposée par un dictionnaire en ligne accessible à tous et d'informer les autres d'un usage, certes minoritaire, mais néanmoins existant.

Selon Julie Neveux, avec les nouveaux modes de communication et la révolution numérique, il y a un bouleversement, non seulement dans la façon dont une expression va se répandre au sein des différents locuteurs d'une langue ; mais également, par rapport à la visibilité de cette expression pour tout le monde. Les réseaux sociaux sont le lieu où le pronom "iel" est le plus utilisé. Désormais, pour les linguistes il est possible de travailler sur les nuances de sens et de se demander qui utilise ce pronom non genré et pourquoi.

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Comment accorde-t-on le pronom "iel" ?

L’accord du pronom "iel" est une affaire linguistique en cours. Comment décliner les conjugaisons qui vont permettre d’insérer le pronom dans une phrase ?

Je travaille à la Sorbonne et cela fait déjà quelques années que j'ai des requêtes de mes étudiants qui disent ne pas se reconnaître dans "il" ou "elle" et qu’ils aimeraient bien que je les désigne en tant que "iel". C’est une réalité sociale que j'ai vu changer.

Comment faire avec les adjectifs ? Doit-on dire beau ou belle ? Selon la linguiste et maîtresse de conférences, il est important d’ouvrir un dialogue avec les principaux intéressés. Dans la langue française, le masculin reste la forme la moins marquée et c’est celle qui sert au neutre habituellement et qui recouvre aussi les locuteurs féminins.

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Selon Julie Neveux, également angliciste, l’anglais se prête plus facilement à la neutralité. Depuis longtemps, la majorité des locuteurs utilisent "they" au singulier, alors que c’est une forme de pluriel, pour faire référence à une personne dont on ne veut pas dire le genre. "A person came, they said.", "Une personne est venue, iel a dit" En espagnol, il existe une autre proposition qui suscite le débat, celle de la terminaison "e" pour ne pas devoir choisir entre les terminaisons "o" du masculin et "a" du féminin.

Il est clair que cette réflexion sur le fait de ne pas se reconnaître dans le masculin ni dans le féminin traverse d'autres langues que le français. Je pense que cela permet de relativiser et de se rendre compte que ce sont des mutations profondes et sociales et que c'est normal qu'elles finissent par affecter le langage parce que le français, comme toutes les langues vivantes, est perméable aux questions des personnes qui la parle.

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