"Les chansons sont des investissements aussi fiables que l’or ou le pétrole"

Après s'être longtemps reposés sur les nouvelles sorties musicales, les éditeurs montrent un intérêt croissant pour les catalogues d'artistes déjà très établis.
Après s'être longtemps reposés sur les nouvelles sorties musicales, les éditeurs montrent un intérêt croissant pour les catalogues d'artistes déjà très établis. ©Getty -  Caspar Benson
Après s'être longtemps reposés sur les nouvelles sorties musicales, les éditeurs montrent un intérêt croissant pour les catalogues d'artistes déjà très établis. ©Getty - Caspar Benson
Après s'être longtemps reposés sur les nouvelles sorties musicales, les éditeurs montrent un intérêt croissant pour les catalogues d'artistes déjà très établis. ©Getty - Caspar Benson
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Dans le milieu de la musique, la vente définitive de ses droits d’auteur semble désormais se répandre. Au micro de Marie Sorbier, le chercheur au CNRS et enseignant à Sciences Po Olivier Alexandre explique ce que cache cette nouvelle tendance.

Avec
  • Olivier Alexandre Sociologue, chargé de recherche au CNRS (Centre Internet et Société)

Une enquête dans Libération publiée le 23 avril revient sur une pratique qui semble se répandre dans le milieu de la musique : la vente définitive des droits d'auteurs. Pour comprendre ce phénomène, Olivier Alexandre, chercheur au CNRS au Centre Internet et Société, et enseignant à Sciences Po, est au micro de Marie Sorbier. Que vend-on exactement quand on cède définitivement tous ses droits d'auteur ?

Deux sources de revenu existent pour les musiciens : le contenu qu'ils vendent à des éditeurs (les plus connus étant les grands groupes américains qui ont une activité internationale comme Sony, Universal, Warner ou BMG) et les droits d'auteur. Lorsque le titre d'un musicien est joué sur une scène, ou utilisé à la radio, au cinéma ou dans une publicité, le musicien touche des droits d'auteur. Certains éditeurs de musique se chargent de la syndication, c'est-à-dire de placer des titres musicaux dans des films, séries et publicités. La syndication est devenu un enjeu majeur pour les artistes musicaux, explique Olivier Alexandre, du fait de la numérisation et de l'explosion des productions audiovisuelles. 

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Les propriétaires des droits d'auteur d'une oeuvre musicale ont-ils le droit de la modifier ? Une oeuvre musicale peut être vendue pour un temps déterminée. Aux Etats-Unis, les artistes récupèrent leurs droits au bout de 25 ans d'exploitation. 70 après le décès d'un artiste, ses droits tombent dans le domaine public. L'exploitation des droits d'auteur dans la musique s'inscrit donc dans une architecture définie, un séquençage dans le temps qui s'étend sur 100 ans, la durée de vie estimée du potentiel de monétisation d'une oeuvre musicale. 

La pandémie a accéléré le phénomène de vente définitive de leurs droits d'auteur par les artistes musicaux, qui représente une opportunité financière importante dans un contexte où les revenus ont baissé. Y a-t-il cependant d'autres motivations qui peuvent pousser un musicien à céder ses droits ? Selon Olivier Alexandre, ce phénomène correspond avant tout à l'achèvement d'un processus qui a démarré à la fin des années 1990 : la numérisation du secteur de la musique.

Le secteur de la musique est le premier à avoir essuyé les plâtres dans le domaine culturel. Aujourd'hui, on le voit avec le journalisme, la télévision, le cinéma. L'industrie du disque a été très violemment impactée par la numérisation.                            
Olivier Alexandre

Depuis la fin des années 1990, le secteur de la musique a subi des contractions radicales dans tous les pays. En France, le chiffre d'affaires est passé d'un milliard d'euros en 2000 à 500 millions aujourd'hui. En parallèle, de nouveaux opérateurs ont émergé. La plateforme Napster a ouvert la voie pour iTunes, puis Spotify et Deezer, devenus des interlocuteurs incontournables du monde de la musique actuel. Ces opérateurs ont introduit des pratiques et des modèles économiques différents. Avant leur développement, la plateforme inévitable pour le secteur de la musique était la radio. Si elle reste un passage obligatoire pour valoriser les nouvelles sorties musicales,  les plateformes digitales introduisent un temps et des logiques nouvelles.

Sur ces plateformes, lorsqu'on écoute une chanson de Bob Dylan, on peut facilement écouter tout un album de Bob Dylan, et même plusieurs, ce qui est impossible à la radio. Cette nouvelle pratique d'audition de la musique permet de revaloriser des patrimoines enfouis et oubliés.                          
Olivier Alexandre

Ce potentiel de revalorisation via les plateformes a mené les éditeurs traditionnels comme Sony, Warner et Universal à s'intéresser au rachat complet des catalogues d'artistes célèbres. Par exemple, les catalogues de Bob Dylan, Bob Marley, mais aussi Taylor Swift et Shakira ont été entièrement rachetés. De plus, de nouveaux acteurs sont entrés sur le marché. Il s'agit de fonds d'investissements créés par des professionnels de la musique, entretenant pour la plupart des liens de confiance avec des artistes. Sur la base de cette relation, les fonds d'investissement convainquent les artistes d'âge avancé des intérêts qu'ils peuvent avoir à céder leurs droits en échange de sommes importantes (le catalogue de Bob Dylan s'est vendu à près de 400 millions d'euros). Ces fonds d'investissements assurent également aux artistes qu'ils peuvent faire office d'administrateurs de droits plus compétents que des acteurs traditionnels. 

Cité dans l'article de Libération, Merck Mercuriadis, ancien manager de Beyoncé et d'Elton John, aujourd'hui directeur du fonds d'investissement américain Hipgnosis Songs Fund affirme avoir pu «démontrer à la communauté financière que des chansons établies sont des investissements aussi fiables que l’or ou le pétrole [...]. Un tel discours pourrait-il être tenu en France ? Pour Olivier Alexandre, le directeur d'Hipgnosis, fond qui est côté en bourse et qui s'adosse à des opérateurs financiers importants comme AXA et Cobalt, cherche à être provocateur. 

L'idée est que la musique, sans être une valeur refuge, pourrait être un actif plus solide que ceux sur lesquels reposent les logiques traditionnelles de l'industrie musicale, c'est-à-dire les nouveautés et la production de nouveaux artistes. La trajectoire de ces derniers étant extrêmement aléatoire, parier sur des catalogues qui ont fait leurs preuves comme Bob Marley ou Bob Dylan est plus fiable dans une logique de sécurisation dans le temps.                          
Olivier Alexandre

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