Manifestations : "C'est le refus du présent qui s'exprime aujourd'hui"

"Un pays qui se tient sage", un documentaire de David Dufresne
"Un pays qui se tient sage", un documentaire de David Dufresne - Jour2Fête
"Un pays qui se tient sage", un documentaire de David Dufresne - Jour2Fête
"Un pays qui se tient sage", un documentaire de David Dufresne - Jour2Fête
Publicité

Suite à la sortie du documentaire "Un pays qui se tient sage" de David Dufresne, nous revenons avec Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l'université de Rennes sur les enjeux internes des manifestations, entre représentation et revendication.

Avec
  • Romain Huet Maître de conférence en sciences de la communication à l’université de Rennes-2.

Suite à la sortie du documentaire Un pays qui se tient sage de David Dufresne, nous revenons avec Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l'Université de Rennes 2 sur les enjeux de la manifestation, en tension entre sa représentation et ses revendications. 

David Dufresne, dans son film Un pays qui se tient sage, prend le parti de montrer des images des manifestations des gilets jaunes avec toute la violence, l'injustice et le désespoir qu'elles véhiculent. Ces vidéos sont commentées par des intellectuels et des manifestants qui tentent, chacun à leur manière, de mettre des mots sur les comportements des forces en présence. Parmi ces voix, celle de Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l'Université de Rennes 2, auteur d'un ouvrage publié aux Presses Universitaires qui s'intitule Le vertige de l'émeute. Il revient au micro de Marie Sorbier sur sa définition de l'émeute et de la manifestation comme moyen de "donner chair" aux revendications. Il insiste notamment sur le rapport au corps qu'engagent les manifestations, comme si la violence nécessitait un ancrage concret.

Publicité

Quand elle dépasse son cadre institutionnel, la manifestation est vécue comme une épreuve assez vivante. Elle est aussi extrêmement corporelle : vous marchez beaucoup, votre corps est atteint, bousculé, en solidarité avec le corps des manifestants. C'est une épreuve vivante du politique au sens où, contrairement à des marches plus classiques, ritualisées, il y a quelque chose ici de plus incertain. Il s'y joue une rencontre avec le pouvoir plus perceptible que dans la vie de tous les jours.    
Romain Huët

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

Esthétique de la violence

Peut-on esthétiser la violence sans lui faire perdre son fondement ? Est-ce que la beauté de certains plans du film de David Dufresne peuvent, par leur qualité plastique, amoindrir le propos des gens qui sont en train de manifester ?

C'est un écueil très important. D'un côté, il faut rendre compte de ce qui est immédiatement esthétique dans une manifestation et qui produit un certain attachement chez les participants. D'un autre côté, il ne faut pas enlever la charge politique et trop romantiser ce moment et ses formes de violence. Que traduit politiquement le fait de voir des gens dont le désir de monde non canalisé, qui s'inscrit jusque dans le corps et se manifeste parfois avec brutalité ? Ce désir interpelle immédiatement le politique, et le politique ne sait trop quoi en faire, à part le régler par une force beaucoup plus importante.    
Romain Huët

Esthétiser le mouvement des manifestants, est-ce les dérober de l'essence de leur action ?

Il y a une expérience affectuelle importante dans le moment de l'émeute. Dans cette expérience, il y a quelque chose de l'ordre de la joie. Elle se mélange avec la colère, et ces mélanges d'affects peuvent être très contradictoires. Mais si on se limite à cette dimension, on ne parle pas des vies qui s'abiment, qui s'engagent, s'exposent, se rendent visible, prennent des risques physiques et judiciaires. Ces vies se dépensent et s'obstinent à tenir la rue, à avancer malgré tout, malgré un rapport extrêmement asymétrique. Cette obstination dit beaucoup de la critique, de la dénonciation, de la façon dont certains passent de l'accablement au soulèvement et refusent le présent.  
Romain Huët

Comment se faire entendre par le pouvoir ?

Dans son ouvrage Le vertige de l'émeute, Romain Huët affirme que l'émeute est une expérience de la défaite. Faire corps dans la rue est-il un moyen de reprendre la parole ?

Face aux nombreuses crises politiques que rencontre notre époque, note Romain Huët, existent autant d'analyses lucides de notre situation, qu'il s'agisse d'écologie comme d'inégalités sociales. L'ensemble de ces points de vue vise à rendre visible au pouvoir la réalité quotidienne des problèmes en question, mais que fait le pouvoir vis-à-vis de cette réalité qui lui est opposée ?

Il y a un blocage, une non-écoute radicale, qui ne peut qu'entrainer une frustration encore plus importante. Comment se faire entendre par le pouvoir ? Comment accepte-t-on un espace d'audition dans lequel, par exemple, les gilets jaunes s'expriment ? Le politique a du mal à être dans l'écoute de cette parole, car elle le dément profondément, elle dément l'orientation générale qu'il veut donner à notre société et à notre vie intime.  
Romain Huët

Pour aller plus loin :

Le Temps du débat
40 min

L'équipe