Les confinements ont mis à mal notre rapport à l'intimité, ce qui provoquent de nombreux troubles psychiques. Laurence Joseph, psychanalyste, prend appui sur le mythe de Mélusine pour expliquer ces dérèglements.
Les mesures restrictives dues à la pandémie ont mis en lumière la fragilité du lien social et des troubles psychiques sont apparus, notamment liés à notre rapport perturbé à l’intime. Pour raconter les effets de cette chute de l’intime, Laurence Joseph, psychanalyste et psychologue clinicienne, s’est appuyée sur la figure médiévale de Mélusine.
Mélusine, un reflet de notre société contemporaine face à l’intimité
Mélusine est une figure médiévale, une fée hybride entre une femme et un serpent. La légende de Mélusine a été reprise au XIVème siècle : La mère de Mélusine lui jette un sort et tous les samedis lui pousse une queue de serpent sous le nombril. Elle peut cependant avoir une vie normale, si tous les samedis, à l’abri des regards, elle s’enferme dans une pièce d’eau pour laisser la queue de serpent s’épanouir. L'histoire bascule lors de la trahison de son mari, Raymondin, qui la surprend sur ce territoire fragile que Mélusine voulait conserver. Cette dernière se sent alors trahie et se jette par la fenêtre.
« Mélusine incarne à la fois la douceur de l'intime parce qu'elle est décrite comme étant une très belle femme et une bâtisseuse ; et en même temps, dans les récits anciens, on retrouve dans sa description quelque chose d'ignoble. On insiste sur sa queue de serpent en argent, qui, quand elle s'agite, est aussi d'une grande violence. »
Cette figure féminine rassemble les deux pôles de l'intime : la douceur, la création, la pudeur mais aussi l’atteinte à cette intimité. Selon Laurence Joseph, l'intime est aussi un endroit où le sujet peut devenir autre.
« Pendant les confinements, j'ai pu entendre plus que jamais tout ce qui se passait derrière les murs. Il y a beaucoup de situations d'intimité, c'est-à-dire à l'intérieur et loin des regards, qui ont pu devenir de plus en plus violentes, de plus en plus terribles, notamment pour les enfants parce que c'était une intimité imposée. »
« L’intimité n’est pas un repli sur soi, c’est un mouvement de métamorphose. »
Laurence Joseph parle d’intimité imposée en soulignant que l’intime n’est pas un repli sur soi, et que pour que l'intime aille bien, il faut qu'il puisse librement aller à la rencontre d'une autre part de soi.
« L’intime, ce n'est pas, comme le dit Sartre, "la moite intimité gastrique", c'est-à-dire les humeurs, les sensations, les odeurs de tous les jours. L'intime, au contraire, c'est pouvoir rencontrer cette part inconnue de nous qui peut surgir à tout instant. C'est toujours un mouvement de métamorphose. Par exemple, la puberté des adolescents va requérir une grande qualité éthique de la part de l'autre. Toutefois, pendant le confinement, j’ai pu observer qu’à partir du moment où on a été confinés, où l'intime a dû se superposer au privé, cette superposition de l'intime et du privé a été catastrophique parce qu'il n'y avait plus d'élan pour parler à l’autre, avec ces quelques autres qui peuvent nous être si précieux et avec qui on consent à faire l’épreuve de la surprise en nous-même. »
La mélancolie se crée avec le sentiment d’abandon
Freud écrit dans Deuil et mélancolie : « Sans doute l’objet n'est pas totalement mort, mais il a été perdu en tant qu'objet d'amour. » Selon Laurence Joseph, ce qui a été perdu pendant le confinement, c'est la possibilité de retrouver avec liberté et quiétude ces objets d'amour.
« Je pense par exemple aux enfants, aux adolescents qui n'ont pas pu voir évidemment leurs camarades, qui n’ont pas pu être au contact de la transmission de leur professeur, puisqu'on sait que le lien au professeur peut être aussi un lieu de vocation, d'appel, c'est-à-dire d'amour, de transfert. Et tous les transferts structurants pour chaque sujet ont été largement entravés. »
D’après Laurence Joseph, pendant le confinement, il y a eu pour de nombreuses personnes, un sentiment d’abandon de la part du monde, de la part de l'État, de la santé et même de la science. Ce sentiment rejoint alors celui de la mélancolie ; en effet, Freud explique que le mélancolique va avoir le sentiment que sa fiancée l'a abandonné. Dès lors, ce sentiment de mélancolie, d'abandon s’est créé car l’intimité que l’on a pu créer au quotidien avec notre pays, avec l'Etat, se brise.
« Il y a quelque chose qui s'est fragilisé, sans oublier les angoisses de mort qui allaient bien sûr avec une pandémie, une maladie. D’un point de vue clinique, la mélancolie va toujours avec la colère. Freud l'explique très bien, on retient toujours de « Deuil et mélancolie » l'aspect romanesque de la mélancolie du XIXème siècle. Il y a une grande partie de colère et de remords d’avoir cru en cette mélancolie. »
Laurence Joseph s’interroge sur les effets du confinement dans le temps. Elle a pu constater chez ses patients, dès le printemps dernier, un retour du désir.
« Pour d’autres, et je pense évidemment à certains sujets qui se sont laissés convaincre par des théories complotistes, conspirationnistes, je vois que les choses sont beaucoup plus lentes à faire évoluer et qu’il y a aussi des convictions dangereuses qui se sont instaurées dans la représentation de certains individus. »
Actualité : L’essai La chute de l'intime, La mélancolisation du discours de Laurence Joseph vient de paraître aux éditions Hermann.
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