

Suite aux commémorations des 200 ans de la mort de Napoléon, l’historien Loris Chavanette analyse au micro de Marie Sorbier le caractère symbolique de l’Institut de France, où Emmanuel Macron a choisi de prononcer son hommage à Napoléon mercredi 5 mai 2021.
- Loris Chavanette Historien
Le 5 mai 2021, la France commémorait les 200 ans de la mort de Napoléon 1er. Pour cette occasion, Emmanuel Macron a choisi de prononcer son discours à l' Institut de France. Au micro de Marie Sorbier, l'historien Loris Chavanette analyse la dimension symbolique de ce choix.
Dans son discours, Emmanuel Macron a parlé de la France comme d'une société historique, au sein de laquelle l'Institut de France incarne la tradition littéraire et scientifique d'excellence du pays. Suite à la Révolution française, les académies avaient été supprimées. En 1795, sous le Directoire, l'Institut de France a été établi, et Napoléon Bonaparte en a été élu un membre éminent, quand bien même il n'avait publié aucun travail scientifique.
Prenant de la hauteur à l'Institut, Emmanuel Macron commémore le souvenir d'un Napoléon ami des lettres et des scientifiques. Napoléon a été un chef d'Etat à l'écoute des mathématiciens et des astronomes, voulant être toujours à la pointe des domaines scientifiques, d'autant plus qu'il était spécialisé dans la mécanique et les mathématiques en tant qu'artilleurs. C'est pour cela qu'il a été élu membre le classe des mathématiques dans la section mécanique.
Loris Chavanette
Les membres actuels de l'Institut de France sont-ils partie prenante de cette commémoration ? Comment l'héritage napoléonien est-il vécu à l'Institut ? Le critique d'art Adrien Goetz, membre de l'Académie des Beaux-Arts à l'Institut de France, a présenté à Emmanuel Macron plusieurs archives de correspondances entre Napoléon et l'Institut.
La relation entre Napoléon et l'Institut est faite de passion, mais aussi de mépris, lorsque l'empereur voulait vraiment y imposer sa patte. Néanmoins, les membres de l'Institut reconnaissent en Napoléon un ancien membre, un chef d'Etat qui a défendu la science.
Loris Chavanette
Loris Chavanette rappelle que c'est Napoléon lui-même qui a restauré l'Académie française après sa suppression lors de la Révolution, en la plaçant sous la tutelle de l'Institut national. En d'autres termes, précise l'historien, c'est à Napoléon et au cardinal Richelieu que nous devons l'Académie française telle que nous la connaissons.
Dans une tribune publiée le 4 mai dans Le Figaro, Loris Chavanette affirme que la "capacité de Napoléon à fédérer autour de sa personne les partisans de l'ancienne France et de la nouvelle, les savants et artistes de toutes les disciplines, qui est vraiment la marque de son règne". Commémorer Napoléon constitue-t-il une mise en exergue de la manière dont le chef d'Etat a marqué le savoir de son temps ? Napoléon a pris le pouvoir dans une période de crise, de guerres civile et religieuse, avec pour objectif de pacifier et de réunir ceux qui s'affrontaient au sein du pays. Pour Loris Chavanette, il a réussi cette mission en réintégrant les émigrés, en pardonnant certains royalistes qui avaient été condamnés, en tendant la main à des Jacobins comme Joseph Fouché, et en se rapprochant des libéraux, aussi connus comme les idéologues, qui étaient notamment membres de l'Institut de France et du Tribunal de Paris.
Pour que Napoléon devienne membre de l'Institut national, il a fallu qu'un siège se libère. A la suite du coup d'Etat du 4 septembre 1797, auquel Napoléon a participé, le savant et homme d'Etat Lazare Carnot a été chassé du pouvoir, condamné à la proscription sans jugement. C'est suite à cela que Bonaparte est entré à l'Institut national, après les traditionnelles visites cérémoniales auprès des membres de l'Institut. Après sa prise du pouvoir le 9 novembre 1799, Napoléon a pardonné Carnot, lui restaure sa place au sein de l'Institut national et en fait son ministre de la Guerre.
Napoléon savait unir les contraires. Il avait l'art de convaincre et de séduire, un charisme sûr, un esprit éclairé, une âme d'autorité. Cette époque en avait besoin, et il a su s'imposer de cette manière.
Loris Chavanette
Malgré les nombreuses controverses liées à l'héritage napoléonien, peut-on estimer que chaque Français est marqué de l'empreinte de Napoléon, comme l'a suggéré Emmanuel Macron en répétant plusieurs fois dans son discours que Bonaparte est "une part de nous" ? S'il est difficile de dire que chaque Français d'aujourd'hui est un héritier de Napoléon, estime Loris Chavanette, l'empreinte de l'empereur tient avant tout à la grandeur d'une époque épique, faite de gloires militaires allant jusqu'à la Russie et l'Egypte.
Il y a un fossé immense entre l'époque de Napoléon et la notre, entre sa vision du militarisme et celle que nous avons aujourd'hui, inscrite dans un registre bourgeois que Napoléon réfutait entièrement durant toute sa vie. C'est donc un paradoxe : Napoléon est à la fois l'homme de l'Antiquité romaine et l'homme de la modernité technocratique, authentiquement étatique de la France.
Loris Chavanette
Cette modernité technocratique s'incarne par exemple par le Code civil instauré par Napoléon. Bien que le Code civil ait été maintes fois transformé depuis l'Empire, certains fondements comme le droit de propriété absolu et la reconnaissance du divorce par consentement mutuel ont été imposés par Napoléon. Le Code civil correspond à une libéralisation de la France à un respect de l'égalité sous l'égide de la loi. Des conquêtes qui n'étaient pas gagnées d'avance, précise Loris Chavanette, et que Napoléon a dû imposer sous le Consulat pour qu'elles perdurent jusqu'à notre époque.
Lors de son entrée à l'Institut de France, Napoléon a remercié les membres de leur suffrage dans une lettre adressée au président de l'Institut, le 26 décembre 1797. Un texte qu'il conclut ainsi : "Les vraies conquêtes, les seules qui ne donnent aucun regret, sont celles que l'on fait sur l'ignorance. L'occupation la plus honorable, comme la plus utile pour les Nations, c'est de contribuer à l'extension des idées humaines. La vraie puissance de la République française doit consister désormais à ne pas permettre qu'il existe une seule idée nouvelle qu'elle ne lui appartienne". Ou comment le désir d'être toujours aux avant-postes de l'Histoire est une tradition française.
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