A l'occasion de l'exposition "Marginalia. Dans le secret des collections de bande dessinées" au Nouveau Musée National de Monaco, l'auteur de bande dessinée et commissaire d'exposition Damien MacDonald revient sur l’institutionnalisation du 9ème art au micro de Marie Sorbier.
- Damien MacDonald Auteur, artiste et commissaire d’exposition
L'exposition " Marginalia" consacrée aux planches de bande dessinée est présentée au Nouveau Musée National de Monaco du 1er avril au 5 septembre 2021. Pour évoquer les marges de cet art jeune, l'auteur de bande dessinée et co-commissaire de cette exposition Damien MacDonald est au micro de Marie Sorbier. L'exposition "Marginalia" a pour sous-titre "Dans le secret des collections de bande dessinée", induisant une dimension souterraine, comme s'il était encore nécessaire de se cacher pour lire de la bande dessinée. Exposer ces planches en leur donnant l'écrin pour être admirées constitue-t-il une revanche, un contrepoint à ce secret ?
L'histoire de la bande dessinée ne va pas sans celle d'une culture underground. Longtemps, le fait de lire la bande dessinée en tant qu'adulte a été perçu comme un acte absurde, aberrant. Damien MacDonald cite à ce titre une anecdote concernant le dessinateur Philippe Druillet qui, tenant un numéro de Pilote, la revue de BD, lors d'un trajet en métro, a été alpagué et interpelé par les passagers. Néanmoins, le regard sur la bande dessinée a évolué depuis, et l'année 2020 peut être considérée comme un tournant. Cette année, dont la ministère de la Culture a décidé qu'elle serait l'année de la bande dessinée, a vu Catherine Meurisse être la première autrice de bande dessinée à entrer à l'Académie française et le Collège de France dédier un cycle de conférences au 9ème art.
La bande dessinée a eu une trajectoire depuis le souterrain jusqu'à la culture admise. On oublie facilement qu'elle vient de la marginalité, que son berceau est déviant. Qu'il y a dans son message un amour de la liberté et de la transgression qui prévaut, qu'il faut entendre aujourd'hui, où la culture a tendance à s'uniformiser. La bande dessinée peut être très utile face à cette dynamique. Notre exposition veut rappeler ce postulat, cette primauté de l'esprit libre.
Damien MacDonald
En mélangeant la collection de planches de BD du musée de Grenoble et les oeuvres tirées de deux collections privées, l'exposition "Marginalia" réconcilie l'institution muséale avec un art qui en fut longtemps exclu. Comme l'explique Damien MacDonald, les auteurs de bande dessinée n'ont jamais été réfractaires quant à l'institution muséale. Leur exclusion de cet espace d'exposition est plutôt due au caractère novateur et marginal de cet art qui s'est développé en même temps que la psychanalyse et le cinéma, à une époque où l'image de soi était en pleine mutation au sein de la société. Damien MacDonald se réjouit que les institutions muséales se tournent aujourd'hui vers la bande dessinée, tout en rappelant que ce sont des collectionneurs privés qui ont préservé l'histoire du 9ème art, ainsi que quelques avant-gardistes comme Marie-Claude Beaud ayant eu l'audace d'acquérir des planches de grand maître pour le musée de Grenoble. Un geste critiqué par la Direction des musées de France à l'époque, et qui demeure novateur aujourd'hui.
L'exposition est une ouverture au public pour jubiler et avoir le plaisir de voir les personnages qui ont bercé nos enfances, nos adolescences et notre découverte de l'âge adulte, de Corto Maltese à Hergé en passant par Franquin et Little Nemo... En même temps, nous voulions envoyer un message à la manière dont les institutions considèrent la bande dessinée et de l'importance de constituer des collections. Il est dommage que les collections de bande dessinée aient eu si longtemps à rester dans le secret et qu'elles ne soient pas encore le fait des musées.
Damien MacDonald
La scénographie de "Marginalia" expose parfois une seule planche tirée d'une bande dessinée. Est-ce une contradiction de séparer ainsi des planches de bande dessinée ? Cela mène-t-il le dessin à prendre le pouvoir sur le récit ? L'objectif de cette scénographie, conçue par Marie-Claude Beaud, Damien MacDonald et Stéphane Vacquier avec les scénographes Laurent et Cyrille Berger, est de rendre hommage à une sensation étrange exprimée par plusieurs auteurs de bande dessinée. Une sensation selon laquelle, comme affirmait entre autres Moebius, extraire une planche d'un récit et l'exposer dans un cadre ressemblait à l'amputation d'un membre que l'on extrait hors d'un corps. Dans une démarche holistique et entière, l'exposition vise à permettre un regard libre et fluide, passant de planche en planche, où l'unité de l'exposition sont les cases, les récits et les dessins eux-mêmes. Pour ce faire, les commissaires d'exposition se sont penchés sur des modèles très anciens qui placent la bande dessinée en majesté dans l'histoire de l'art : la tapisserie de Bayeux, qui raconte par le truchement du lien entre dessin et texte l'histoire de la France.
Nous avons voulu reprendre ce dispositif-là en créant une circularité et un lien entre les différents auteurs. A la différence d'autres forme d'art, en bande dessinée, il y a une grande fraternité de génération en génération. Beaucoup d'auteurs se passent les clefs de leur travail, dans une forme de générosité. De la même manière que les personnages passent d'auteur à auteur et que les mythes se déclinent, les clefs d'un art se transmettent.
Damien MacDonald
La marginalité est éminemment importante pour nous. Nous l'aimons, la respectons et cherchons à la cultiver. La beauté des identités à venir a besoin de multiplicité. Le fait que la bande dessinée soit devenue à la fois institutionnelle et marginale est l'enjeu : vivre dans les deux mondes. Je crois au pouvoir d'être amphibie, de naviguer entre plusieurs réalités. Notre exposition n'est pas un cri de vouloir être hors société, mais de faire un pas de côté pour pouvoir mieux revenir parmi les hommes.
Damien MacDonald
L'équipe
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