"Passer à côté des droits culturels, c'est passer à côté des droits humains fondamentaux"

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Suite à la création par le ministère de la Culture d'une délégation visant à garantir l'accès de tous à la culture dans le respect des droits culturels, l'expert et militant en droits culturels Jean-Michel Lucas est au micro de Marie Sorbier pour décrypter cette notion aussi capitale que complexe.

Avec
  • Jean-Michel Lucas Consultant en politique culturelle et expert en droits culturels, chroniqueur de la revue Profession Spectacle

Le 1er janvier 2021, le ministère de la Culture a créé une délégation visant à garantir l'accès de tous à la culture dans le respect des droits culturels. Mais que signifie cette notion que l'on retrouve dans les textes de l' Unesco, ainsi que dans plusieurs lois françaises ? Eclaircissements au micro de Marie Sorbier avec Jean-Michel Lucas, expert et militant en droits culturels. 

Les droits culturels trouvent leur fondement dans la pensée d'après-guerre avec des figures comme celle de René Cassin, juriste, diplomate et rapporteur du projet de Déclaration universelle des droits de l'homme à l'Assemblée générale de l'ONU en 1948. 

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Ayant observé que durant la barbarie nazie, les Juifs étaient interdits par décret de participer la vie culturelle du Reich, le professeur Cassin a demander à inclure un droit de chacun de prendre part à la vie culturelle. C'est l'article 27 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, et un droit humain qui est indissociable des autres, comme le droit au logement ou le droit de choisir sa religion. Dans une démocratie comme la notre, passer à côté des droits culturels, c'est passer à côté des droits humains fondamentaux de 1948.        
Jean-Michel Lucas

Formant partie de ceux qui ont milité pour intégrer les droits culturels à la loi française, Jean-Michel Lucas considère que la notion a été intégrée sur la forme, mais pas sur le fond. Si aucune loi française ne peut déroger aux engagements de la France dans les conventions internationales, les droits culturels ont donné lieu à de nombreux désaccords entre le gouvernement, les acteurs sociaux et les partis politiques. 

On a la notion de droits culturels, mais sans la compréhension ce qu'ils signifient. Cela donne une situation où les droits culturels sont partout car nous sommes en démocratie et dans un Etat de droit, et en même temps ils ne sont nulle part car la plupart des acteurs pensent que la culture s'arrête aux arts. Pour les droits humains fondamentaux, dire que nous ne sommes pas tous des acteurs culturels est un non-sens : nous sommes tous des êtres de culture.        
Jean-Michel Lucas

En 1947, quand René Cassin fait inclure les droits culturels aux droits humains fondamentaux, il s'agit de revendiquer le droit de chacun de participer à la vie culturelle et tous ses domaines. Néanmoins, cette notion doit évoluer avec les combats sociaux qui se développent entre 1948 et 2001. Des penseurs comme Aimé Césaire, Léopold Senghor et Frantz Fanon rappellent que si l'on considère comme "oeuvres capitales de l'humanité" à l'héritage des Lumières, il faut également prendre en compte toutes les cultures qui ont été éradiquées, transformées et folklorisées. La notion de droits culturels intervient pour revendiquer que toutes les manières qui existent de symboliser et de réaliser le monde doivent être prises en compte comme des éléments de l'humanité. Le résultat concret arrivera en 2001, avec la Déclaration universelle sur la diversité culturelle. 

L'humanité est faite de la diversité de toutes les cultures et de toutes les personnes qui peuvent être considérées comme libres et dignes. Il s'agit d'être attentif à la culture de l'autre pour faire humanité ensemble. La culture, c'est exprimer son humanité à autrui, et faire une politique culturelle, c'est faire une politique qui permet de faire humanité avec les autres.        
Jean-Michel Lucas

Au lieu de penser simplement au nombre de spectacles et de spectateurs, au chiffre d'affaires, la question est celle de la relation d'humanité. Celui qui se présente sur le terrain de la culture doit être attentif à la manière dont se construit cette relation.      
Jean-Michel Lucas

La mise en place et le respect des droits culturels est l'affaire de chaque citoyen. Être attentif à l'humanité des autres, c'est être attentif à la liberté de parole, d'expression et de déplacement des autres, veiller à la préservation pour tous de la dignité et de la liberté. Les droits culturels impliquent une attention à et une reconnaissance de l'autre.

Dans sa tribune au Monde parue le 29 janvier, le chroniqueur Michel Guerrin souligne l'idée selon laquelle le respect des droits culturels passe par la prise en compte de la participation du public dans la culture. De ses premiers moments en tant que militant pour les droits culturels, Jean-Michel Lucas se souvient de la réticence de certains professionnels de la culture et d'institutions culturelles publiques.

On m'avait dit : "les droits culturels, c'est l'opérette à la place de l'opéra". Ça m'a bouleversé car c'est tout le contraire : il faut se demander si l'individu a choisi d'être public et de participer. A quel endroit et comment la politique publique permet-elle aux personnes de se positionner ?      
Jean-Michel Lucas

Jean-Michel Lucas cite à titre d'exemple son travail avec la compagnie L'Ile de la Tortue où des femmes issues de quartiers prioritaires ont négocié pour être accompagnées vers l'offre théâtrale, mais aussi pour pouvoir faire leur propre programmation au sein de leur communauté.

C'est ce temps de négociation où chacun a eu ses responsabilités et ses réciprocités qui est le temps des droits culturels.      
Jean-Michel Lucas

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