

Vocalises d'oiseaux ou stridulations d'insectes, les sons des animaux peuvent-ils être considérés comme de la musique ? Jérôme Sueur, éco-acousticien, nous rappelle l'importance de l'étude de tous ces sons du vivant pour préserver la biodiversité.
- Jérôme Sueur Eco-acousticien
La biodiversité est menacée et nous commençons réellement à l'entendre. En 50 ans, 50% des sons du vivant ont disparu. Cette musique de la nature - vocalises d'oiseaux, stridulations d'insectes, hurlement choral du loup - n'a pourtant eu de cesse d'inspirer poètes et musiciens. Ne peut-on pas alors considérer ces voix animales comme de la musique et dépasser ainsi l'ancienne partition du monde, entre nature d'un côté et culture de l'autre.
Tendre l'oreille au vivant
Jérôme Sueur étudie les sons de la nature pour les inventorier et protéger la biodiversité. À la question de savoir si les voix animales seraient de la musique, la science répond par la négative, mais Jérôme Sueur tempère : à chacun d'y répondre, personnellement, selon sa propre sensibilité. Dans la majorité des cas, les comportements sonores interviennent dans un contexte de reproduction. Cependant, même dans l'appel du mâle à séduire la femelle émane une forme d'esthétisme.
"Finalement, le son le plus beau, c’est-à-dire qui est souvent le plus fort, le plus rapide, le plus modulé, le plus complexe, plaira plus aux femelles." Jérôme Sueur
En tant qu'auditeur, l'homme compare le plaisir engendré par ces sons au plaisir éprouvé lors d'écoute de la musique humaine. Les deux nous séduisent.
Les paysages sonores, de nouveaux points d'écoute
Outre les animaux, les éco-acousticiens tendent également l'oreille aux paysages sonores.
"On ne s'intéresse pas à un seul individu, mais on s'intéresse à tous les individus, à toutes les espèces qui chantent en même temps dans un lieu donné, une forêt, une rivière ou un océan." Jérôme Sueur
Les paysages sonores sont donc constitués des bruits ambiants qui courent dans un paysage particulier : le bruit du fleuve, du vent, de la pluie, de la rivière qui coule, alliés aux sons produits par l'homme dans cet environnement. Il est même possible d'enregistrer sous l'eau, notamment la barrière de corail que Jérôme Sueur rapproche d'une forêt tropicale sous-marine.
"On suit ces paysages sonores pour savoir comment ils peuvent évoluer spatialement au sein d'une forêt par exemple, et puis au cours de plusieurs années pour voir comment ils évoluent, notamment en fonction de grands changements tels que les changements climatiques." Jérôme Sueur
Le changement climatique s'entend aussi
Le changement climatique affecte les animaux de manières distinctes : directement s'ils dépendent des conditions climatiques pour leurs communications sonores - ils chanteront alors moins s'ils sont empêchés par la pluie, ou si au contraire, si les températures s'élèvent au-dessus d'une certaine température. (exemple des cigales) ; ou indirectement, si c'est l'habitat qui est transformé petit à petit. La modification de la flore par exemple, va impacter l'ensemble du paysage.
"Ce sont des effets vraiment écologiques, une cascade d'interactions entre les espèces, depuis les plantes jusqu'aux animaux et jusqu'aux sons qu'ils produisent." Jérôme Sueur

Jérôme Sueur regrette qu'il n'y ait pas ou peu d'archives sonores des paysages pour mesurer les différences. "On commence presque un peu tard", confie-t-il au micro de Marie Sorbier. Néanmoins, comme la biodiversité est actuellement en plein effondrement, il faut s'attendre à une baisse brutale des sons des insectes et des oiseaux et, in fine, un appauvrissement des paysages sonores.
"Cet été, il a fait tellement chaud qu'il n'y avait quasiment plus personne : plus d'espèce animale dans certains lieux, parce qu'il n'y avait plus d'eau, ni à boire ni à manger. Donc tout était silencieux." Jérôme Sueur
Sur terre, mais également sous l'eau, le silence porte le stigmate de la crise de la biodiversité. L'acidification des océans conduit à un blanchiment des coraux qui en meurent, et avec eux toute la faune alentour et les sons qui les accompagnent.
- Pour en savoir plus sur tous ces sons du vivant, l**'exposition "Musicanimale, le grand bestiaire sonore" se visite du 20 septembre 2022 au 29 janvier** 2023 à la Philharmonie de Paris.
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