

Les langues régionales se battent pour survivre, alors que leur enseignement se voit de plus en plus menacé, comme le décriaient 128 universitaires et chercheurs dans une tribune de février 2020. Nous étudions cette question avec Francky Lauret, le premier linguiste agrégé en langue créole.
- Francky Lauret Universitaire, dramaturge, écrivain, agrégé en langue créole
Les langues régionales ont été reconnues tardivement par la République française et sont à nouveau menacées dans l'enseignement, notamment dans le cadre de la réforme du baccalauréat. C'est ce qu'estiment 128 universitaires et chercheurs qui ont signé
une tribune dans Le Monde intitulée "Pour les langues régionales, en danger pressant il faut ouvrir les fenêtres de la diversité", publiée sur le site du quotidien en février 2020. Dans le même temps, une véritable dynamique est en train de se développer, à mesure que plusieurs territoires se battent pour que leur langue soit transmise aux nouvelles générations.
Nous écoutons à ce sujet Francky Lauret, universitaire, écrivain et dramaturge,
premier titulaire d'une agrégation en langue créole, depuis juillet 2020. Au micro de Marie Sorbier, il explique ce qu'une telle reconnaissance universitaire peut représenter pour sa langue régionale, en commençant par nous en expliquer les particularités.
Créolistique
La langue créole n'est pas la même selon les îles. Toutes ces langues partagent un peu la même histoire et la même structure, mais restent très différentes. Néanmoins, si des étudiants créoles se rencontrent dans l'hexagone, ils peuvent adopter un parler créole compréhensible entre eux, un "inter-créole".
Francky LauretPublicité
Faut-il ou ne faut-il pas enseigner des langues régionales comme le créole à l'école ? Aux yeux du dramaturge réunionnais, c'est déjà une mauvaise entrée dans ce sujet que de poser la question en ces termes.
Ce sont des disciplines qui sont rentrées dans l'Education nationale, et donc la question est ailleurs. On sait que l'on doit enseigner les langues régionales, mais il faut se demander comment.
Francky Lauret
Les études créoles, précise-t-il, sont nées au milieu du XIXe siècle, relativement au même moment que la linguistique. Elles se sont étendues à nombre d'autres disciplines comme l'histoire ou la littérature comparée.
Nous, professeurs de créole, devons hybrider nos enseignements sur ces pointes du domaine de la recherche. C'est peut-être ça la créolistique : être à la fois linguiste et historien.
Francky Lauret
Ses premières publications littéraires, Francky Lauret ne les rédigeait qu'en langue française. C'est uniquement vers la fin de son parcours académique, en s'engageant dans un doctorat, qu'il rencontre les études créole et intègre sa langue à son écriture.
Ma pratique de l'écriture et mon enracinement dans la vie culturelle réunionnaise ont nourri ma capacité à aborder l'étude. De même, l'étude nourrit forcément mon écriture.
Francky Lauret
Quel que soit l'espace, les langues créoles sont des langues vivantes et dynamiques. Elles ont été intégrées aux langues vivantes régionales, qui sont des langues anciennes antérieures au français, peu parlées. Ces langues régionales circulent de moins en moins dans la société courante, alors que le créole occupe une place prépondérante dans le quotidien et la communication, dans les espaces créoles.
Prendre en compte la langue créole, c'est accueillir l'identité des gens, plutôt que pratiquer une assimilation culturelle de gré ou de force dans la langue française.
Francky Lauret
L'objectif, selon Francky Lauret, est d'atteindre un bilinguisme français-créole. Mais aujourd'hui nous dit-il, la prise de parole en français dans l'espace scolaire peut être difficile pour un Réunionnais. C'est à ses yeux l'incarnation d'une relation complexe d'un peuple avec sa propre langue.
L'histoire de la décolonisation à la seconde moitié du vingtième siècle a formaté des représentations qui imprègnent totalement nos relations. Beaucoup de membres de ma famille peuvent considérer que je suis un imposteur, que je suis devenu agrégé d'une langue qui n'en est pas une. Et en face, il y a une affirmation continuelle de la fierté créole.
Francky Lauret
Il faut se réconcilier avec les deux langues, et se défaire de l'idée qu'une est vraie et que l'autre n'en vaut pas la peine. Le créole n'a pas été pris en compte par les institutions jusqu'à très récemment, mais il a vécu. La culture qu'elle véhicule a continuellement été portée, dans la tradition orale des conteurs et chanteurs, mais aussi chez les écrivains. On n'a jamais autant enregistré, écrit, filmé en créole qu'aujourd'hui.
Francky Lauret
A titre comparatif, Francky Lauret cite la Corse. Cette autre île a intégré l'enseignement de sa langue dans l'emploi du temps de ses élèves, tout en leur laissant la liberté de ne pas y assister, cet enseignement étant défini comme facultatif par l'Education nationale. Alors qu'à la Réunion, les élèves devaient, dans les premiers moments de l'enseignement du créole, se munir d'une autorisation parentale pour en bénéficier.
Nous avons des professeurs formés, mais des difficultés à créer des classes. Les parcours universitaires sont questionnés quant à leur rentabilité économique. Néanmoins, j'ai espoir que lors des états généraux du multilinguisme, en octobre 2021 à la Réunion, que la société se prononce en faveur d'une politique linguistique réunionnaise.
Francky Lauret
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