Pourquoi autant de romans contemporains sont-ils des autofictions ?

Librairie L'instant - Paris XV
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De plus en plus de romans contemporains se définissent comme des "autofictions". Philippe Vilain, écrivain et essayiste nous donne une définition de ce genre littéraire très en vogue.

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521 en septembre 2021, 545 en janvier 2022, les rentrées littéraires offrent aux lecteurs de plus en plus de romans et parmi eux, nombreux sont ceux qui se définissent comme autofiction. 

« Autofiction », Comment définir ce genre littéraire?

Selon Philippe Vilain, écrivain et essayiste, le terme autofiction a été inventé par Serge Doubrovsky en 1977. 

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« L’autofiction est devenue un mot valise désignant tout et son contraire ; notamment les textes relevant de l’autobiographique, mais différenciant les textes engagés dans un processus autofictionnel et les textes refusant cet engagement, comme les textes d’Annie Ernaux qui sont de véritables récits autobiographiques mais qui, pourtant, sont accolés au terme autofiction. En effet, on dit d’Annie Ernaux qu’elle écrit des autofictions ; or elle récuse ce terme parce que depuis 1983 avec « La Place » elle a construit son œuvre contre la fiction. »

Serge Doubrovsky définit l’autofiction comme une fiction d’évènements et de faits réels qui donne à un auteur, la liberté de romancer sa vie ou de lui donner un prolongement, un élargissement fictionnel ou poétique. 

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« Cette définition est très vague : quinze clauses très restrictives qui sèment finalement, encore plus la confusion ; à savoir, parmi les plus importantes, une clause nominale. Il faut, dit-il, pour qu'il y ait autofiction, l’homonymat entre les trois instances narratrices que sont l'auteur, le narrateur et le personnage. Autrement dit, si je veux écrire une autofiction, il faut que dans mon texte mon nom soit mentionné pour que cela appartienne à ce genre. »

Pour Philippe Vilain si on respecte la définition de l’autofiction de Serge Doubrovsky, on exclut alors toutes sortes de textes comme L’amant de Marguerite Duras, considéré comme autofictionnel ; pourtant, il n’y a pas le nom de Marguerite Duras. Dès lors, Philippe Vilain a été amené à revoir cette définition en soutenant que ce n’est pas seulement une autofiction nominale mais une autofiction « anominale ». 

« C’est au lecteur de donner au texte sa propre vérité »

« La deuxième clause, parmi les quinze clauses très discutables, est une clause générique. Il faut qu'il y ait la mention « roman » sur la couverture. Cela  pose un problème théorique d'importance, à savoir que cela nous impacte en tant que lecteurs car c’est à la fois contradictoire et ambivalent. Cela veut dire que c’est réel et fictif en même temps et que c’est au lecteur de choisir. »

Selon Philippe Vilain, cela fait renouer le lecteur avec la conception d'Umberto Eco de L’œuvre ouverte. C’est au lecteur de donner du sens au texte et de donner sa propre vérité. En outre, cela a permis aux autobiographes, d’après Philippe Vilain, de créer une scission dans « l’école du moi » comme Annie Ernaux qui est restée fidèle à la réalité, au réel. Quant, aux autofictionnels, comme Serge Doubrovski, ils pensent que la vérité ne peut advenir que dans un processus de « fictionnement ». « En me souvenant, en me remémorant, je m'invente. » Serge Doubrovski. 

Philippe Vilain cite Roland Barthes « « Je » est une figure plus subtile de l’anonymat. » L’idée est qu’en écrivant sur soi, on essaie de se dépersonnaliser au maximum. En s’exposant, on se dissimule afin de trouver la forme la plus universelle à travers la chose vécue, la plus personnelle.

En savoir plus : Serge Doubrovsky
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Comment s’explique l’abondance des autofictions ?

L’autofiction participe des fictions du réel qui ont cours aujourd'hui dans les deux premières décennies du XXIème siècle.

«  Les trois genres dominants de ce début de siècle sont l'autofiction, on s’arroge la liberté de déformer sa vie ; le docufiction, on prend un fait divers ou un moment historique et on s'arroge la liberté de le déformer ; et puis, la biofiction, on prend la vie d'une personnalité pour la romancer. Ce qui est intéressant, c'est que ces trois fictions du réel étaient des genres il y a 20 ou 30 ans, très mésestimés et qui faisaient l'objet d'un certain mépris intellectuel. »

D’après Philippe Vilain, l’autofiction, le docufiction et la biofiction étaient considérés comme de la sous-littérature. Aujourd'hui, ils sont devenus une littérature légitime.

Actualité : l'ouvrage de Philippe Vilain Mille couleurs de Naples, a été publié le 18 août 2020 aux éditions Stilus.

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