Metteuse en scène, auteure et interprète madrilène, Angélica Liddell a toujours fait de la scène une arène dans laquelle se confrontent ses démons et se déchaînent toutes les passions. Au micro d’Arnaud Laporte, immersion dans le processus créatif et les imaginaires d'une "pornographe de l’âme".
- Angelica Liddell Artiste metteuse en scène auteure et interprète espagnole
Le 27 octobre 2021, à l'occasion de la création de deux nouveaux spectacles, Terebrante et Liebestod [L’odeur du sang ne me quitte pas des yeux], la metteuse en scène, auteure et interprète Angélica Liddell revenait au micro d'Arnaud Laporte sur ses méthodes de travail et ses inspirations.
On a découvert le théâtre cathartique d’Angélica Liddell en 2010 à Avignon avec La Casa de la Fuerza " et L’année de Ricardo . Depuis, la radicale madrilène n’a cessé d'interpeller, de bouleverser voire de scandaliser avec des œuvres éruptives. Elle ose tout et donne corps à l’horreur et la douleur du monde via son propre corps, souvent soumis sur scène à de rudes épreuves.
Le geste dramatique comme survie
Chez Angélica Liddell, le théâtre est à la fois un sacrifice et un geste de survie qui répond à une nécessité intérieure impérieuse. Fille de militaire élevée sous le franquisme en Espagne, elle meuble son enfance solitaire par des cours d’art dramatique et par l’écriture de mélodrames dialogués.
A l'âge de 13 ans, j'écrivais des pages et des pages avec une machine à écrire. Tous les personnages mourraient. C'était de la souffrance pure chez chacun. […] J'avais la nécessité de mourir à travers mes personnages. Angélica Liddell
Ce n'est pas quelque chose que j'ai décidé de faire à l'âge adulte de me consacrer à l'art. C'est quelque chose qui a toujours été présent chez moi, comme une manière de me sauver. Angélica Liddell
Après des études d’interprétation dramatique, la madrilène fonde avec l’acteur Gumersindo Puche la compagnie Atra Bilis en 1993. L’expression signifie "Bile noire", fluide qui est considéré dans la médecine antique comme ce qui, provenant de la rate, provoque l’état de mélancolie.
Dans un pays où les scènes alternatives sont rares, Angélica Liddell met un peu de temps à s’imposer. Sa ligne n’a pourtant jamais changé. Dès ses premières œuvres, l’artiste prend le parti de la confession plutôt que de la fiction et s’intéresse aux figures de la monstruosité. Depuis son double coup d’éclat à Avignon en 2010, elle n’a cessé de repousser sans cesse ses limites et de transcender le désir de mort qui l’habite depuis l’enfance.
Au cours de l'entretien, l'artiste nous entraîne dans les coulisses de son processus créatif :
La musique est ce qui me permet d'organiser le chaos. Sans ce premier chemin qui m'aide à organiser la structure de l'œuvre, cette relation que je fais entre la musique et la création, je n'arrive pas à créer la pièce. La musique arrive là où la parole n'arrive pas. C'est ce qui me permet de créer des images grâce à mes sources d'inspiration, c'est là que je me sens la plus libre. Angélica Liddell
Je vois les textes sous l'angle de la littérature et de la poésie. [...] Une fois que le texte est écrit, lorsque je le fais rentrer en moi, je le corrige au fur à mesure que je le mémorise. Et si le corps expulse certains mots, certaines choses que je n'arrive pas à incarner, le corps même corrige le texte, le nettoie. Il y a des mots qui ne peuvent être incarnés. Et ça, mon corps le sait. Angélica Liddell
Un théâtre cathartique
Angélica Liddell est à la fois performeuse, actrice, dramaturge, chorégraphe, et metteuse en scène, et à la fois rien de tout ça. Sur scène, elle est elle-même et ne peut faire autrement. Dans Madre puis Padre qui composent son diptyque Una Costilla sobre la mesa présenté au Théâtre national de la Colline en 2020, l’artiste explorait par exemple son rapport à ses parents décédés, entre expiation et adoration, impudeur et cérémonial de la douleur.
La parole doit toujours être en conflit sur la scène. Angélica Liddell
C'est à travers ma propre tension spirituelle que cette catharsis se produit_._ […]Tout le monde peut entrer dans ce périmètre chamanique et rituel qu'est la scène. Angélica Liddell
Résolument transgressive, la madrilène utilise la scène comme une catharsis personnelle pour se déconstruire et pour interroger la façon dont chacun et chacune s’accommode de l’intolérable.
La virulence d’Angélica Liddell à son endroit vient également dire son dégoût du monde. Son travail en effet trouve de grandes résonnances politiques, il est affaire de "résistance civile". The Scarlet letter en 2019 par exemple dénonçait, non sans rage, l’hypocrisie et le puritanisme de notre société tandis que La Caza de la ferza posait la question universelle du rapport des femmes au sadisme des hommes matérialisée dans la société mexicaine. L'artiste revient durant l'entretien sur ses sources d'inspirations, notamment David Lynch :
David Lynch nous rend notre part obscure. Cet été, j'ai eu la possibilité de revoir tous ses films au cinéma et je suis rendue compte qu'il nous rendait quelque chose qui est en train de disparaître. Aujourd'hui, le monde de l'art s'appuie sur des revendications constantes qui ont à voir avec ce qui est approprié, avec la recherche de la responsabilité démocratique... Tout va dans cette direction. Et pourtant, quand j'ai vu les David Lynch, ça m'a rendu une énergie énorme qui vient d'un monde intérieur, d'un monde irresponsable, quelque chose qui vient de la folie. Angélica Liddell
Pour moi, les œuvres sont des obsessions. J'entre dans un chaos où tout me parle de l'œuvre. Donc tout peut rentrer pour appartenir à cette création. Angélica Liddell
Son actualité :
- Le spectacle Liebestod [L’odeur du sang ne me quitte pas des yeux] sera présenté du 10 au 18 novembre à l'Odéon - Théâtre de l'Europe, à Paris, dans le cadre du Festival d'Automne
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