Angélique Kidjo : "Ce qui me touche, je ne peux pas m'empêcher de le partager"

Angélique Kidjo
Angélique Kidjo - Fabrice Mabillot
Angélique Kidjo - Fabrice Mabillot
Angélique Kidjo - Fabrice Mabillot
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A l'occasion de la sortie de son nouvel album, Mother Nature, la chanteuse béninoise Angélique Kidjo revient, au micro d'Arnaud Laporte, sur sa formation sensible, sa vocation de chanteuse et son parcours, qui l'a conduite du Bénin aux Etats-Unis.

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Le 18 juin sortira chez Universal Mother Nature, le dernier album d'Angélique Kidjo. L'occasion pour la chanteuse béninoise de revenir, au micro d'Arnaud Laporte, sur sa formation intellectuelle, son parcours artistique, et les engagements qui nourrissent son œuvre. 

Une enfance en musique 

Angélique Kidjo est née au Bénin d’un père fon et d’une mère yorouba. Elle grandit donc dans une certaine diversité de cultures, dans une foi plurielle, et surtout entourée de musique. Dès son plus jeune âge, sa mère, directrice d’une compagnie de théâtre la convie à chanter sur scène avec la troupe. Puis, adolescente, elle chante au sein du Kidjo Brothers Band, le groupe que forment ses frères. Ensemble, et avec l’aide de leur père qui les emmène en voiture, ils se produisent dans un club de Cotonou.

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J’ai commencé ma carrière en famille. Mon père faisait les photos, il enregistrait, il filmait mes concerts pour pouvoir les critiquer après, maman faisait les costumes, mon frère m’aidait à mettre des accords sur mes compositions. Tout le monde y participait. Quand je voyageais, je ne voyageais jamais seule (…). J’ai été dans un famille qui m’a appris que travailler ensemble, avec des gens, ça vous aide à évoluer. 

Entre les disques à la maison et les concerts auxquels elle assiste, Angélique Kidjo fait des découvertes déterminantes : il y a tout d’abord Bella Bellow qui est la première vedette africaine qu’elle ait admirée, puis Aretha Franklin qui lui prouve que le visage d’une femme noire peut figurer sur une pochette de disque, mais aussi Célia Cruz qui a démystifié à ses yeux la suprématie masculine dans la musique, ou encore Miriam Makeba qui lui a permis de comprendre que c’est à travers la chanson qu’elle pourrait s’exprimer. C’est en effet aussi par la musique, qui lui fait découvrir la traite esclavagiste et l’apartheid en Afrique du Sud, qu’Angélique Kidjo se forge une conscience politique.

Quand j’ai découvert l’existence de l’esclavage, de l’apartheid, je me suis dit : tous les artistes de cette diaspora m’ont donné une conscience de ma propre identité et de ma place dans ce monde. Si je fais de la musique, je créerai des ponts culturels avec tous les artistes de cette planète, quelle que soit leur langue ou leur couleur de peau pour qu’on comprenne qu’il n’y a qu’une humanité et que dans cette humanité, il y a des diversités, des différences et que c’est ça qui fait le défi et la beauté de la race humaine.

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Du Bénin aux Etats-Unis, une brillante carrière musicale

Progressivement, Angélique Kidjo se fait connaître et acquiert une certaine renommée. Mais dans les années 1980 au Bénin, la dictature limite sa liberté de création, et le métier de chanteuse n’est pas considéré comme respectable. Elle décide donc de quitter son pays et en 1983, elle s’installe à Paris. 

On dit toujours qu’il n’y a pas de misogynie dans l’art, mais c’est un monde d’hommes autant que partout. Et nous les femmes, on essaye toujours de se mettre entre les fissures. Mais quand on est africaine, noire, femme, dans ce métier, la peine capitale est là avant même qu’on ait commencé à chanter. Et je m’en suis rendue compte déjà en étant chez moi parce que les gens pensent que si tu es une fille et que tu chantes, tu es forcément une prostituée. Mais mon père m’a toujours dit : ton talent n’a pas de sexe, alors tu y vas. (…) Mais c’est vrai que quand on est une femme noire et qu’on arrive dans un pays occidental, c’est très dur. Le fantasme sur la sexualité de la femme noire, cette image, ça a toujours été un problème pour moi. 

Elle suit alors des cours de chant au Centre d’Information Musicale, une école de jazz dans laquelle elle rencontre notamment Jasper Van’t Hof, leader du groupe Pili Pili qu’elle intègre dès 1984. Ensemble, ils enregistrent plusieurs albums. Mais la carrière d’Angélique Kidjo décolle véritablement en 1989 avec son premier album solo, Parakou, remarqué par Chris Blackwell, le patron du célèbre label Island. Elle connaît alors rapidement une renommée internationale, et s’installe à la fin des années 1990 aux Etats-Unis.

En tant qu’artiste, je voulais garder ma liberté d’écrire les musiques que je veux, mon identité culturelle, tout ce que je suis. Et je me suis rendue compte que l’avoir eu pendant les dix premières années de ma vie comme directeur artistique, ça changeait beaucoup de choses. Chris Blackwell n’a pas seulement créé la maison de disque Island, n’a pas seulement produit Bob Marley (…), c’est quelqu’un qui une écoute différente. (...) C’est quelqu’un qui écoute, qui est avec l’artiste, et qui accompagne du moment où on fait les maquettes jusqu’à la fin. Et il m’a appris aussi que faire un album, ce n’est pas seulement ce qu’il y a dans l’album : la pochette de disque compte autant (…) et qu’à chaque fois, il faut qu'il y ait une identité pour mes albums, et que ça reflète ce que je dis dedans.

La musique d’Angélique Kidjo se caractérise par son éclectisme : elle chante en effet autant en fon qu’en yorouba, en anglais ou en français, et puise dans ses racines béninoises, mais se nourrit aussi du zouk, de la rumba, du jazz, du gospel, de différents styles de musique latine, etc. Avec ses albums Oremi (1998), Black Ivory Soul (2002) et Oyaya ! (2004), elle réalise par exemple une trilogie d’albums autour de la question de l’esclavage, cherchant à retracer ce que sont devenus les traditions et les rythmes africains sur d’autres continent : elle confronte alors ses racines béninoises aux musiques afro-américaines, afro-brésiliennes et aux cultures cubaines et caribéennes. 

Quand j’ai décidé de faire cette trilogie d’albums pour retracer la route de l’esclavage à travers la musique, c’est devenu évident pour moi que je voulais voir les gens dans les yeux quand je leur parlais de mon projet. (…) Quand j’ai amené ce sujet sur la table, il y a eu un moment de gêne. (…) C’est connu, mais tout le monde fait comme si ça n’avait jamais existé. Mais moi je ne suis pas là pour questionner qui a fait quoi, qui est coupable, ce n’est pas mon propos. Mon propos est que cette musique que tout le monde écoute est quand même arrivée avec les esclaves venus d’Afrique : comment est-ce qu’on peut parler de l’esclavage et vivre avec cette histoire et avancer ensemble, trouver une raison de vivre, malgré les douleurs qui sont liées à cette histoire. (…) 

Par ailleurs, elle collabore avec les plus grands : dans Djin Djin (2007) par exemple, des musiciens béninois se mêlent à des pointures internationales comme Peter Gabriel, Alicia Keys ou encore Carlos Santana.

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Ses engagements

Par ailleurs, sa conscience politique ne l’a jamais quittée, et ses engagements sont multiples : que ce soit au sein de l’Unicef, d’Oxfam ou de sa propre fondation, Batonga, qu’elle crée en 2006, Angélique Kidjo défend l’importance de l’éducation et des droits des femmes, convaincue que ce sont elles qui pourront offrir à l’Afrique un avenir meilleur. Dans son album EVE (2014), elle leur rend hommage, accompagnée de chorales féminines du Kenya et du Bénin.

Angélique Kidjo a reçu de nombreuses récompenses : elle est lauréate de l’Académie Charles Cros et a remporté quatre Grammy Awards pour ses albums Djin Djin (2007), EVE (2014), Sings (2015) et Celia (2019). Considérée comme l’une des cent femmes le plus influentes du monde, elle est une véritable icône du continent africain.
En 2017, elle raconte ses mémoires dans La Voix est le miroir de l’âme (Fayard). 

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Son actualité : sortie le 18 juin chez Universal de son album Mother Nature.
L'ouvrage Je chemine avec Angélique Kidjo, série d'entretiens menés par Sophie Lhuillier, a paru aux Editions du Seuil le 8 avril 2021.
Angélique Kidjo sera également en concert les 10 et 11 juillet, accompagnée par Alexandre Tharaud, dans "Les mots d'amour", un spectacle mis en scène par Vincent Huguet.

Sons diffusés pendant l'émission

  • "Atcha Hounh", Angélique Kidjo, Oyo (Proper Records) 2010.
  • "Quimbara", Célia Cruz, Live au Zaïre, 1974.
  • "Ces petits riens", Angélique Kidjo, Black Ivory Soul (Columbia), 2002.
  • Léopold Sédar Senghor lit "Femme noire", extrait de Voix de poètes, Vol. 1 (Des poètes disent leurs textes), par Olivier Germain-Thomas, Radio France / Ina, 2010.
  • "Mother Nature", Angélique Kidjo, Mother Nature, 2021.

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