L'autrice Brigitte Giraud revient sur son parcours, en tant qu'écrivaine et musicophile. Au micro d'Arnaud Laporte elle raconte la genèse de son art et réfléchie sur la place du corps, de la musique et de la mémoire dans son oeuvre littéraire.
- Brigitte Giraud Autrice, prix Goncourt 2022 pour "Vivre vite"
Brigitte Giraud est sans conteste l'une des autrices majeures de notre époque. Son écriture est parfois fragmentaire, comme dans “J’apprends” (2005) ou dans le recueil de nouvelles “L’amour est très surestimé” (2007), parfois plus proche de la chorégraphie comme dans “Avoir un corps” (2013), qui s’inscrit dans le prolongement d’une lecture dansée créée en dialogue avec la chorégraphe Bernadette Gaillard. Le corps a généralement une place importante dans l’écriture de Brigitte Giraud, qui tantôt adopte son point de vue pour narrer la croissance, tantôt en décrit les traces mémorielles et les affections dans “Un loup pour l’homme” (2017), récit inspiré de l’histoire de son père lors de la guerre d’Algérie. La question de la mémoire enfin, aussi bien celle du drame intime que de l’histoire politique et collective, trame son œuvre littéraire. Après avoir mené des recherches sur la montée du fascisme et les autodafés nazis pour son livre "Une année étrangère" (2009) Brigitte Giraud travaille le Portugal de Salazar dans "Nous serons des héros" (2015). Elle a également fait œuvre de deuil en exprimant la perte et le manque ressentis après le décès de son compagnon dans “A présent”, “Marée noire” et “Les Veuves”. Le 27 octobre 2022, Arnaud Laporte recevait l'écrivaine à l'occasion de la parution de “Vivre vite” (Flammarion, 2022), pour lequel elle a depuis obtenu le Prix Goncourt et un livre jeunesse : “Porté disparu” (École des Loisirs, 2022).
Lire et écrire pour s'émanciper
"Ma première évolution a vraiment été l'apprentissage de l'écriture et de la lecture, à six ou sept ans. Je trouvais que c'était un miracle absolu d'être capable d'assembler des mots pour restituer quelque chose du monde qui nous entoure. Et de l'autre côté, l'apprentissage de la lecture a été une expérience d'émancipation absolue. (...) Chez moi, le journal était interdit pour les enfants, comme s'il contenait tout ce qui était terrifiant et allait menacer l'enfance et la faire basculer. L'endroit du crime, de la politique, l'endroit des choses qu'on cache aux enfants." Brigitte Giraud
"Mon tout premier écrit était un roman de deux pages, très simple. Et je me rends compte aujourd'hui qu'il contient absolument tous les thèmes que j'ai développés par la suite. C'est une histoire très naïve d'un enfant qui vit dans une maison avec ses parents à l'orée de la forêt. Déjà, il y a la maison, il y a la forêt, il y a les parents et il y a quelque chose qui ne se passe pas bien. Il y a du bruit dans la nuit, l'enfant sort, le père sort pour savoir ce qui se passe. Il pense que c'est un loup - le fameux "loup pour l'homme" qui revient près de 30 ans après. Le père va tuer le loup mais en fait, il tue l'animal de compagnie de l'enfant. C'est tout bête et atroce." Brigitte Giraud
Le corps et le rock, coeurs battants de ses ouvrages
"Je me suis rendue compte après qu'on me l'ait fait remarquer, qu'il y a beaucoup de médecins, de psychiatres, d'infirmiers, tout un tas de personnes qui prennent soin dans mes livres. Je crois que cela me touche beaucoup qu'il y ait, dans un monde comme le nôtre, d'un côté des personnes qui se font beaucoup de mal et puis de l'autre des personnes qui accompagnent, consolent, réparent, prennent contre soi les corps et les esprits meurtris. Et je trouve toujours bouleversant quand les Hommes au sens large, sont là plutôt pour s'épauler, pour se consoler, pour se faire du bien. C'est assez bouleversant." Brigitte Giraud
"Le corps est toujours très important parce qu'il est à la croisée de l'expérience. Ce qui m'a vraiment intéressée en écrivant "Avoir un corps" ce n'est pas tant le corps lui-même que la façon dont le corps et la tête entretiennent un dialogue plus ou moins énigmatique. Et en écrivant, je me suis rendue compte que toutes les expériences fondamentales de la construction d'un individu passent toujours par ce que le corps accomplit. Par exemple, la première fois qu'on a de la fièvre et qu'on ne sait pas ce qu'il se passe. La première fois qu'on apprend à nager et donc qu’on se maintient à la surface de l'eau, ou le vélo sans les roulettes...c'est tout un tas de petites victoires, des recherches d'équilibres en permanence. Le fait de tomber amoureux, le désir pour l'autre, le fait d'être enceinte, d'avoir un corps dans son propre corps... et cela dure une existence entière." Brigitte Giraud
"Adolescente, j'ai passé beaucoup de temps avec mon père sur le canapé du salon, le soir, à regarder toute la variété à la télévision. Il y avait plein de bonnes choses et des choses terrifiantes aussi. Ensuite j'ai rencontré l'homme qui allait devenir l'homme de ma vie, Claude, dont je parle dans "Vivre vite", qui était musicien, et qui est devenu critique musical. Il m'a fait passer de la variété française à la musique rock punk, new wave, la plus éblouissante. (...) Après la mort de mon compagnon, j'ai été dans l'impossibilité d'écouter de la musique durant deux ou trois ans. C'était extrêmement violent parce que c'était ce qui me reliait vraiment à lui. On sait bien de quoi est capable la musique, c'est quand même ce qui vous relie le plus à l'intensité de la vie et de ce qu'on peut appeler les émotions. J'avais lu cette phrase de Marguerite Duras dont je parle dans "Vivre vite" où elle disait qu'elle avait été dans cette incapacité d'écouter de la musique. Je l'ai comprise et ô combien éprouvée. Petit à petit, le lien à la musique est revenu et je continue d'explorer tout ce qui se passe dans la scène plus contemporaine, comme si j'étais, à mon tour, devenue l'autre." Brigitte Giraud
Écrire pour recomposer la mémoire et compenser l'absence
Comme Annie Ernaux, Brigitte Giraud pense que l'écriture est un activateur de mémoire : "Écrire, c'est le seul moment où on s'arrête de cavaler et d'être dans l'action. La recherche du mot juste nous invite à rechercher l'instant dans sa limpidité et sa justesse. Je suis d'accord avec tous les mots qu'Annie Ernaux peut dire les uns à la suite des autres. Ce qui me frappe aussi, c'est quand elle évoque le rapport à la perte, ça me renvoie au philosophe Emmanuel Lévinas qui dit que vivre, c'est apprendre à perdre. C'est un long parcours. Il faut apprendre à vivre sans ou à vivre avec ce qui n'est plus. Et donc refaire, recomposer une mémoire à partir de vides et de trous de mémoire." Brigitte Giraud
"Mon livre "Vivre vite" pose aussi la question de savoir s'il y a différentes sortes de deuil. Quand on est seul à se planter sur une moto, le rapport au deuil, pour ceux qui restent, n'est pas le même que pour les personnes qui ont vécu un deuil dû aux attentats, à un bombardement ou à une guerre. Parce qu'il y a un collectif, parce qu'il y a un procès, parce qu'il y a peut être un sens au fil de l'histoire. Et là, j'essaye de mettre du sens là où il n'y en a pas. Et ce livre pose finalement la question : est-ce que le destin existe ?" Brigitte Giraud
"La retenue est ce qui me touche le plus dans le monde. J'aime la musique de Dominique A parce qu'il y a quelque chose de retenu, une façon de ne pas lâcher toute la puissance. Et il y a aussi une autre phrase de Camus que j'aime énormément : "Un homme, ça se retient". Je trouve merveilleux de pouvoir se retenir parce que la démonstration de colère, de chagrin ou de sensibilité, pour ne pas dire de sensiblerie, est quelque chose qui ne peut pas s'agencer en recherchant la justesse de l'écriture. (...) Écrire, c'est faire des liens, outre la mémoire dont parlait Annie Ernaux. Et on ne peut pas régler des comptes dans un livre. Pour moi, les comptes, s'ils doivent se régler, se règlent ailleurs." Brigitte Giraud
Ses actualités :
- "Vivre vite" de Brigitte Giraud est disponible aux Éditions Flammarion.
Présentation de l'éditeur : « J’ai été aimantée par cette double mission impossible. Acheter la maison et retrouver les armes cachées. C’était inespéré et je n’ai pas flairé l’engrenage qui allait faire basculer notre existence. Parce que la maison est au coeur de ce qui a provoqué l’accident. »
En un récit tendu qui agit comme un véritable compte à rebours, Brigitte Giraud tente de comprendre ce qui a conduit à l’accident de moto qui a coûté la vie à son mari le 22 juin 1999. Vingt ans après, elle fait pour ainsi dire le tour du propriétaire et sonde une dernière fois les questions restées sans réponse. Hasard, destin, coïncidences ? Elle revient sur ces journées qui s’étaient emballées en une suite de dérèglements imprévisibles jusqu’à produire l’inéluctable. À ce point électrisé par la perspective du déménagement, à ce point pressé de commencer les travaux de rénovation, le couple en avait oublié que vivre était dangereux.
Brigitte Giraud mène l’enquête et met en scène la vie de Claude, et la leur, miraculeusement ranimées."
- "Porté disparu" de Brigitte Giraud , illustré par Laurie Lecou est paru à L'École des Loisirs .
Présentation de l'éditeur : "Il n’est plus là, c’est la seule certitude. En cours d’histoire, Livio a fait un exposé sur les autodafés nazis et Magnus Hirschfeld, un médecin juif allemand qui militait pour l’égalité entre hommes et femmes et les droits des homosexuels. Pour lui, c’était bien plus qu’un simple exercice : une revendication, un moment de courage, et peut-être un aveu. Mais il s’est heurté à la perplexité, à l’indifférence et surtout à l’hostilité de sa classe. Depuis lors, il a disparu et personne ne sait où il est. Sa plus proche amie Camille, sa professeure d’histoire, ses camarades, ses parents, tous interrogent le parcours de Livio et tentent de comprendre. Dans le creux de cette absence, résonnent tous les questionnements : ils auraient dû le voir venir, aucun ne l’a vu partir. Et si cette fuite était l’expression du courage ultime ?"
Sons diffusés lors de l'émission :
- Annie Ernaux , au micro de Laure Adler, dans l'émission "Hors-Champs", sur France Culture, diffusé le 07/10/2014
- Lecture musicale de Brigitte Giraud , imaginée avec Fabio Viscogliosi, du texte “Baby-foot”, à retrouver dans le livre-dvd "Avec les garçons" de Brigitte Giraud, paru aux Éditions Alphabet de l'espace en janvier 2009.
- Étienne Daho "En surface" chanson co-écrite et arrangée par Dominique A - Album "Les Chansons de l'innocence retrouvée" (2013) - Label Romance Musique
- Archive d'Albert Camus lisant le début de "L'Étranger" dans l'émission "Lecture du soir" diffusée sur la RDF / RTF, le 07/04/1954
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