Jean-Luc Verna : "Mon corps sera un champ d'expérimentation et un champ de bataille, jusqu'à la fin"

Jean-Luc Verna
Jean-Luc Verna - Renaud Marchand
Jean-Luc Verna - Renaud Marchand
Jean-Luc Verna - Renaud Marchand
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Artiste protéiforme, le dessinateur, danseur et performeur Jean-Luc Verna revient sur son parcours personnel et son processus artistique au micro d'Arnaud Laporte.

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Artiste aux moyens d'expression multiples et aux sensibilités stellaires, Jean-Luc Verna travaille avant tout avec son corps customisé, accablé par la vie et réparé par la pratique artistique, qui devient le support de ses performances, tout en faisant echo à son oeuvre de dessinateur. Au micro d'Arnaud Laporte, il revient sur un parcours mouvementé et unique, genèse d'une identité créatrice qui incarne le tragique dans tout ce qu'il a de plus vivant.

Un beau diable

Ancien punk au corps constellé de tatouages d’étoiles (dessinés par lui-même), au visage piercé et aux yeux décorés de lentilles (tantôt sombres, jaunes, ou spiralées, une prothèse métallique à la mâchoire (il a perdu ses dents en se battant dans la rue), Jean-Luc Verna est artiste remarqué et remarquable. Prônant, dans un sulfureux mélange de punk attitude et de respect de l’académisme, le dessin comme un acte érotique, il est aussi un professeur de dessin qui encourage l’usage d’accessoires divers comme le houlahop et met du rock à fond pendant ses cours. 

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Jean-Luc Verna fait ses premiers pas dans le monde artistique en se faufilant à l'âge de 12 ans dans un cours de danse classique, contre les interdictions de ses parents qui y voient une pratique trop efféminée pour leur fils, et contre et l'influence du regard des autres sur le corps bouffi de cet enfant. Les débuts d'un rapport particulier entre un jeune artiste et son propre corps, qui quittera à 15 ans le foyer familial, quitte à devoir se prostituer à Nice pour pouvoir se nourrir et se loger.

A partir de ma naissance, à partir du moment où j'ai pu comprendre les mots, on m'a signifié que j'étais quelque chose de posé là, d'assez laid à regarder. On m'a élevé dans la honte de moi-même. La honte, une fois qu'elle est inscrite, comme toutes les blessures infligées aussi profondément et de manière si précoce, ne part jamais. C'est pour ça que mon corps restera un champ d'expérimentation et un champ de bataille, jusqu'à la fin.  
Jean-Luc Verna

S'introduisant aux humanités par diverses lectures (Bataille, Koltès, Pasolini), mais surtout grâce à Jean-Luc Blanc, Jean-Luc Verna décide à ses 21 ans de rentrer à la Villa Arson, l'école d'art de Nice, pour s'écarter de milieux où la drogue dure commencent à prendre ses quartier. Ce sont également des lectures, notamment Marguerite Duras, à qui il dit devoir ces premiers sauvetages :

Marguerite Duras m'a sauvé la vie. Quand je me suis retrouvé en hôpital psychiatrique après ma tentative de suicide, ma seule façon de remonter la pente a été de lire à un autre patient frappé de stupeur plusieurs livres, notamment L'Amante anglaise, en interprétant toutes les voix, comme dans une pièce radiophonique. Ça m'a sorti de moi, et lui, ça l'a fait parler. Ça a tout mis en perspective, et j'ai décidé de continuer mon aventure.  
Jean-Luc Verna

Difficile aujourd'hui de dissocier Jean-Luc Verna de son look, et plus généralement, de son sens de la mise en scène. Son corps trapu, qui a survécu aux amphétamines, à la prostitution et marqué par la séropositivité, est celui qui réincarnera tous les personnages, hommes comme femmes, du remake de L’important c’est d’aimer du vidéaste Brice Dellsperger, à Beaubourg et à Nice en 2001, mais aussi à New York où sa performance lui vaut les honneurs du New York Times et une consécration immédiate. Il avait déjà collaboré avec Dellsperger en 1999 dans le film Body Double X. Le début d’une oeuvre prolifique et multiple.

Je chante, je danse, je met en scène, je joue pour d'autres, mais je retourne toujours au dessin pour me rappeler qui je suis et grâce à quoi je suis là. J'ai été stakhanoviste du dessin pendant les quinze premières années, six à huit heures par jour à ma table, mais aujourd'hui, j'aurais l'impression de faire des planches à billet. Alors, dès que je suis un peu trop à l'aise dans une série, je l'arrête, et je recommence quand je suis moins sûr. Je déteste la notion sportive de faire du chiffre. Je ne suis pas là pour faire du rendement.  
Jean-Luc Verna

Le dessin que je produis, c'est comme mon corps : tout cru, tout nu, ce n'est pas très joli. J'ai voulu que le dessin devienne une surface de travail, et pour cela il a fallu que je le triture, le mâche, l'abime et le contraigne, afin que je puisse en exhumer quelque chose de l'ordre d'une apparition. Jean-Luc Verna

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