Jean-Michel Alberola : "Je passe mon temps à mettre en avant une chose enfouie"

Jean-Michel Alberola
Jean-Michel Alberola ©AFP - Toshifumi Kitamura
Jean-Michel Alberola ©AFP - Toshifumi Kitamura
Jean-Michel Alberola ©AFP - Toshifumi Kitamura
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A l'occasion de l'exposition "Le Roi de rien, la reine d'Angleterre et les autres" à la Galerie Templon à Paris, l'artiste peintre Jean-Michel Alberola revient, au micro d'Arnaud Laporte, sur sa formation sensible, sa production artistique, et les réflexions qui traversent son œuvre.

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Jusqu'au 17 juillet sont présentées à la Galerie Templon à Paris les œuvres de Jean-Michel Alberola dans l'exposition "Le Roi de rien, la reine d'Angleterre et les autres". L'occasion pour l'artiste peintre de revenir, au micro d'Arnaud Laporte sur sa démarche artistique, son rapport au cinéma et la littérature, et sur ses méthodes de travail. 

Une réflexion artistique et politique

Exposé pour la première fois en 1982 à la Galerie Templon et au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Jean-Michel Alberola a rapidement connu une renommée importante, tout en conservant une position marginale dans le paysage de l’art contemporain. 

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Artiste conceptuel, sa production, naviguant entre abstraction et figuration, mêle des réflexions artistiques et des questionnements politiques et sociaux. Jean-Michel Alberola défend en effet la dimension politique de sa production artistique et revendique, à l’image du monde contemporain, la notion de chaos dans sa peinture. 

Le rôle des artistes, c’est assez étrange… La misère du monde va avec la beauté du monde et c’est une espèce de bordel monstrueux dans lequel les artistes sont, et nous les artistes on est les plus réceptifs à la réalité, on sait ce que c’est la réalité, donc on fait avec ça, on fait avec des contradictions. On a conscience des luttes politiques, de la misère du monde, des réfugiés, et en même temps on produit de la beauté, c’est absolument intenable comme histoire. Mais bon, on y arrive. 

Par ailleurs, il cherche à inscrire son travail dans l’histoire de l’art et de la peinture, tout en se questionnant sur le fait de peindre après la Shoah, mais aussi après l’histoire de la peinture. De ce fait, les images qu’il met en forme prennent souvent leurs racines dans les œuvres de grands maîtres comme Poussin, Watteau, Courbet, etc, tout en soulignant la vanité de l'art.

La visite d’Auschwitz Birkenau c’était pour montrer – et ça venait d’un film des Straub et de ce que disait Deleuze à propos des Straub – que sous les paysages il y a du sang, il y a des voix sous la terre qui remontent. Je voulais dessiner Auschwitz comme un peintre dessine un paysage mais dès l’instant où on tombe sur le nom du lieu, le paysage change. C’est une sorte de méthode qui est permanente dans mon travail : on voit quelque chose et une information supplémentaire fait changer ce qu’on voit. Et dans la salle de l’aquarium il y avait les dessins d’Auschwitz, les Magnolias et un portrait de Cervantes. Quelque fois j’établis comme des a), b), c), ça marche d’un point de vue sentimental, pas forcément rationnel. 

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L’écriture, la littérature et le cinéma 

Par ailleurs, dans la lignée de Duchamp ou Broodthaers, l’écriture tient une place centrale dans son œuvre, ce qui confère à son travail une dimension ludique, teintée d’un humour corrosif, et qui fait de ses œuvres des rébus philosophiques qui questionnent le spectateur sur sa position, son regard, mais aussi sur l’artiste et son rôle.

De plus, depuis son enfance en Algérie dans les années 1950, la lecture prend une place importante dans sa vie. Et c’est en puisant dans les ouvrages de penseurs comme Benjamin, Marx, ou d’écrivains comme Kafka et Stevenson, qu’il donne naissance à ses œuvres. Mais le travail de Jean-Michel Alberola s'est construit aussi grâce à des cinéastes comme Rossellini, Godard, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Le cinéma joue en effet un rôle central dans son travail, les questionnements liés au 7ème art alimentant de manière essentielle la démarche artistique qu’il mène en peinture.

Quand j’étais adolescent je ne voulais pas faire de peinture, je n’ai jamais pensé faire de peinture, je voulais faire du cinéma. (…) J’ai tout appris par le cinéma, par les entretiens des cinéastes dans Positif dans Les Cahiers, ça m’a aidé à appréhender la peinture dans le sens où un film a exactement la même apparence qu’un tableau : c’est une surface. 

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Une constellation d’images et d’idées

Puisant ainsi dans des lectures, les événements du monde contemporain, l’Histoire, mais aussi l’histoire de l’art et l’héritage des grands maîtres, Jean-Michel Alberola est à l’origine d’une œuvre qui se construit par assimilation et associations d’idées, se présentant de ce fait comme une multitude de constellations d’images et d’idées. 

Le propre de la littérature est de produire des images. (…) Et en lisant plusieurs livres à la fois (…), tout se mélange (…) et c’est le rapport entre ces livres qui fait qu’il y a une image qui peut peut-être surgir, peut-être pas tout de suite à la lecture des quatre ou cinq livres que je lis en même temps, mais peut être dans dix ans, tout d’un coup, il y a quelque chose qui s’installe. (…) Tout ça s’inscrit, ça attend, comme un animal dans un coin et à un moment donné ça fait deux points lumineux, mais ça ne vibre pas encore, et tout d’un coup un troisième point s’allume, et là il commence à y avoir une vibration, au bout de trois quatre points, il y a une vibration qui s’installe et la vibration produit une image.

Dans ses œuvres, il assemble donc des indices que le spectateur doit à son tour s’approprier pour leur donner du sens. Avec l'installation "L’effondrement des enseignes lumineuses" (1995), par exemple, il s’interroge sur la place laissée à la peinture dans notre société des images. Tandis que ses peintures murales ou ses œuvres miniatures, constituées de papiers et de photographies en tous genres sur lesquels il écrit et dessine, délivrent directement leur message grâce aux inscriptions de devises autour de la société de consommation, l’utopie, le pouvoir, etc.

Il y a une partie de mon travail du côté du conceptuel pur parce je manipule des documents qui ne sont pas miens, je mets simplement en relation des documents, donc je passe après, et puis il y a aussi ce que je fais en peinture où on pourrait croire que je passe avant. Mais pas du tout : je fais ces tableaux avec la totalité des peintres qui m’ont influencé. Ce que je fais, en réalité, avec les deux voies, la voie conceptuelle et la voie picturale, c'est de l’archéologie. Je passe mon temps à mettre en avant une chose enfouie, je révèle une chose enfouie. Le travail qui m’attend est immense, j’ai beaucoup de chantiers. 

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Jean-Michel Alberola a également réalisé plusieurs court-métrages. Depuis 1992, il est professeur à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris.

Son actualité : "Le Roi de rien, la reine d'Angleterre et les autres" du 20 mai au 17 juillet 2021 à la Galerie Templon à Paris.
"Ex Africa", jusqu'au 11 juillet au musée du Quai Branly à Paris.
"Le Fleuve" jusqu'au 26 septembre à l'Imec de Caen.

Sons diffusés pendant l'émission

  • "Magnolias for Ever", Claude François, 1977.
  • Extrait de Stromboli, de Roberto Rossellini avec Ingrid Bergman, 1950.
  • "That’s all", Sister Rosetta Tharpe, version live, The Sensational Sister Rosetta Tharpe from Carnegie Hall to Antibes.
  • Entretien avec Marcel Duchamp interviewé par Guy Viau, Premier Plan, 17 juillet 1960.