

Depuis l’arrière-pays niçois, l’écrivaine Maryline Desbiolles nous livre des romans puissants, souvent brefs et violents, où elle explore la mémoire individuelle et collective. Au micro d’Arnaud Laporte et en sa présence, nous partons sur ses traces pour en savoir plus sur son processus créatif.
- Maryline Desbiolles Romancière
Vingt-deux ans après sa publication, Maryline Desbiolles offre une descendance à Anchise, son huitième roman couronné du prix Femina et avec lequel son écriture, si particulière, rencontre le public et la critique. Elle signe ainsi Le Neveu d'Anchise en cette rentrée littéraire, un récit où la mémoire à la fois individuelle et collective est au centre. Au micro d’Arnaud Laporte, l’écrivaine revient sur ses imaginaires et son processus créatif.
Mes livres, au fond, ne sont pas aboutis. Il y a toujours une suite. […] Je suis assez rusée pour laisser dans mes livres quelque chose qui mérite d'être amplifié ou qui mérite un déploiement. Et je pense que le livre d'après, c'est de mettre à l'épreuve ou de rebattre les cartes du livre précédent.
Publicité
Écrire pour voir
Aujourd’hui romancière, Maryline Desbiolles a pourtant débuté avec la poésie, son école d’écriture. Entre 1981 et 1993, elle dirige Offset puis La Mètis, deux revues à la croisée des arts plastiques, poétiques et littéraires. Depuis Une femme de rien, la poésie et le roman se mêlent sous sa plume. Elle a notamment signé La seiche en 1998, sorte de rêveries culinaires ou de recette à disgressions, qui la révèle véritablement.
J'ai publié de la poésie avant de publier des romans, pour une bonne raison toute simple, c'est que c'était plus facile d'envoyer des poèmes à des revues, il y en avait des floppées à la fin des années 70. Ça a été mon école, une école de la précision du mot.
Un beau jour, il m'a paru clair que la poésie était aussi dans mes romans. Je n'avais plus besoin de cette distinction.
Tombée dans les livres quand elle était petite, elle n’en ressort que pour s’immerger dans d’autres arts, notamment la peinture qui façonne son écriture. En 2016, l'autrice signe Ecrits pour voir (2016), un livre réunissant ses textes sur l’art, ou autour de l’art, parus pour la plupart dans des catalogues ou revues. Elle a également écrit des biographies d’artistes telles que Rodin en 2017, Jean-Pierre Pincemin (dans Les Draps du peintre), et Félix Vallotton.
Mon obsession, c'est de créer des correspondances, des passerelles entre les arts. J'ai vraiment le sentiment, de plus en plus, d'écrire un livre comme on peint. Ça paraît une évidence, mais un livre, pour moi c'est d'abord une création, au même titre que la peinture ou la sculpture.
John Berger, écrivain engagé, romancier et poète s'est lui aussi frotté aux arts plastiques en tant que critique. Il est un auteur qui inspire beaucoup Maryline Desbiolles, elle nous en dit plus à ce propos :
John Berger a toujours un point de vue qui nous fait faire un pas de côté [...] Ce n'est tellement pas donné de regarder, de voir. John Berger en sait quelque chose parce qu'il a beaucoup regardé le monde, beaucoup regarder aussi les œuvres d'art.
Maryline Desbiolles n’hésite pas aussi à emprunter d’autres voies comme les récits pour la jeunesse et les fictions radiophoniques. Elle a fait paraître, depuis les années 1980, de nombreux poèmes, romans, fictions et émissions radiophoniques sur France Culture.
Écrire pour s’approprier le monde
De Anchise à Rupture, en passant par Dans la route ou Ceux qui reviennent, Maryline Desbiolles a signé un grand nombre de romans au sein desquels courent les thèmes de la mémoire, de l’identité, de la mort, souvent dans des paysages crus. L’écriture, chez elle, est un moyen de s’approprier le monde.
Le paysage, je crois que c'est le premier personnage de mes livres. Je crois que mes personnages n'ont pas d'autres psychologies que celle du paysage. Le paysage de l'arrière-pays niçois n'est pas opulent, c'est même un paysage difficile, aride, avec des arbres qui ont l'air de bonzaï, parfois tout tordus. Je pense que mes personnages empruntent beaucoup à ces caractéristiques.
L’écrivaine aime à explorer les êtres oubliés de son histoire, mais aussi de la plus grande Histoire, reliant ainsi la particularité de chaque être à une mémoire collective et partageable. Petite fille d’immigrés italiens qui en franchissant les Alpes furent privés de leurs racines, de leur langue, l’autrice est hantée par un sentiment d’étrangeté que l’on retrouve dans ses écrits.
J'ai toujours vécu dans l'arrière-pays niçois. Ça me paraît fou et en même temps, je ne me sens bizarrement pas du tout enracinée dans l'arrière-pays niçois parce que je n'ai jamais eu le sentiment d'en être. […] L'étranger, c'est au cœur de ma vie.
Dans Primo, sorte d’enquête poétique sur son récit familial paru en 2005, elle lève les secrets étouffés par le temps et les migrations.
Ma grand-mère était une femme si modeste qu'elle ne pensait pas faire partie de la grande histoire. Alors que bien sûr, toute sa vie avait été modulée par cette grande histoire : Le fascisme notamment, puis la guerre de 40 puisque le magasin mercerie bonneterie qu'elle tenait avec mon grand-père a explosé au motif qu'ils étaient des Italiens, par exemple. Mais ma grand-mère n'en avait aucune idée. Pour elle, il était hors de sa vue qu'elle faisait partie de la grande histoire.
Pour moi, c'est une façon de faire rentrer toutes ces toutes ces vies prétendument simples dans la grande histoire.
Son actualité : Son roman Le neveu d’Anchise a paru aux Editions Seuil. Présentation :
"Un chien noir, familier et inquiétant à la fois, traverse le livre et le paysage. Ce paysage, c’est celui d’Anchise, apiculteur farouche, veuf inconsolé qui, sur le tard, s’est suicidé par le feu. Aubin était alors un enfant. Il a peu connu son grand-oncle, mais en secret il a joué dans sa maison abandonnée. Au bord de la route, pas très loin de Nice, pas très loin de la ville et déjà à la campagne, minée par les pavillons et leurs clôtures en plastique. Depuis, la maison a été rasée et remplacée par une déchetterie. Et c’est là que, adolescent, Aubin, à deux pas de chez lui, franchit sa propre clôture, le périmètre très étroit de sa famille. C’est là, à l’endroit de la maison détruite, qu’Aubin rencontre le désir, la musique et l’ailleurs en la personne d’Adel, le jeune gardien de la déchetterie. Un roman sur la mémoire et ses traces, sur la question de l’origine, toujours à réinventer" Editions Seuil.
Sons diffusés pendant l'émission :
- John Berger parle du rôle de l'écriture dans "Tout Arrive", le 26/02/09.
- Bernard Pagés sur son travail, dans une vidéo réalisée par la galerie Ceysson & Bénétière.
- Henri Ledroit chante le Stabat Mater de Vivaldi avec la Grande Écurie et la Chambre du Roy, sous la direction de Jean-Claude Malgoire.
- Zouc, "La fourmi".
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Collaboration
- Collaboration
- Production déléguée
- Collaboration
- Collaboration
- Réalisation