

La chanteuse contralto et cheffe d’orchestre Nathalie Stutzmann est au micro de Lucile Commeaux. De quoi est fait l’imaginaire de l’artiste, d’où vient sa vocation, quelles sont ses inspirations et ses méthodes de travail… tentative d’approche du processus créatif de la musicienne.
- Nathalie Stutzmann Contralto, chef d'orchestre (Suresnes, 1965-)
Nathalie Stutzmann, chanteuse (contralto) ainsi que cheffe d’orchestre dirige aussi bien des orchestres à petit effectif, des ensemble baroques, que des grands orchestres et chœur. Elle vient d’être nommée cheffe invitée à l’orchestre de Philadelphie, et un disque a paru également, “Contralto”, avec son ensemble Orfeo 55. Au micro de Lucile Commeaux, Nathalie Stutzmann nous en dit plus sur son processus de création, son parcours et ses imaginaires.
Pour moi ce n'est pas une profession, c'est une vocation. Etre musicienne, je ne l'ai jamais vu comme un métier, mais comme une manière de vivre.
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Sorte d'album d'adieu avec son ensemble Orféo 55, "Contralto" est surtout un hommage aux grandes contralto, voire même une manière de leur rendre justice en musique :
Ça m'a fait plaisir de les sortir de l'ombre parce que ce sont des femmes qui avaient un grand talent et puis qui ont surtout inspiré des musiques magnifiques à des compositeurs tels que Vivaldi, Haendel. Souvent, ils leur préféraient les castrats de l'époque, mais ils étaient eux aussi soumis au fait que les castrats avaient plus d'argent et étaient mieux payés, avaient plus de soutien des sponsors, des mécènes.
Les femmes ont toujours été dans l'ombre. Malheureusement, on le sait, on en parle beaucoup depuis quelque temps. Il y a même des cahiers des charges aujourd'hui pour dire dans les saisons d'orchestre symphonique qu'il faut qu'il y ait des femmes compositeurs au programme. Il faut qu'il y ait des interprètes, donc il faut qu'il y ait des femmes cheffes.
Une contralto d’exception
Enfant de la balle avec deux parents chanteurs, Nathalie Stutzmann sort toutefois des sentiers battus et s’initie à de nombreuses pratiques instrumentales dès son plus jeune âge, notamment le basson, un instrument peu habituel pour une petite fille. Elle se souvient ...
J'ai 13 côtes au lieu de 12 donc je n'arrivais pas à jouer de l'alto. Du coup, je voulais faire de la clarinette mais on m'a dit ce n'est pas pour les filles. Un an après, j'étais suffisamment grande pour dire je m'en fiche, je veux faire un truc ou il faut souffler. Puis j'ai choisi le basson. J'ai beaucoup aimé ça, c'était un très bel instrument. J'ai adoré aussi jouer dans l'orchestre avec le basson et ça m'a appris énormément de choses pour mon métier actuel de cheffe d'orchestre.
En 1986, la chanteuse fait ses débuts à l’Opéra de Paris dans Didon et Enée de Purcell. Soprano à ses débuts, on la connaît aujourd’hui comme contre-alto, la voix la plus grave pour une femme.
J'ai toujours eu cette voix étrange, en classe on me prenait pour un petit garçon. C'était tellement grave, tellement bizarre et c'était un peu gênant, je ne savais pas trop pourquoi. Et puis, en travaillant, j'ai cru que je serais mezzo et puis je me suis rendue compte que non. La tessiture qui convenait, c'était celle de contralto.
C'était presque comme une mauvaise nouvelle parce que je me suis dit "Mais qu'est-ce que je vais chanter, comment ça va être?" Etc. Surtout à cet âge-là où on veut être comme tout le monde et où on a besoin de s'identifier.
Nathalie Stutzmann a su tirer le meilleur parti de sa tessiture particulière, qui, si elle bénéficie d’un répertoire relativement réduit, lui a permis de s'aventurer du côté du baroque mais aussi du romantisme, de Vivaldi à Wagner, de Bach à Schubert ou encore de Haendel à Wagner.
Il y a un goût vers le spectaculaire de l'aigu, alors qu'une note très grave, très bien faite, peut être tout aussi spectaculaire qu'un aigu. Mais c'est moins brillant, c'est moins facile, c'est plus dans l'émotion que dans le clinquant et dans la notion d'exploit. Les gens pensent toujours que plus c'est aigus, plus c'est difficile et plus performant_._
La musicienne s'est produite aux côtés des plus grands et grandes, d’Herbert von Karajan à Sir Simon Rattle ou Seiji Ozawa, entre autres, mais également les grands noms du baroque comme Sir John Eliot Gardiner, Marc Minkowski.
Au service de la musique
En plus d'être contralto, Nathalie Stutzmann est également une brillante cheffe d'orchestre.
Le rêve de diriger, il est toujours resté dans un coin de mon cerveau. J'ai juste attendu le moment qui me semblait propice au niveau des changements de la société, tout simplement.
En 2009, elle réalise son rêve d’enfant et fonde Orphéo 55, un orchestre de chambre au répertoire éclectique. Une des particularités de l'ensemble réside dans la double casquette de Nathalie Stutzmann qui s'y illustre à la fois en tant que cheffe et chanteuse. Elle nous explique comment elle procède pour jongler entre les deux rôles :
Il faut essayer d'être totalement dans l'instant avec les deux fonctions. C'est toute la beauté et la difficulté de l'exercice. Il y a un gros travail en amont de chef pour préparer l'orchestre. Une fois que l'orchestre est prêt, on pose la voix dessus. Et puis vient le moment du concert. On essaye de recréer cela en contrôlant un peu tout ce qui se passe. C'est cette magie de contrôler, conduire et en même temps, d'arriver à se laisser suffisamment aller dans l'instant pour pouvoir aller chercher des moments magiques.
Avec l’ensemble, la cheffe nous partage des œuvres pour lesquelles elle éprouve une véritable passion et privilégie la plus grande expressivité, une sensualité des couleurs tant vocales qu’instrumentales. Elle nous explique quel type de répertoire elle souhaitait défendre en créant cet orchestre :
J'avais envie de revenir un moment à un répertoire qui est celui de la musique baroque où il y a énormément de magnifiques choses écrites pour ma tessiture. Ça a été un grand bonheur de me replonger dans un répertoire qui aurait dû être une évidence, mais qui ne l'a pas été pour moi en tant que musicienne.
L'aventure d'Orphéo 55 se termine toutefois avec le dernier disque Contralto qui vient de paraître. Nathalie Stutzmann a en effet annoncé la dissolution de l'ensemble au printemps 2019 faute de subventions. Elle n'a toutefois pas dit son dernier mot. En décembre dernier, elle a été nommée cheffe invitée à l’orchestre de Philadelphie, un très grand orchestre symphonique, parmi les plus réputés historiquement des Etats-Unis.
J'ai eu la chance de faire beaucoup de semaines avec eux de manière régulière et ça a abouti à cette nomination extraordinaire pour moi et aussi pour l'histoire, parce que je suis la première femme à obtenir ce poste. Après Riccardo Muti et Stéphane Denève, c'est vraiment une belle lignée et puis c'est une joie incroyable de travailler avec une machine aussi merveilleuse que l'Orchestre de Philadelphie.
Son actualité : Son album Contralto (airs de Vivaldi, Haendel, Porpora, Bononcini, Lotti et Gasparini) a paru en janvier chez Erato.
Sons diffusés pendant l'émission :
- “Caro addio, dal labbro amato”, un extrait de Griselda, oeuvre de Bononcini par l'ensemble Orfeo 55.
- Ursula Ferri dans une mélodie de Giacomo Carissimi.
- Un extrait de la Passion selon Saint Mathieu par Nathalie Stutzmann avec Orfeo 55.
L'équipe
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