Philippe Quesne : "Il faut que des économistes fassent de la pâte à sel"

Philippe Quesne
Philippe Quesne ©AFP - Thomas Samson
Philippe Quesne ©AFP - Thomas Samson
Philippe Quesne ©AFP - Thomas Samson
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Invité de cet automne au Centre Pompidou, Philippe Quesne est aussi l’invité d’Affaires Culturelles. Au micro d’Arnaud Laporte, retour sur le parcours, le processus créatif et l’imaginaire d’un artiste qui fait monde.

Avec

Du 11 septembre – 4 octobre 2020, Philippe Quesne s'expose au Centre Pompidou. Dans le cadre du Festival de littérature contemporaine Extra!, il installe la scénographie de sa pièce Crash Park au cœur du Forum -1 du Centre Pompidou. Cette île à taille humaine accueille dans un premier temps les débats et rencontres avec les auteur.e.s contemporain.e.s puis, du 1er au 5 octobre, elle tient lieu de refuge au programme « Vies à défendre », rencontres et performances imaginées par le metteur en scène sur le thème du vivant et de la biodiversité. Il ouvre également la saison des Spectacles vivants au Centre Pompidou avec sa dernière création, Farm Fatale, du 1er au 4 octobre, qui partira en tournée en France et à l’étranger en 2020-2021. Le 3 octobre, de 19h à minuit, Philippe Quesne proposera une programmation musicale inédite au Forum-1 dans le cadre de la Nuit Blanche. De quoi nous immerger dans l'univers protéiforme d'un metteur en scène phare de la scène contemporaine. 

Je suis heureux de cette rentrée pour ce regard un peu rétrospectif au Centre Pompidou, mais aussi pour cette façon de faire cohabiter la nouvelle pièce Farm Fatale avec cette île issue de Crash Park qui tourne et qui redonne vie aussi à un spectacle. Parce que c'est aussi une dimension écologique. Je respecte ce que raconte Jérôme Bel sur l'écologie, mais je crois que moi, d'une autre manière, j'essaye de ne pas renoncer à inventer des mondes plastiques mais aussi de les user, les rejouer, les défendre. 

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"Farm Fatale" de Philippe Quesne
"Farm Fatale" de Philippe Quesne
- Martin Argyroglo

Je pense que les contextes de la réalité rattrapent nos fictions.

Un inventeur de formes 

Metteur en scène et scénographe de renom, Philippe Quesne né en 1970 ne cesse d’expérimenter tous azimuts. Plasticien de formation, il étudie les arts plastiques à l’Ecole Estienne puis aux Arts Décoratifs de Paris. Ses études passées, il travaille en tant que scénographe de théâtre et d’expositions pour le théâtre et l’opéra durant une dizaine d’années. C’est avec sa compagnie Vivarium studio, qu’il fonde en 2003, que Philippe Quesne prend son envol et présente son premier spectacle intitulé La Démangeaison des ailes. La compagnie rassemble des danseurs, plasticiens, musiciens et acteurs de tous horizons. L’interdisciplinarité au cœur de cet atelier de création se retrouve dans ses œuvres car l’artiste met fréquemment les médiums en dialogues. Nombreuses autres pièces suivent ensuite telles que D’après nature en 2006 dans une veine post-situationniste ; L’Effet de Serge en 2007 sous forme de microperformance ; ou encore La Mélancolie des dragons en 2008 qu’il joue au cloître des Célestins à Avignon. Pour cette dernière pièce, probablement l’une de ses plus cultes, il fut nominé au Molière du décorateur scénographe. 

Il faut accepter ce qui nous attend. Il faut s'inventer des mondes. Parler d'utopie même si ce n'est pas vraiment un engagement politique. Cette mélancolie des dragons, elle mettait vraiment en place les bases fortes d'une espèce d'hébétude et de joie aussi un peu enfantine de ces hardrockers dans la neige qui initiaient une spectatrice. J'avais l'impression dans ces années-là qu'il fallait un peu faire un théâtre de la décélération, demander aux gens de jouer sans être efficace et travailler avec un groupe d'acteurs qui m'a beaucoup inspiré puisque les pièces découlaient vraiment de leur personnalité. 

A propos des liens entre ses pièces et de la logique d’enchainement de ses travaux : 

C'était souvent un jeu un peu conceptuel de domino. Je reprenais une image d'une pièce précédente, je la poursuivais, je donnais vie. Parce qu'au théâtre finalement, vous êtes dans un domaine un peu particulier, très éphémère. Je n'aime pas faire mourir mes personnages, j'aime bien continuer avec eux, poursuivre leur histoire, travailler très souvent avec des acteurs qui sont les mêmes depuis quinze ans. Après, c'est un peu moins vrai ces années parce que j'ai eu aussi des propositions ailleurs, notamment à l'étranger. C'est plutôt sur le fil thématique qu'il y a une quête maintenant : homme/paysage, notre place sur la terre plus largement. 

Sur tous les fronts

Plus tard, l’artiste créé Big Bang (2010) puis Swamp Club (2013) où il explore les relations entre l’homme et la nature. Ce dernier motif est récurrent dans ses œuvres et devient le lieu d’une véritable écologie du théâtre qu’il défend par la suite lorsqu’il prend ses fonctions de directeur au Théâtre Nanterre-Amandiers en 2014. Là-bas, Philippe Quesne promeut un programme artistique singulier qui privilégie le rapport esthétique à la scène, au détriment du texte. En témoignent les pièces La Nuit des taupes en 2016 et Crash Park en 2018 où l’artiste conçoit des dispositifs scéniques à la manière d’écosystèmes conceptuels. Récemment, il a remporté le prix du meilleur pavillon pays à la Quadriennale de Prague en 2019 et scénographié en 2020 la dernière pièce de Meg Stuart. En 2021, il partira créer Das Lied von der Erde de Gustav Mahler avec le Klangforum de Vienne au Wiener Festwochen, puis une nouvelle pièce de science-fiction Cosmic Drama au Theater Basel et un spectacle avec l’ensemble du TR Warsawa en Pologne.   

Il nous explique sa méthode de travail :

Souvent, les scénographies ont surgi pendant les répétitions parce que bizarrement, on commence par lire beaucoup de choses ou s'immerger dans des thèmes contenus dans le point de départ, en allant vers les clichés aussi. On se nourrit d'une sorte d'imaginaire collectif avec l'équipe et la scénographie se pense pendant. Elle est très souvent aussi organisée pendant le temps des répétitions. La double lecture des spectacles, c'est évidemment des gens regroupés dans un espace mais c'est aussi des gens qui essaient de s'abriter, de se construire des cabanes, de s'inventer des paradis artificiels, des parcs d'attractions. Ce sont des gens condamnés à être dans une boîte noire et à essayer de s'en échapper. Mais comme on le sait tous, le théâtre reste une caverne et du coup les acteurs sont immergés, sont confinés avec moi et ce qu'il faut pour vivre. Ecouter de la musique, boire un coup, fabriquer des mondes en carton... C'est une méthode, quels que soient les pays où je travaille, que j'essaie d'avoir.  

A propos de la situation de crise qui bouleverse notre époque, Philippe Quesne indique ce qui lui paraît nécessaire aujourd’hui :

On va au théâtre, on lit des livres, de la musique, on boit, on se raconte des histoires. Le seul subterfuge c'est l'art. C'est indissociable de la vie qu'on doit mener sur cette planète. C'est pour ça qu'il faut en prendre soin, dès la maternelle. Il faut qu'il y ait de l'éducation artistique et plus largement, que les arts qui fassent partie de nos vies. Il faut que des banquiers aillent voir des expositions, il faut que des économistes fassent de la pâte à sel... Il faut y aller là, il faut se mélanger. C'est une société qui nous a trop expliqué. 

Son actualité : Invité de cet automne au Centre Pompidou : "Les Mondes de Philippe Quesne", 11 septembre – 4 octobre 2020 :  Exposition de la scénographie de sa pièce Crash Park au cœur du Forum -1 du Centre Pompidou /  Farm Fatale, du 1er au 4 octobre, qui partira en tournée en France et à l’étranger en 2020-2021 / Le 3 octobre, de 19h à minuit, Philippe Quesne proposera une programmation musicale inédite au Forum-1 dans le cadre de la Nuit Blanche.

Sons diffusés pendant l'émission : 

  • "Regardez les hommes tomber", au Théâtre de Chaillot par la troupe HAUSER ORKATER d'Amsterdam, Antenne 2 | Emission : “Salle des fêtes” | 30 juin 1980.
  • Extrait de La mélancolie des dragons : “Still loving you” (Scorpion cover). 
  • Claude Régy, Des mots de minuit, France 2, 17 novembre 1999 via CulturePrime. 
  • Extrait de "Farm Fatal", de Philippe Quesne.

Générique de l’émission : Succession, Season 1 (HBO Original Series Soundtrack) de Nicholas Britel.

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