Vivian Gornick : "C'était une impulsion de m'utiliser moi-même comme narrateur pour pouvoir attaquer un sujet"

Vivian Gornick
Vivian Gornick - Mitchell Bach
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L’écrivaine, mais aussi journaliste et activiste Vivian Gornick signe son nouveau roman « Inépuisables », traduit de l’anglais et publié aux Editions Rivages. Au micro d’Arnaud Laporte, immersion dans la fabrique et l’imaginaire d’une femme de lettres emblématique du féminisme états-unien.

Avec
  • Vivian Gornick Journaliste, écrivaine et activiste féministe

Inépuisables est le dernier roman que signe l’autrice et journaliste Vivian Gornick. Un titre taillé sur mesure pour cette femme de lettres tant elle déploie son énergie créative et militante avec la même puissance depuis plus de cinquante ans. Protagoniste de la deuxième vague de féminisme aux Etats-Unis en tant que journaliste au Village Voice puis écrivaine – les deux étant marqués par le même sceau de l’activisme – Vivian Gornick est une figure majeure de l’émancipation féminine. Pionnière également du « personnal narrative » dont elle a fait son bastion, elle explore dans ce nouveau roman les auteurs et autrices qui ont jalonné son existence. Une rencontre grisante entre son travail autobiographique et ses critiques littéraires, à découvrir traduit en français aux éditions Rivages.  Elle nous en donne un aperçu durant l'entretien : 

C'était une impulsion de m'utiliser moi-même comme narrateur pour pouvoir attaquer un sujet. C'était mon instinct naturel d'écrire un article à travers mon engagement vis à vis de ce qui se produisait. […] Norman Mailer, Tom Wolfe... Ce sont eux qui ont créé le journalisme personnel et beaucoup les ont suivis dont moi. Le Village Voice est devenu célèbre et très décrié pour l'utilisation de cette forme d'écriture. Et puis, mûrissant en tant qu'écrivain, j'ai découvert Natalia Ginzburg. Elle est devenue mon grand mentor.

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Une pionnière du féminisme 

A l’aube des années 1970, alors qu’elle enseigne l’anglais à l’Université, Vivian Gornick entre en tant que journaliste au Village Voice, le grand journal de la contre-culture. Ses premiers écrits marquent l’émergence du féminisme radical en même temps que sa propre renaissance. Après avoir été envoyé couvrir les obsèques de Jack Kerouac, elle se voit confier la tâche de rencontrer les féministes de son époque et d’écrire sur elles. Elle rencontre ainsi Betty Friedan, Gloria Steinem, Kate Millett, Susan Brown Miller et bien d’autres, et s’engage à leurs côtés en faveur de l’égalité. Après avoir interviewé ces femmes, Gornick écrit un essai intitulé Le Prochain Grand Moment dans l’histoire.  

Figure de la vie intellectuelle new-yorkaise, elle écrit également des papiers pour The New York Times, The Atlantic Monthly, The Nation et The New Republic. 1977 marque la fin du travail de Vivian Gornick au Village Voice, elle éditera l’année suivante l’ensemble de ses articles qui l’ont rendue célèbre dans Essays in Feminism. 

L'acte d'écrire est le seul lieu où tout écrivain se sent protégé et en sécurité. Toutefois, ce n'est pas un don. Vous devez gagner chaque jour, vous y atteler. 

L’émancipation comme topos

En parallèle de ses chroniques féministes et critiques littéraires, Vivian Gornick publie un nombre important d’ouvrages tels que des biographies sur des figures du féminisme états-unien et des recueils thématiques. En 1987, elle signe le récit autobiographique Fierce Attachments qui la propulse sur le devant de la scène. Dans ce récit de formation, elle brosse le portrait de la relation d’amour et de haine qu’elle a entretenu avec sa mère.  Elle nous en dit plus à ce propos : 

Si je n'avais pas eu le mouvement féministe, il ne me serait jamais apparu qu'écrire la relation avec ma mère ou la relation avec notre voisine aurait été un sujet légitime. 

Ce roman est suivi de La Femme à part où l’on retrouve le motif de la déambulation si cher aux flâneurs tels que Baudelaire et Samuel Johnson. New York devient alors le théâtre de ses flâneries urbaines : 

La ville de New York est une source immense d'interactions avec des étrangers qui deviennent parfois nos intimes. […] Ce qui est extraordinaire avec New York, plus que toute ville du monde, c'est qu'il y a toujours des gens qui font quelque chose, sans fin, dans les rues. On peut toujours être amusé, étonné, relié à d'autres personnes. 

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Reconnue dans son pays, Vivian Gornick doit néanmoins attendre presque trente ans pour que son succès s’exporte outre-Atlantique, avec notamment des traductions en France. Elle est une des figure de proue de l’écriture biographique, « personal narrative », qu’elle enseigne à l’université et auquel elle a consacré un ouvrage canonique intitulé The Situation and the Story (2001). L’émancipation y est, comme dans toutes ses œuvres, au centre. 

Vivian Gornick nous raconte sa révélation pour le style du "personal narrative" qu'elle met en place lorsqu'elle quitte le journalisme :

J'étais déterminée à devenir ce que j'appelle un narrateur personnel, c’est-à-dire quelqu'un qui racontait quelque chose de personnel. Tout ce que j'apprenais au Village Voice, je m'enseignais à l'utiliser d'une manière différente. C'était une époque de témoignages liée très fortement au féminisme. Tout le monde portait témoignage. 

A l'époque où j'étais, au lieu où j'étais, le mémoire est devenu une possibilité enthousiasmante et c'est comme ça que j'ai commencé à écrire. J'ai découvert que l'écriture d'un mémoire a révélé mes propres talents de narratrice. C'est à travers la non-fiction que j'ai découvert des techniques fictionnelles.

Son actualité :  Roman : Inépuisables, traduit de l’anglais par Laeticia Devaux, Editions Rivages.
Présentation :  "Dans ce nouveau livre, Vivian Gornick revient sur les auteurs qui ont marqué sa vie, lus et relus à différentes périodes. L'occasion pour elle de combiner son génie de lectrice et sa capacité à se raconter. C'est la première fois que le public français pourra apprécier un de ses talents majeurs, la critique littéraire, après avoir plébiscité son travail autobiographique. A ses côtés, on arpente sa bibliothèque intime - Colette, Duras, Doris Lessing, etc. - et, en pointillés, son existence. Un livre singulier, qui pétille d'intelligence et d'humour." Editions Rivages.

Sons diffusés pendant l'entretien : 

  • Medley avec New York New York de de Liza Minnelli puis Down and out in New York City de James Brown. 
  • Medley avec New York I Love You But You'Re Bringing Me Down de LCD Soundsystem puis I Love New York de Madonna. 

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