

Le célèbre monteur, mais aussi réalisateur, scénariste et auteur Yann Dedet co-signe avec Julian Suaudau l’ouvrage "Le spectateur zéro" où il revient sur ses cinquante ans de carrière. L’occasion parfaite pour explorer à notre tour, au micro d’Arnaud Laporte, son parcours et sa vision du montage.
- Yann Dedet monteur, acteur, scénariste, réalisateur et auteur
Le célèbre monteur français Yann Dedet troque à nouveau les ciseaux de montage contre la plume pour son dernier opus paru aux éditions P.O.L. On avait déjà pu le lire dans Le point de vue du lapin en 2017, un roman où il revenait sur l’aventure de la fabrication du film culte Passe Montagne. Il co-signe cette année avec Julian Suaudau l’ouvrage Le spectateur zéro, une conversation (auto)biographique au sein de laquelle Dedet met en récit ses cinquante ans de carrière avec plus de 100 films à son actif, son parcours, et sa vision du montage. De la pratique à la théorie, Yann Dedet livre un précis de montage ciselé où s’entremêlent les passionnants récits de ses expériences dans le métier.
Du rêve de cinéma à la cour des grands
Dès son enfance, Yann Dedet réalise de nombreux petits films en bricolant tout lui-même du début à la fin. S’il se rêve alors cinéaste, c’est pourtant le montage qui le happe d’abord lorsqu’il réalise un premier stage aux Laboratoires de tirage cinématographiques de Saint-Cloud à seulement 19 ans. Là-bas, il apprend ce qu’est la pellicule et est séduit par la dimension artisanale du métier.
Je préfère le mot artisan, ça me paraît plus juste. Tous les métiers du cinéma sont artistiques. Mais l'atelier de montage, c'est vraiment plus un artisanat. D'abord parce qu'on ne fabrique pas la matière. L'opérateur fabrique la matière visible du film, l'ingénieur du son la matière audible avec le musicien aussi. Mais j'aime bien le mode artisanal et l'idée de façonner quelque chose, un matériau qui existe. Peut-être que ça se rapprocherait le plus de la sculpture. C'est en tout cas ce qui me fait le plus plaisir comme rapprochement dans le métier que je fais.
Trois ans plus tard, Yann Dedet décroche son premier travail de monteur en tant qu’assistant de Claudine Bouché, monteuse de Truffaut, sur le film La Mariée était en noir. La rencontre avec François Truffaut marque un tournant, celui de son entrée dans la « cour de grands ».
A partir de ce premier film, Yann Dedet collabore avec de grands réalisateurs tels que Truffaut pour cinq films au total dont Les Deux Anglaises et le continent (1971) ou encore L’Histoire d’Adèle H (1975), mais aussi Jacques Richard, Pierre Richard, Sébastien Lifshitz, Manuel Poirier, Amos Gitaï, Cédric Kahn ou encore Dušan Makavejev. En 1978, le monteur collabore pour la première fois avec Jean-François Stévenin sur le film culte Passe Montagne, une expérience qui lui inspire plus tard son premier long-métrage intitulé Le Pays du chien qui chante ainsi que l’ouvrage Le Point de vue du lapin : le roman de Passe Montagne en 2018.
Sa grosse réussite, c'est d'arriver à couper en donnant du temps et en ne donnant pas l'impression que c'est coupé. C'est incroyable à quel point il y a beaucoup de plans très courts dans Passe-Montagne, mais y a une fluidité temporelle absolument extraordinaire. Ça, c'est vraiment de la très belle sculpture.
Il y a un moment, on ne peut pas se dire que c'est parfait, mais on se dit que là, ça ressemble à l'image du rêve du film
Maurice Pialat et Philippe Garrel sont également deux éminents cinéastes avec lequel il a collaboré. Du côté de Pialat d’abord, Yann Dedet a signé le montage de presque tous les films emblématiques du cinéastes parmi lesquels Sous le soleil de Satan en 1987 qui reçoit la Palme d’Or au Festival de Cannes. Du côté de Garrel, il a monté pour lui cinq films, de J’entends plus la guitare en 91 à La Jalousie en 2013.
Un désir de perfection et uniquement de perfection peut mener à l'académisme d'une certaine façon. Je pense que c'est un danger. On peut dire que son film le plus parfait c'est « Sous le soleil de Satan ». Mais moi, je suis plutôt amateur des films où il y a des irrégularités où il y a des choses moins bien que d'autres, même quand c'est un film absolument immense comme « Van Gogh » qui est probablement son plus beau film parmi ceux que j'ai monté ou le beaucoup plus désordonné « A nos amours ».
Je disais souvent sur les rushes de Pialat qu'il n'y a pas besoin d'être au montage. C'est inscrit dans les rushes comment il faut monter. En voyant la bobine de rush, on a le coup de foudre pour le plan extraordinaire qui se voit tout de suite, et puis on monte autour de lui. C'est comme ça que je faisais avec Pialat, avec cette impression que c'est déjà fait. Il y a une espèce d'ensemble et on prend tous les bouts qu'on adore. On ne s’occupe pas des numéros des prises. De tout ce qui est réussi, de tout ce qui est allumé, de tout ce qui est poétique, de tout ce qui est charnel on en fait une séquence et elle roule toute seule, d'une certaine façon.
Des deux côtés de la caméra
Artiste éclectique, Yann Dedet a délaissé une quinzaine de fois la salle de montage pour jouer à son tour devant et derrière la caméra. En tant qu’acteur, on a pu l’apercevoir dans quelques films de Truffaut, Pialat, et d’autres jusqu’au début des années 1990. Il s’est également illustré en tant qu’acteur et scénariste pour les besoins de ses propres films, notamment dans son court-métrage Quand je serai jeune en 1988.
Les réalisateurs qui laissent une liberté à leurs techniciens, tous les acteurs, les opérateurs, les accessoiristes, tous, ils savent très bien qu'ils vont être mieux servis par le talent de ces gens-là parce que ce talent sera en roue libre. Malheureusement, avec le système explicatif, je trouve qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas du tout. C'est ce qui donne le cinéma académique, d'arriver à définir tellement ce qu'on veut que c'est déjà fait et cadré.
Yann Dedet réalise en effet ses propres films en parallèle du montage de ceux des autres dès 1974, année où il réalise le court La plus forte de Strinberg. La réalisation n’est pas un caprice sinon une attente mise en silence durant de nombreuses années, avant de ressurgir à 30 ans, puis 40 ans, pour se concrétiser finalement à l’aube de la cinquantaine. Il passe au long en 2003 avec Le Pays du chien qui chante, un film de fiction tourné pour Arte dans les décors de Passe Montagne. Le réalisateur s’engouffre ensuite dans le documentaire et réalise à plus de cinq reprises des films sur le Japon.
J'ai l'impression que "Le point de vue du lapin", j'ai mis 40 ans à l'écrire. Toute la fabrication de Passe-Montagne a duré deux ans. Je suis sorti totalement illuminée de cette expérience, d'autant plus que c'est une époque où chacun de nous a rencontré sa femme et a fait un enfant donc ce film m'a aussi donné deux enfants.
Son actualité : Livre : Le spectateur zéro : conversation sur le montage, entretiens avec Julien Suaudeau**,** Ed. POL.
Sons diffusés pendant l'émission :
- Ingmar Bergman parle de Strindberg dans l'émission “Studio théâtre : Autour d'Ingmar Bergman” diffusée en décembre 2008 sur France Culture.
- “Plastic people”, de Frank Zappa.
- Maurice Pialat dans l'émission “Projection privée” diffusée en février 2013 sur France Culture.
- Jean-François Stévenin qui répond aux questions d’Aurélio Savini en 2018 pour les entretiens de CinéDV.
- James Baldwin, interviewée à la télévision française (TF1) en 1976 pour parler de son livre "Si Beale street pouvait parler".
L'équipe
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