Chine : le régime à l'épreuve

Un panneau avertit des mesures nécessaires à prendre contre le coronavirus, à l'entrée d'un quartier résidentiel de Beijing, le 6 février 2020.
Un panneau avertit des mesures nécessaires à prendre contre le coronavirus, à l'entrée d'un quartier résidentiel de Beijing, le 6 février 2020. ©AFP - Greg Baker
Un panneau avertit des mesures nécessaires à prendre contre le coronavirus, à l'entrée d'un quartier résidentiel de Beijing, le 6 février 2020. ©AFP - Greg Baker
Un panneau avertit des mesures nécessaires à prendre contre le coronavirus, à l'entrée d'un quartier résidentiel de Beijing, le 6 février 2020. ©AFP - Greg Baker
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Avec ses dizaines de millions de citoyens placés sous quarantaine, et une expansion du coronavirus plus rapide que le SRAS, la Chine est aujourd'hui confrontée à l'une de ses plus graves crises sanitaires contemporaines. Que révèle ce pathogène du régime de Xi Jinping ?

Avec
  • Frédéric Keck Anthropologue, directeur du Laboratoire d’anthropologie sociale au CNRS
  • Carine Milcent économiste, professeure à l’Ecole d’économie de Paris
  • Sébastien Jean Professeur d'économie au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM)
  • Sébastian Veg sinologue, directeur d’études à l’EHESS
  • Jean-Pierre Cabestan Directeur de recherche au CNRS rattaché à l‘Institut français de recherche sur l’Asie de l’est de l’INALCO

Quel est le régime au monde qui pourrait confiner quelques 56 millions d'individus - à 10 millions près, l'équivalent de la population française ? Quel est le système qui pourrait, depuis lundi 3 février, décréter le renforcement de la propagande après avoir retardé la mise en place des mesures sanitaires ? Quelle est la société ainsi menacée par un virus et la psychose qu'il engendre qui se plierait à une telle discipline ? Quelle est l'économie, ainsi frappée et déjà ralentie, qui pèse autant sur les échanges et les marchés financiers de la planète ? 

Le coronavirus donne la mesure de l'extraordinaire puissance de la Chine et de ses fragilités, de l'intransigeance d'un pouvoir totalitaire ébranlé, dont la raison d'être est le contrôle exercé sur son peuple. Mais qu'en est-il de son système de santé ? Carine Milcent, économiste, chercheur au CNRS et professeure associée à Paris Sciences Economiques (PSE), autrice de « Healthcare Reform in China : From Violence to Digital Healthcare », (Palgrave Macmillan, 2018), montre que ce système révèle aussi l'évolution du pays et sa place dans le monde : 

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Avec les réformes économiques, le système s'est en partie détruit et surtout privatisé. Une très large partie de la population a été exclue de ce système car elle n'avait pas les moyens d'accéder aux soins, même si depuis le coronavirus, un certain nombre de mesures ont été prises. Il est important de comparer ce système de santé avec celui de Hongkong, où à l'hôpital, les soins sont entièrement gratuits. Côté continental, c'est bien plus compliqué. 

En Chine, le contrôle est incarné par un seul homme, Xi Jinping, qui par tous les moyens veut faire de la 2eme économie la première puissance du monde devant les Etats-Unis. Une présence à relativiser dans la gestion de cette crise, comme le note Sebastian Veg, historien de la Chine contemporaine, directeur d’études à l’EHESS, auteur de « Minjian : l’essor des intellectuels non-institutionnalisés en Chine depuis 1989 » ( Columbia University Press, avril 2019) : 

Le Premier ministre est sur tous les fronts, c'était le cas aussi pour Hong-Kong ou le tremblement de terre de 2008. Il y a des ressemblances avec ce qu'il s'est passé à cette époque : après le drame, un énorme mécontentement était monté dans la société. Les critiques visaient l'administration dont les bâtiments étaient restés intacts, contrairement aux écoles qui elles s'étaient effondrées. Le régime a alors une gestion assez fine de l'opinion publique. Il y a toujours un court espace pour la société civile dans lequel elle peut s'exprimer, même si c'est canalisé notamment par des armées de personnes qui contrôlent et effacent les messages jugés problématiques pour le régime.

L'épidémie, qui se répand, semble endiguée dans les pays aux systèmes de santé robustes, dans les pays riches, et gagne du terrain dans les zones émergeantes et voisines de la Chine. La question se pose aussi pour la poursuite normale de l'industrie chinoise, indique Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales ( CEPII) : 

Il y a un certain nombre d'impacts économiques aussi bien sur l'offre que sur la demande. On ne va pas choisir ce moment pour consommer autre que les dépenses minimales et nécessaires. La propagation économique de ce choc est sans précédent. L'épidémie du SRAS en 2003 avait eu lieu dans une Chine largement moins puissante qu'aujourd'hui. La Chine est aujourd'hui un producteur massif en technologie, et central pour le textile. Va-t-on trouver des producteurs de substitution ? 

La pénurie de masque affole les populations. L'OMS décrète l'urgence mondiale mais ménage Pékin, qui dénonce "l'hystérie anti-chinoise" des médias occidentaux. Les regards se tournent alors vers l'Afrique, comme le souligne Frédéric Keck, directeur de recherche CNRS, Directeur du Laboratoire d’anthropologie sociale, auteur de « Les Sentinelles des pandémies : Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine » ( Zones Sensibles, 2020) : 

On redoute la propagation de ce virus en Afrique. Les autorités locales prennent des mesures en partenariat avec des centres de recherches et de médecine, par exemple en Afrique de l'Ouest où l'Institut Pasteur a voulu mettre en place le dépistage et le séquençage du coronavirus.

Quels bouleversements le coronavirus provoque t il dans les profondeurs de la société et du système chinois, notamment à Hongkong ? Jean-Pierre Cabestan, directeur de recherche au CNRS et professeur à l’ Université baptiste de Hong Kong, analyse la situation : 

Hongkong ne dépend pas exclusivement de la Chine mais aussi de l'Australie et des pays de la région. Quand on parle de "fermeture des frontières", il faut prendre quelques précautions. Une partie du corps médical reste en grève : les citoyens hongkongais restent inquiets, même s'il n'y a qu'un mort, car on ignore encore l'origine du coronavirus et nombreux d'entre eux ont de la famille en Chine. 

Comment Xi Jinping va-t-il maintenir l'unité autour du parti, jusqu'à quel point l'usine du monde, qui assure 20% de sa production, est elle menacée de fermeture, quel impact sur les rapports de force géo-économiques et géopolitiques du pays? 

Avec Sebastian Veg, historien de la Chine contemporaine, directeur d’études à l’EHESS, auteur de « Minjian : l’essor des intellectuels non-institutionnalisés en Chine depuis 1989 » ( Columbia University Press, avril 2019), Carine Milcent, économiste, chercheur au CNRS et professeure associée à Paris Sciences Economiques (PSE), autrice de « Healthcare Reform in China : From Violence to Digital Healthcare », (Palgrave Macmillan, 2018), Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales ( CEPII), Frédéric Keck, Directeur de recherche CNRS, Directeur du Laboratoire d’anthropologie sociale, auteur de « Les Sentinelles des pandémies : Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine » ( Zones Sensibles, 2020) et Jean-Pierre Cabestan, directeur de recherche au CNRS et professeur à l’ Université baptiste de Hong Kong.

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