

Après 25 ans de procès, près de 5000 témoins, le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) rend ses derniers jugements à la Haye avant de fermer ses portes à la fin de l'année. Quel est le bilan judiciaire & politique de cette justice d'exception, créée en pleine guerre & violences?
- Florence Hartmann ancienne porte-parole de la procureuse du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et correspondante du journal Le Monde pendant le conflit des Balkans
- Éric Chol Directeur de la rédaction de l'Express
- Jacques Rupnik Historien, politologue, directeur de recherche émérite au CERI/Sciences Po
- Antoine Garapon Magistrat, secrétaire général de l'Institut des hautes études sur la justice, et producteur de l'émission "Esprit de justice" à France Culture
- Alexis Troude chargé de cours à l’Université de Versailles-Saint Quentin, spécialiste des Balkans
Les années 1990, la guerre en Europe, l'explosion de l’ex-Yougoslavie et des haines entre les anciennes républiques. Le calvaire de Sarajevo, l’ignominie de Srebrenica — massacre de toutes parts, viols de masse, épuration ethnique, le dernier génocide sur le sol européen. Le TPIY a été créé en pleine tourmente en 1993 pour tenter d'établir les faits et poursuivre les responsables. 50 ans après les procès de Nuremberg et de Tokyo, jamais la justice internationale n'avait affiché de telles ambitions. Des centaines de milliers de documents, des archives exceptionnelles pour éclairer l'histoire et enrayer les tentatives de révisionnisme. Et pourtant de Belgrade à Zagreb, à Sarajevo… les nationalismes restent à vif. Les bourreaux des uns sont fêtés en héros chez les autres, tandis que des familles cherchent encore leurs morts dans des champs de bataille oubliés. Qu'ils fussent Serbes, Croates, Bosniaque ou Kosovars, toutes les parties ont-elles été traitées à la mesure de leurs actes et de leurs souffrances? Jusqu’où le processus judiciaire a-t-il favorisé ou compromis la réconciliation? Dans une Europe qui promet encore de s’élargir, dans quel état se trouvent les anciens protagonistes?
Antoine Garapon, magistrat, secrétaire général de l'Institut des hautes études sur la justice. Producteur de l'émission Matières à penser. Il a notamment publié avec Pierre Serban-Schreiber, Deals de justice, le marché américain de l'obéissance mondialisée (aux Puf, en 2014). et plus récemment avec Michel Rosenfeld, _Démocraties sous stress : les défis du terrorisme global_en 2016. Signalons aussi chez Odile Jacob _La prudence et l'autorité : juges et procureurs du XXIe_qu'il a co-publié avec Sylvie Perdriolle et Boris Bernabé.
Florence Hartmann, journaliste, ancienne porte-parole de la procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Carla Del Ponte de 2000 à 2006. Elle a publié Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales (Flammarion, 2007) et plus récemment aux éditions Don Quichotte, Lanceurs d'alerte. Les mauvaises consciences de nos démocraties (2014).
Jacques Rupnik, directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences Po (CERI), spécialiste de l'Europe centrale et orientale. Il a dirigé l’ouvrage collectif Géopolitique de la démocratisation: L'Europe et ses voisinages chez les Presses de Science Po en 2014.
Alexis Troude, Chargé de cours à l**'Université de Versailles** et Directeur du département d'Etudes balkaniques à l'Institut du Monde Multipolaire. Il a publié Balkans, la fracture : après les illusions, le djihad aux éditions Xenia en mai 2017. Et il publie Le facteur Balkans : la troisième guerre mondiale aux portes de l'Europe ? aux éditions Lignes de repères.
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La chronique d'Eric Chol
Eric Chol, directeur de la Rédaction de Courrier International,
Dans son village natal, où vivent encore les membres de sa famille, Mladic fait figure de héros national.
Un journaliste de Balkans Insight, un site spécialisé sur la région, s’est rendu à Bozanovici, un petit village de Bosnie Herzégovine qui se trouve à une soixantaine de kilomètres au sud de Sarajevo. Ce hameau perché à 1000 mètres d’altitude fait aujourd’hui partie de la République serbe de Bosnie : on y compte une cinquantaine d’habitants, la plupart sont âgés, et parmi eux figurent des membres de la famille de Ratko Mladic car c’est là que l’ancien commandant des forces serbes est né, il y a 74 ans.
« Ses cousins et ses parents qui vivent dans le village sont pauvres », écrit le journaliste, et à les écouter, les choses seraient très différentes si Ratko Mladic était de retour parmi eux. « S’il était là, toutes les rues seraient goudronnées, assure par exemple cette parente, qui préfére garder l’anonymat. Ici n’y a plus de jeunes, il n’ y a pas de travail. Les habitants survivent grâce à la ferme », poursuit elle. Pour elle, Mladic est un homme innocent.
« Il n’a laissé personne faire du mal. Il a sauvé de nombreux villages musulmans dans les environs, déclare- t-elle au journaliste du site Balkan Insight. Quand la situation est devenue très dangereuse, il a dit aux habitants de s’enfuir »,
Ici dans le village, il n’est pas question d’envisager la culpabilité de l’ancien chef militaire. Une des routes a été baptisée « la rue du General Mladic » et dans le bourg d’à coté on peut lire sur un graffiti « Mladic, le héros ». “Il faut le canoniser, le proclamer saint”, déclarait récemment un habitant de Bozanovici à la télévision régionale.
Pourtant pas très loin de sa maison natale dans laquelle vit aujourd’hui sa belle sœur, rapporte le site Balkans Insight, se trouve une mosquée détruite, et juste à côté, un cimetière musulman. « Aujourd’hui, conclut le journal en ligne, les habitants de Bozanovici sont tous serbes ».
Plusieurs criminels de guerre sont revenus en politique en Bosnie Herzegovine
Le journal Al Jazeera Balkans qui est basé à Sarajevo a publié récemment un récit édifiant sur la façon dont les criminels de guerre sortis de prison ont effectivement réussi à revenir sur la scène politique et à siéger par exemple au Parlement. « Rien d’étonnant dans un pays où ils sont considérés comme des héros nationaux par leurs compatriotes », écrit le journaliste, qui enfonce le clou. Ainsi, rapporte-t-il, « la Bosnie-Herzégovine a récemment refusé de modifier sa loi électorale et le code pénal pour interdire l’éligibilité des criminels de guerre ayant purgé leur peine de prison ».
Ce laxisme, voire cette bienveillance à l’égard d’ anciens criminels nourrit les ambitions politiques. Par exemple, écrit, le journaliste d’Al Jazeera Balkans. « il n’est guère étonnant que Momcilo Krajisnik accusé de crimes contre l’humanité et condamné à vingt ans de prison par le tribunal de La Haye, libéré en 2013 soit tenté de briguer un mandat politique aux élections législatives de 2018. « Que l’homme qui s’est servi de l’idéologie et de la politique pour commettre des crimes de guerre puisse de nouveau s’activer sur la scène politique, cela dépasse tout entendement ! », dénonce le journaliste. D’autant que Krajisnik n’est pas le seul dans ce cas. Dans la ville de Samac, Blagoje Simic, condamné à dix-sept ans de prison par le tribunal de La Haye pour crimes contre humanité, et libéré au bout de douze, a été nommé directeur du centre médical et il siège comme député dans l’Assemblée locale.
Ecoeuré par ces agissements, Dragan Bursac, l’auteur de l’article, souhaiterait, lui, plus de discrétion. « il faut insister et faire comprendre aux anciens condamnés pour crimes de guerre que leur place est dorénavant dans l’anonymat. Si nous n’en sommes pas capables, nous ne valons pas mieux qu’eux. ».
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