Quels sont les enjeux économiques & régionaux de l'exploitation du gaz entre Chypre, l'Egypte, Israël et le Liban face à la Turquie, en Méditerranée? Les dernières découvertes de ressources gazières relancent de vieilles tensions, tout en suscitant de nouvelles alliances et des espoirs de profits...
- Marie-Claire Aoun Enseignante à l’université Paris Dauphine, responsable des relations institutionnelles de Teréga, opérateur d’infrastructures de gaz en France, ancienne Directrice du centre Energie de l’Ifri
- Dorothée Schmid Chercheuse, responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient de l'IFRI
- Samuele Furfari Fonctionnaire européen à la Commission de Bruxelles. Enseigne la géopolitique de l'énergie à l'Université libre de Bruxelles
- Marc Pierini Ancien ambassadeur de l’Union Européenne en Turquie, de 2006 à 2011, chercheur à Carnegie Europe à Bruxelles.
"Depuis quelques semaines, le gaz naturel est source de nombreuses tensions en Méditerranée orientale : le bloc 9 de gaz naturel disputé entre Israël et le Liban est devenu l’objet de menaces entre les deux pays. Et la Turquie a bloqué un navire italien lançant des opérations de forage dans le bloc 3 disputé entre les Grecs et les Turcs chypriotes. Ces tensions illustrent l’évolution du paysage stratégique de la Méditerranée orientale depuis 2009." expliquait Joe Macaron, Analyste à l’Arab Center (Washington) sur les conflits au Proche-Orient dans un article publié le 5 mars 2018, dans Orient XXI, " Montée des tensions autour du gaz en Méditerranée, Israël face au Liban, la Turquie face à Chypre".
Marie-Claire Aoun, Enseignante à l’université Paris Dauphine, responsable des relations institutionnelles de Teréga, opérateur d’infrastructures de gaz en France.
Dorothée Schmid, directrice du programme « Turquie/Moyen-Orient » de l'Institut français des relations internationales (lfri). Elle a notamment publié La Turquie en 100 questions, chez Tallandier en 2017. Elle a récemment publié " Les États au Moyen-Orient : crise et retour" Politique étrangère, vol. 83, n° 1, printemps 2018.
Par téléphone :
Marc Pierini, ancien ambassadeur européen en Turquie, Chercheur auprès de
Carnegie Endowment for International Peace. il a notamment publié Où va la Turquie ? : Carnet d'un observateur européen (Actes Sud 2013). Il publie aussi un blog mensuel sur la Turquie sur le site
carnegieeurope.eu
Samuele Furfari, maître de conférences à l'Université libre de Bruxelles et Expert européen auprès de la DG Énergie de la Commission européenne. Il a publié La vie sans énergie moderne : pauvre, désagréable et brève, chez l'Harmattan, en 2016 et l’article «Le gaz naturel, nouvel élément structurant du Mare Nostrum », Confluences Méditerranée, en 2014 (N° 91). Il a également publié en anglais, The Changing World of Energy and the Geopolitical Challenges: Shifting Sands: The Geopolitics of Energy, aux éditions CreateSpace Independent Publishing Platform
Pour prolonger :
" La Turquie bloque l’exploration de gisements de gaz au large de Chypre. Les convoitises autour des ressources sous-marines sont un obstacle à la réunification de l’île", par Marie Jégo (Istanbul, correspondante), Le Monde, 13 février 2018,
Gaz en Méditerranée par Eric Chol
La revue de presse d' Eric Chol, Directeur de la Rédaction de Courrier International
La mer Méditerranée orientale est elle en train de devenir une nouvelle mer de Chine du Sud ?
Certains analystes dans la presse internationale comparent la situation de tensions en Méditerranée avec ce qui se passe en mer de Chine du Sud. Dans cette mer qui fait partie de l’Océan Pacifique, on assiste maintenant depuis plusieurs années à une multiplication des conflits et des revendications entre la Chine et ses voisins au sujet des zones de pêche mais aussi des gisements de pétrole et de gaz naturel. C’est pour cette raison que dans la revue internationale Geopolitical Monitor, le chercheur gréco-italien Alessandro Gagaridis pose la question : « la mer Méditerranée orientale est elle en train de devenir une nouvelle mer de Chine du Sud ? ». Selon l’auteur,
"l’attitude d’Ankara ressemble à celle de Pékin : d’une façon comparable à ce qui s’est passé la bas, les Turcs sont en train de s’aliéner les acteurs locaux et les pousser à coopérer entre eux, jusqu'au point de développer un front anti-turc entre la Grèce, Chypre, Israel et l’Egypte".
Or si Ankara persiste dans ses initiatives hostiles, prévient l’auteur, les positions vont se durcir, augmentant le risque d’un conflit plus large en Méditerranée orientale. Avant d’en arriver-là, explique la revue, l’hypothèse la plus probable, à court terme, c’est la multiplication d’opérations de guerre hybride, avec le renforcement des gardes-côtes, et la formation de milices navales, exactement comme cela se passe en mer de Chine du Sud.
Pour Alessandro Gagaridis, les ressemblances entre ces deux régions du monde sont frappantes : dans les deux cas, il s’agit des grandes zones maritimes de première importance pour le commerce international et pour leurs richesses estimées, et dans les deux cas, on a une puissance de premier plan – la Turquie ici, la Chine là-bas - qui pousse ses revendications en montrant ses muscles militaires et diplomatiques.
Cette situation comparable incite même la Turquie et la Chine à se rapprocher, selon la presse israélienne.
C’est le chercheur israélien, Roie Yellinek, qui fait cette analyse sur un blog publié par le journal Times of Israel. Selon lui, si la Chine s’est bien gardée jusqu’à présent d’intervenir, dans cette affaire de tensions en Méditerranée, ce n’est pas un hasard. Ce silence chinois doit en effet beaucoup aux relations entre Pékin et Anakara, qui se sont largement réchauffées depuis l’an dernier, nous dit l’auteur. En réalité, avance Roie Yellinek, les Chinois entendent tirer partie des tensions actuelles en Méditerranée pour légitimer leur propre politique en mer de Chine du Sud. Le bloggueur poursuit :
"Les Chinois veulent avec les Turcs créer un précédent international qui montrerait que la distribution des ressources maritimes ne correspond pas nécessairement aux lois internationale, mais à une réalité de terrain".
Un précédent qui ferait bien entendu les affaires de Pékin pour la suite.
Côté chypriote, ces tensions incitent à la prudence
C’est en tout cas le sens de l’appel lancé par Nicos Rolandis, le député et ancien ministre des Affaires étrangères chypriotes, dans le quotidien Cyprus Mail.
"Personne ne sait ce que va faire le brutal et imprévisible Recep Tayiyip Erdogan, écrit cet ancien diplomate, d’autant qu’il dispose d’avions , des bateaux de guerres, de tanks et des milliers de soldats".
Réaliste, l’auteur ne croit guère à une éventuelle mobilisation des grandes puissances autour du cas chypriote.
"Le problème, écrit-il, c’est que celui qui est faible à tout à perdre et nous sommes le faible".
L’ancien ministre se veut raisonnable et prône la diplomatie : il propose, sous l’égide du secrétaire général des Nations Unies, que Chypre applique un moratoire sur ses activités gazières jusqu’à la fin de l’année, avec en parallèle la cessation de toute action menaçante de la part de la Turquie. Un moratoire qui serait utilisé pour relancer le dialogue sur la question chypriote, aujourd’hui dans l’impasse.
"Donnons à Chypre une nouvelle chance" écrit-il en guise de conclusion.
Emission préparée avec la Documentation d'actualité de Radio France
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