Iran : théocratie et géopolitique

2 cartes sur les mouvements en Iran en 2009 et 2018 par D. GAUDISSART,AFP/Face à face manifestants et forces de l'ordre à Téhéran 30.12.17, AP/Manifestations pro-gouvernementales, 30.12.2017,Téhéran, par H. MALEKPOUR, Maxppp/
2 cartes sur les mouvements en Iran en 2009 et 2018 par D. GAUDISSART,AFP/Face à face manifestants et forces de l'ordre à Téhéran 30.12.17, AP/Manifestations pro-gouvernementales, 30.12.2017,Téhéran, par H. MALEKPOUR, Maxppp/ - AFP/AP/Maxpp
2 cartes sur les mouvements en Iran en 2009 et 2018 par D. GAUDISSART,AFP/Face à face manifestants et forces de l'ordre à Téhéran 30.12.17, AP/Manifestations pro-gouvernementales, 30.12.2017,Téhéran, par H. MALEKPOUR, Maxppp/ - AFP/AP/Maxpp
2 cartes sur les mouvements en Iran en 2009 et 2018 par D. GAUDISSART,AFP/Face à face manifestants et forces de l'ordre à Téhéran 30.12.17, AP/Manifestations pro-gouvernementales, 30.12.2017,Téhéran, par H. MALEKPOUR, Maxppp/ - AFP/AP/Maxpp
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Pas de miracle économique en Iran, le peuple, les jeunes crient leur colère, face au système, à la corruption, à la coûteuse politique étrangère de l'Iran. Les ressorts de la théocratie iranienne paraissent érodés. Qui trouvera une sortie à la crise et quels en sont les enjeux géopolitiques ?

Avec
  • Éric Chol Directeur de la rédaction de l'Express
  • Jean-François Daguzan Docteur en droit et en sciences politiques, directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) et professeur associé à l'Université de Paris II Panthéon-Assas
  • Clément Therme Chargé de cours à l’université Paul-Valery de Montpellier
  • Azadeh Kian Professeure de sociologie, directrice du département de sciences sociales et du CEDREF à l'Université de Paris
  • Thierry Coville Chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran

Une vingtaine de morts, un millier d'arrestations au moins, en une semaine et la contestation continue de sourdre en Iran dans les profondeurs du pays. Les sans-grades, les sans-culottes, les sans-turbans, les jeunes, surtout, n’ont plus peur de crier leur misère, leur colère, face à la corruption du système et leur déception, à l'égard d'un gouvernement qualifié, faute de mieux, de réformateur. Autant, il y a huit ans, la répression avait maté le mouvement vert des classes moyennes de Téhéran, autant, cette fois, le régime paraît dans l'impasse, prisonnier de ses propres fractures et de ses ambitions contradictoires. La levée partielle des sanctions internationales, après l'accord nucléaire de 2015, n'a pas entraîné le miracle économique tant espéré. L’emprise de la perse chiite sur des voisins arabes sunnites satisfait l’orgueil national, mais ne compense pas la hausse du prix des œufs. Le guide suprême Khamenei, a beau dénoncer les ennemis de l’extérieur, le président Rohani se dire attentif aux cris du peuple, ce sont bien les ressorts de la théocratie iranienne qui paraissent érodés.

Qui trouvera une sortie à la crise ? Qui des ultraconservateur et des modérés ? Comment l’économie iranienne peut-elle rebondir sans les investissements étrangers qui sont frileux ? Donald Trump twitte à tout-va son soutien à la contestation, mais fait-il le jeu des ultraconservateurs ? Les États-Unis ont obtenu, hier soir, une réunion du conseil de sécurité de l’ONU, malgré les protestations de la Russie. Que peut faire l’Europe qui, pour une fois, avait puissamment contribué à un accord nucléaire que Washington veut remettre en cause, aujourd'hui. Quelle incidence sur le duel Iran-Arabie Saoudite?

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Autour de Christine Ockrent

Azadeh Kian, Professeure de sociologie et directrice du Cedref à l'université Paris7-Diderot. Elle a notamment publié L'Iran: un mouvement sans révolution chez Michalon (2011) et La République islamique d’Iran: de la maison du Guide à la raison d’Etat (en 2005)

Jean-François Daguzan, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (Paris) et directeur de la revue Maghreb Machrek. Il a co-dirigé avec Stéphane Valter Les armées du Moyen-Orient face à Daesh, MA éditions (2016) et il a publié en 2015, La fin de l'Etat-nation ? de Barcelone à Bagdad(CNRS Editions).

Clément Therme, Chercheur à l'International Institute for Strategic Studies (IISS). Il a publié “L’Iran depuis la fin de la Guerre froide : l’impossible quête d’une « démocratie islamique », dans Confluences Méditerranée 2017/1 (N° 100), ainsi que Les relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979 (PUF et Institut universitaire de hautes études, internationales et du développement de Genève, en 2012 et 2015) et il a contribué à l’ouvrage de Jean-Pierre Perrin, Iran, La prière des poètes(Editions Nevicata). Signalons également, l'article co-écrit avec Hebatalla Taha "Les groupes chiites en Irak : enjeux nationaux et dimensions transnationales",L'Irak après Daech, Politique étrangère, vol. 82, n° 4, hiver 2017-2018.

Thierry Coville, économiste, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran, professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays. Il a notamment publié  Iran, la révolution invisible, La Découverte (2007 et 2013). Et plus récemment, il a dirigé avec Mehrdad Vahabi pour la Revue internationale des études du développement, le numéro intitulé, “L'économie politique de la République islamique d'Iran” (n° 299, publié en mai 2017 aux Editions de la Sorbonne).

La chronique d'Eric Chol de Courrier International

Eric Chol, directeur de la Rédaction de Courrier International revient sur les réactions de la presse iranienne et internationale suite aux récentes manifestations en Iran ?

2 pages de Une extraites de Courrier International, le 2 janv. 2018, "Manifestations en Iran : ce que dit la presse du pays", le journal modéré "Arman" et conservateur, "Javan"
2 pages de Une extraites de Courrier International, le 2 janv. 2018, "Manifestations en Iran : ce que dit la presse du pays", le journal modéré "Arman" et conservateur, "Javan"
- Courrier International/Arman/Javan

Pour les journaux réformateurs,  le pouvoir doit entendre les revendications de la population, mais dans la presse  du camp conservateur, le seul point de vue qui vaille, c’est celui de la fermeté. 

Fermeté à l’égard des “agitateurs” mais aussi des puissances étrangères. La condamnation des manifestants est donc unanime, la presse conservatrice parle d’eux comme des “agents de l’étranger” ou  des ’“ennemis du peuple”.

Le journal Javan, par exemple,  proche des Gardiens de la révolution, aligne sur sa Une, des photos des politiques américains qui ont apporté leur soutien aux manifestants : on y voit le président Donald Trump et sa fille Ivanka. 

L’espoir des autorités américaines et saoudiennes d’affaiblir l’Iran est irréaliste”, écrit le quotidien. Quant au journal conservateur Resalat, il titre “Le peuple répondra aux hostilités des États-Unis et à celles des émeutiers”.

La politique étrangère iranienne est très critiquée par les manifestants

C’est ce que rapporte le quotidien libanais L’Orient Le Jour, qui rappelle ce slogan entendu dans les rues iraniennes: 

« Ni Gaza ni Liban, je voue ma vie à l'Iran ».  Selon le journal de Beyrouth, «  le soutien du gouvernement, et plus particulièrement de sa ligne dure, à des groupes comme le Hezbollah, les Houthis ou le Hamas, a aussi un coût, qui pourrait s'élever à plusieurs milliards de dollars, de quoi faire enrager la population iranienne». 

Mais le quotidien libanais reste prudent : à la question de savoir si cette colère pourrait pousser Téhéran  à revoir sa politique régionale, il répond : 

« Rien n'est moins sûr. Le régime a graduellement durci le ton ces derniers jours, et semble camper sur ses positions. »

En Russie et aux Etats-Unis, comment réagit la presse?

L’éditorialiste Vladimir Frolov s’inquiète dans le quotidien  Moscow Times sur les conséquences pour la Russie des troubles iraniens. « Pour le Kremlin, écrit-il, l’instabilité en Iran est porteuse d’un champ très large de menaces existentielles ». Parmi ces menaces, il y a par exemple la politique russe en Syrie.

« Vu que les manifestants réclament la fin des dépenses dans des aventures  extérieures, Moscou pourrait commencer à s’interroger sur son propre projet de reconstruction en Syrie », poursuit l’éditorialiste russe. Car nous dit-il : « Moscou se félicite de sa victoire militaire en Syrie mais oublie de préciser que ce sont les bottes iraniennes sur le terrain qui ont rendu cette victoire possible ».

Coté américain, une fois n’est pas coutume, la presse se range dans l’ensemble du côté du président Donald Trump. 

Trump a raison, cette fois, au sujet de l’Iran”, écrit Roger Cohen,  dans le New-York Times.  « Même s’il ne comprend rien ou presque à l’Iran, même si son invocation 'des droits de l’homme’ sonne creux, Trump a raison d’exprimer sa solidarité”.

Et celui qui est aujourd’hui pointé du doigt par les journaux, c’est Barack Obama, dont la réaction avait été trop timide en 2009, lorsque la rue iranienne s’était déjà enflammée.

À Téhéran, à l’époque, le silence de la Maison-Blanche d’Obama était assourdissant”, regrette Roger Cohen. 

Quant à Dennis Ross, ancien conseiller d’Obama, il écrit dans la revue Foreign Policy.

La leçon que j’ai tirée de 2009 est que les États-Unis ne devraient pas garder le silence”. « L’administration américaine devrait prendre acte des protestations de façon neutre, sans en rajouter, et attirer l’attention sur les griefs économiques à l’origine des manifestations, qui sont sûrement aggravés par l’aventurisme iranien au Moyen-Orient ».

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