

Promesse tenue : la Turquie a commencé à renvoyer les djihadistes occidentaux dans leur pays d'origine. La France s'apprête à accueillir onze d'entre eux. Comment organiser leur retour ainsi que celui de leur famille ?
- Fabrice Balanche maître de conférence HDR en géographie à l’Université Lyon 2, auteur de « Géopolitique du Moyen-Orient » (La Documentation française, 2014).
- Peter Maurer président du Comité international de la Croix-Rouge
- Dorothée Schmid Chercheuse, responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient de l'IFRI
- Camille Lucotte avocate de Français détenus en Syrie au barreau de Paris
- Kevin Parthenay président du Centre d’Analyse du Terrorisme
La Turquie a annoncé lundi 11 novembre l'extradition de onze djihadistes français. Les informations arrivant au compte-goutte, nous savons désormais qu'il s'agit de quatre femmes et de leurs sept enfants. Les onze personnes se trouvaient au camp de Aïn Issa, au Kurdistan syrien. Camille Lucotte, avocate au barreau de Paris, a pour cliente une des femmes qui font partie de ce convoi. Elle explique la procédure qui sera suivie.
Ma cliente a été arrêtée dans un centre de détention sur le sol turc. A la descente de l'avion, les personnes recevront certainement un mandat d'arrêt international et devront être amenées devant un juge d'instruction. Ensuite, elles seront placées en détention. Les enfants eux seront dirigés vers les services d'aide à l'enfance. Cette procédure est encadrée notamment par le "protocole Cazeneuve", initié en 2014, qui sécurise le transfert de djihadistes de la Turquie vers la France en vue d'un jugement.
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Plusieurs centaines de djihadistes sont maintenus dans ces camps, certains contrôlés par le gouvernement syrien, d'autres par les Kurdes, et une minorité par la Turquie. Un certain nombre de ces camps sont visités par le Comité International de la Croix-Rouge, comme le confirme son président, Peter Maurer, que Christine Ockrent a pu interviewer dans le cadre du Forum de Paris pour la Paix.
Si nous sommes présents dans tous les camps du Nord-Est de la Syrie, c'est que nous le faisons en toute transparence avec le gouvernement syrien. Le CICR a fait un effort délibéré d'avoir des relations et des accès avec tous ceux qui contrôlent ces camps de détention : des forces kurdes comme d'autres forces qui ont de l'influence sur ce contrôle.
Parmi ces anciens combattants de Daesh, estimés à plus de 12 000 dans le Nord-Est Syrien, de nombreux Français, comme le souligne Jean-Charles Brisard, président du Centre d'Analyse du Terrorisme.
Nous savons aujourd'hui qu'il y a une soixantaine d'hommes, environ cent femmes et quelques 300 enfants qui sont enfermés dans le Nord de la Syrie. Certains djihadistes ont aussi pu s'enfuir des camps.
Recep Tayyip Erdogan compte profiter de cette séquence diplomatique, quelques semaines seulement après avoir lancé son offensive à la frontière syrienne. Le président turc sait comment gêner les Européens, d'abord en menaçant d'ouvrir les frontières extérieures de son pays aux 4 millions de réfugiés qui s'y trouvent, et maintenant en annonçant l'expulsion des djihadistes. Le chef d'Etat et président du Parti de la Justice et du Développement (AKP), qui entame prochainement un voyage à Washington, a annoncé vouloir poursuivre son avancée.
La zone est éminemment stratégique pour lui, comme le montre l'ouvrage de Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lumière Lyon 2, sur le conflit syrien, disponible gratuitement sur le site du Washington Institute, où il est professeur associé. Mais en Europe, la manière dont les gouvernements gèrent cette problématique change d'un pays à l'autre. Dorothée Schmid, chercheuse et directrice du programme Turquie à l'Ifri, se trouve d'ailleurs à Berlin. En Allemagne, ce dossier n'est pas approprié de manière polémique par la classe politique. Hamdam Mostafavi, rédactrice en chef du Courrier International, s'est d'ailleurs intéressée cette semaine à la manière dont les pays européens mènent leur politique de déradicalisation.
La Chronique du Courrier International
Les Danois sont les pionniers en matière de déradicalisation puisque dès 2014, le royaume intégrait au programme Aarhus, du nom de la seconde plus grande ville du pays, les jeunes djihadistes de retour de Syrie, afin de leur “donner une seconde chance”, raconte le New York Times. Au Danemark, la déradicalisation consiste en un accompagnement pour trouver un emploi, prendre des études, se loger, un soutien psychologique et une aide médicale. Tous les participants ont un mentor, vers qui ils peuvent se tourner au quotidien pour des conseils et débattre des questions religieuses. Grâce à cette initiative, la ville de Aarhus affirme avoir réintégré dans la société 17 des 20 personnes qui sont revenues au Danemark entre 2013 et 2015, selon le journal danois Berlingske. Mais ces personnes n’avaient passé que peu de temps en Syrie ou en Irak, et il y a une différence importante entre les djihadistes qui sont revenus rapidement et ceux qui ont passé plusieurs années sur place, insiste le quotidien. Il faut savoir que plus de 150 Danois sont partis rejoindre les rangs des djihadistes en Irak et en Syrie et une cinquantaine seraient revenus.
D’autres pays ont suivi l’exemple danois. C’est le cas par exemple de l’Allemagne, qui a mis en place un suivi psychologique des revenants du djihad, depuis juillet 2014 en tablant sur la collaboration entre les services gouvernementaux et les associations. En Allemagne, la particularité c’est que les djihadistes ne sont pas systématiquement incarcérés car les autorités allemandes doivent détenir la preuve concrète de leur implication dans les combats, ce qui est difficile, notamment pour les épouses de djihadistes. sur les quelque 900 djihadistes partis, environ le tiers seraient rentrés, 80 sont en prison et environ 200 auraient retrouvé leurs familles, selon le site de la Deutsche Welle. Le programme de déradicalisation consiste là plutôt en un coaching des familles, qui sont conseillés par des psychologues et des travailleurs sociaux. Le Royaume-Uni a adopté une approche plus systématique avec le programme Désistement et désengagement, nous relate la BBC. Le but du gouvernement britannique, c’est d’aller aux racines de ce qui mène à la radicalisation, en s’attaquant à la fois à l’idéologie et à la psychologie des individus. Le programme consiste en des sessions hebdomadaires ou mensuelles avec des spécialistes, comme des travailleurs sociaux ou des psychologues. Il s’agit de déterminer pourquoi les personnes ont été attirés par l'extrémisme et de les “reprogrammer” en leur donnant une autre lecture du monde. 116 personnes en tout auraient bénéficié de ce programme entre octobre 2016 et septembre 2018, d’après les chiffres obtenus par le Guardian.
Le journal note que le ministère de l’Interieur ne donne pas d’informations sur le succès de ce programme mais de plus en plus de personnes y participent. Et les adhérents potentiels ne manquent pas, note The Times, si on prend en considération le fait que plus de 400 personnes “faisant peser une menace sur la sécurité nationale” seraient rentrées de Syrie et d’Irak depuis 3 ans. Autre problème, souligne le quotidien britannique, il s’agit d’un programme obligatoire permettant soit de rentrer sur le territoire britannique, soit de sortir plus rapidement de prison, “il est donc difficile de juger de la sincérité des participants, il est probable qu’ils ne finissent que par dire ce que les autorités veulent entendre”.
Avec Camille Lucotte, avocate de Français détenus en Syrie au barreau de Paris, Jean-Charles Brisard, président du Centre d’Analyse du Terrorisme, Dorothée Schmid, Chercheuse, Responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient de l'Ifri, autrice de « La Turquie en 100 questions » (Tallandier, 2017), Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lumière Lyon 2, auteur de l’ouvrage « Sectarianism in Syrian’s Civil War », publié en 2018 et disponible sur le site du Washington Institute, Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge
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