

Le président du gouvernement régional du Kurdistan d'Irak va tenter par référendum d'arracher l'indépendance. Quels enjeux?
- Jana Jabbour Spécialiste de la diplomatie turque au Moyen-Orient et enseignante en Relations internationales à Sciences-Po Paris.
- Jordi Tejel Gorgas enseignant-chercheur à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève
- Frédéric Tissot Médecin, ancien consul général de France à Erbil au Kurdistan d'Irak, chargé d'enseignement à la Paris School of International Affairs de Sciences Po Paris.
- Adel Bakawan Directeur du Centre français de recherche sur l'Irak (CFRI)
Ce rêve d'un Etat kurde hante depuis des générations cette population de quelques 40 millions de Kurdes, qui ne sont pas unis, malmenés par l'histoire, dispersés entre la Turquie, la Syrie, l'Iran et l'Irak. Ce référendum qui ne concerne que les Kurdes d'Irak, personne d'autres n'en veut : ni Bagdad, ni Téhéran, ni Ankara, ni Moscou, ni Washington, ni les Occidentaux, malgré la participation active des combattants Kurdes dans l'offensive contre DAECH. Pourquoi Massoud Barzani tente-t-il ce coup de force ? Quelles sont les risques ? Comment la Turquie, l'Iran qui soutient le régime de Bagdad, vont-ils réagir ? Un Kurdistan indépendant ajoute-t-il aux désordres régionaux ou peut-il au contraire consolider de nouveaux équilibres ?
Autour de Christine Ockrent :
Frédéric Tissot, médecin spécialiste de santé publique, il a été le premier consul général de France à Erbil, au Kurdistan d'Irak (2007-2012). Il est actuellement chargé d'enseignement à la Paris School of International Affairs de Sciences Po Paris. Il a notamment publié avec Marine de Tilly, L'homme debout : humanitaire, diplomate, anticonformiste (chez Stock en 2016). Ila préfacé de livre d’ Olivier Piot Le peuple kurde : clé de voûte du Moyen-Orient (les Petits Matins).
- par téléphone, Adel Bakawan, sociologue franco-kurde, Directeur Général du Kurdistan Centre for Sociology (KCS), Soran University. Chercheur associé à l’EHESS, au Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologiques (CADIS), chargé de cours à l’Université d’Evry depuis 2011. Il vient de publier "Les fragilités du Kurdistan irakien" dans le RAMSES 2018 (Dunod et Ifri).
- Jordi Tejel depuis Neuchâtel, docteur en sociologie (EHESS, France) et en histoire (Université de Fribourg, Suisse), enseignant-chercheur à l'Institut d'histoire de l'Université de Neuchâtel. Il a notamment publié Le mouvement kurde de Turquie en exil : continuités et discontinuités du nationalisme kurde sous le mandat français en Syrie et au Liban, 1925-1946. (P. Lang, 2006). Il a contribué au n°8 de la revue Anatoli, “Les Kurdes : puissance montante au Moyen-Orient ? sous la direction Hamit BOZARSLAN (sept. 2017).
et depuis Beyrouth, Jana Jabbour, spécialiste de la diplomatie turque au Moyen-Orient et enseignante en Relations internationales à Sciences-Po Paris. Elle a notamment publié La Turquie, l'invention d'une diplomatie émergente, aux éditions du CNRS.

La chronique d'Eric Chol de Courrier International
Eric chol, directeur de la rédaction de Courrier International présente des articles sur l'emprise du clan Barzani
L’homme du référendum, c’est Barzani… c’est son idée, et depuis qu’il l'a annoncée en juin, il semble déterminé cette fois à aller jusqu'à bout. Massoud Barzani, qui est à la tête du gouvernement régional kurde depuis 2005, « se bat seul contre tous les obstacles que l’on dresse sur son chemin », écrit, non sans lyrisme, le journaliste Ayub Nuri, dans Rudaw, le journal le plus important du Kurdistan Irakien.
Au passage, l’auteur balaye les critiques qui pleuvent de tous les cotés sur Barzani.
« Ceux qui cherchent aujourd’hui à discréditer le référendum en le réduisant aux ambitions personnelles de Barzani agissent contre la volonté du peuple. Barzani est seulement le chef de file du mouvement indépendantiste kurde, au moment où surgit une occasion à ne pas rater », précise le journaliste.
Il n’a pas tort : Massoud Barzani, a flairé effectivement le bon coup. Car ce référendum, comme l’écrit le journal libanais l**’Orient le Jour,** est
« une incroyable opportunité pour celui qui en est à la fois le promoteur et le garant . Car à 71 ans, Massoud Barzani, dont le mandat a expiré en 2015, mais qui s’accroche toujours au pouvoir, peut retrouver grâce à ce vote une popularité et une influence qui avaient fini par s’éteindre. « Ça lui offrirait un formidable outil de légitimation », écrit le quotidien libanais.
Massoud Barzani, c’est aussi une famille, aussi puissante que critiquée.
C'est le clan Barzani. Avec évidemment l’image du père quasiment mythique du père, Moustafa Barzani, héros historique de la révolution kurde : il a même été ministre de la défense dans l’éphémère république de Mahabad, qui a été établie dans Kurdistan iranien, c’était en 1946. A sa mort, en 1979, son fils Massoud prend les commandes du PDK le parti démocratique du Kurdistan. Et lorsqu’il est élu, en 2005, à la tête du gouvernement régional, il devient le seigneur du Kurdistan irakien. Il distribue les postes à ses proches, raconte le journal suisse le Temps :
« son neveu devient premier ministre, un des de ses fils est responsable des forces militaires d’élite, un autre est devenu son principal conseiller »…
Et voilà comment le clan Barzani contrôle la région, les services de renseignements, les médias... Evidemment, ce népotisme inquiète: le journaliste d’investigation kurde Kamal Chomani a publié cette année une grande enquête sur le site Kurdish Policy Foundation sur toutes les ramifications économiques du clan Barzani ; il raconte notamment la main mise sur la rente pétrolière.
Sur le site de Daily Beast, deux chercheurs kurdes, Muhammed Abdullah et Barah Saleh sont tout aussi féroces.
« Nous sommes usés par cette gouvernance affaiblie et la corruption à grande échelle, écrivent-ils. Les actuels leaders du Kurdistan ont raté l’opportunité de poser les jalons d’une gouvernance efficace et d’une économie prospère ».
Face à ces critiques, Massoud Barzani sait qu’il joue son va tout avec ce référendum, et c’est sans doute pour cette raison qu’il a confié au journal saoudien Okaz qu’un report de la consultation était inenvisageable.
De plus en plus seul sur le plan international, Massoud Barzani est un opportuniste, comme l’avait très bien titré le magazine américain The Time. C’était en 2014, et le journal avait désigné Barzani comme l’homme de l’année, pour son engagement aux côtés des Etats Unis contre l’Etat islamique. Celui qui a quitté l’école à l’age de 16 ans pour prendre les armes est un vrai combattant, mais c’est aussi un fin calculateur politique : en 2014, rappelle The Time, en plein affrontement contre les soldats de Daech, il réclamait déjà l’indépendance du Kurdistan Irakien.
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