Le Mexique est pris entre le marteau & l'enclume, entre Donald Trump qui a fait de l'immigration le thème prioritaire de sa présidence & les petits pays de l'Amérique centrale dont la population cherche à tout prix à fuir la misère & la violence. Au bord de l'asphyxie, quels enjeux pour le Mexique?
- Éric Chol Directeur de la rédaction de l'Express
- Isabelle Vagnoux professeure à l’université Aix-Marseille.
- Laurent Faret professeur en géographie de l'université Paris-Diderot en délégation à l'IRD et en affectation au CIESAS Mexico.
- Alain Musset Géographe, membre de l'Institut Universitaire de France
- Pierre Salama Économiste, professeur émérite à Paris-13
Depuis cinq mois, les Mexicains ont un nouveau président. Elu sur de multiples promesses, à commencer par la lutte contre la corruption, Andrés Manuel López Obrador, surnommé AMLO, s'était engagé à accueillir les migrants venus du Sud.
Aujourd'hui le pays frôle l'asphyxie, tant Washington durcit l'accès à la frontière nord et menace périodiquement d'augmenter ses tarifs douaniers, quels que soient les risques pour les deux économies. La violence,les gangs, les cartels de la drogue continuent de sévir au Mexique. Comment la population fait elle face ? Comment le nouveau pourvoir peut il répondre à ses attentes?
Jusqu'à quel point le président mexicain est-il prisonnier de l'agenda migratoire américain? Le Mexique a choisi de ne pas prendre parti dans la crise internationale qui accable le Venezuela. Quel impact sur les équilibres régionaux?
Autour de Christine Ockrent :
Alain Musset directeur d'études à l'EHESS et membre honoraire de l'Institut universitaire de France. Il a publié le Que Sais-je sur Le Mexique aux PUF et il a dirigé avec Jean-Yves Piboubès, Géopolitique des Amériques en 2017 chez Nathan.
Pierre Salama, Professeur émérite des universités, Centre d'Économie de Paris-Nord_._ Il a coordonné le dossier "Les BRICS et le monde" pour Recherches internationales, n° 110, en 2017 et il a publié Des pays toujours émergents?, à La documentation française en 2014.
Par téléphone depuis Mexico, Laurent Faret professeur en géographie de l'université Paris-Diderot, en délégation à l'I.R.D et en affectation au CIESAS de Mexico. Il a dirigé avec Geneviève Cortès “Les circulations transnationales : lire les turbulences migratoires contemporaines” en 2009 chez Armand Colin. Il a récemment publié l’article « Enjeux migratoires et nouvelle géopolitique à l’interface Amérique latine-États-Unis », dans la revue Hérodote, no. 4, en 2018. Dans cet article, il explique :
"Loin des simplifications entretenues par certains discours politiques ou médiatiques, les logiques migratoires de l’espace régional nord- et centraméricain sont aujourd’hui diverses. La polarisation migratoire par les États-Unis reste forte et l’aire de provenance des migrants internationaux s’est élargie. Pour exemple, le nombre d’appréhensions par la patrouille frontalière étasunienne a été plus élevé en 2017 pour les migrants venant du Triangle Nord de l’Amérique centrale (Guatemala, Honduras, Salvador) que pour le Mexique voisin (165 000 contre 130 000) . Les données sur l’entrée aux États-Unis montrent que, pour la première fois dans l’histoire récente, les migrants en provenance de Chine et d’Inde étaient plus nombreux en 2015 que ceux en provenance du Mexique, si l’on ne considère que les entrées légales. Mais ces données masquent mal le fait que des courants migratoires en provenance de diverses parties du monde transitent aujourd’hui par les pays au sud des États-Unis pour gagner l’Amérique du Nord hors de formes officielles devenues plus restrictives."
"Le Mexique se situe donc au cœur de ce dispositif, dans un panorama général où l’on peut distinguer quatre dynamiques concomitantes, au moins schématiquement, d’émigration, de retour, de migration de transit et d’immigration."
Dans ce même article, Laurent Faret indique, à propos du courant migratoire mexicain que "Depuis le milieu des années 2000, les retours migratoires sont significatifs, entraînant ce qui a été en partie interprété comme un renversement des échanges migratoires avec les États-Unis."
"Prises dans leur ensemble, les logiques de retour tiennent à différents facteurs : la crise économique et financière à partir de 2008 aux États-Unis a contribué à réduire nettement l’offre d’emplois peu qualifiés (...). S’y ajoute plus partiellement l’existence d’opportunités au Mexique, notamment pour les migrants disposant de ressources économiques nés de la migration et entretenant des liens avec les régions d’origine. (...) Mais c’est loin d’être vrai à l’échelle de l’ensemble du pays et le contexte de violence croissante a limité ces effets. Enfin, la montée de sentiments anti-immigrants aux États-Unis a joué un rôle sur la dernière décennie, plus palpable encore depuis l’arrivée de Donald Trump à la tête de l’exécutif en janvier 2017 et les craintes que font peser les différentes mesures qu’il a mises en place. Plus largement, les déclarations très hostiles aux immigrés mexicains qui ont jalonné sa campagne et lui ont assuré le soutien d’une partie de la population aux États-Unis ont dégradé les conditions de vie des migrants mexicains."
Par téléphone depuis Nice, Isabelle Vagnoux, professeur à l’université d’Aix-Marseille et Rédactrice en chef de la revue IdeAs, Idées d'Amérique, elle a notamment coordonné le numéro sur Cuba et les Etats-Unis.
Le Mexique en quête de son identité
La revue de presse d'Eric Chol, Directeur de la rédaction de Courrier International
500 ans après la conquête espagnole du Mexique, le débat sur l’identité de ses habitants est un sujet très polémique qui agite la presse mexicaine.
C’est une lettre qui a lancé la polémique. Cette lettre, c’est celle que le président mexicain Andrés Manuel López Obrado, a envoyé au début de l’année à l’Espagne avec copie pour le Pape François, et dans laquelle il demandait des excuses pour les violations des droits de l’homme commises pendant la conquête espagnole. A Madrid et à Rome, on n’a guère apprécié et on n’a pas donné suite, mais la presse mexicaine, elle, s’est emparée du sujet. Il faut dire que le courrier n’a pas été envoyé à n’importe quel moment : c’est effectivement il y a juste cinq cents ans, au printemps de l’année 1519, que le conquistador espagnol Hernán Cortes a débarqué sur les côtes de l’actuel Mexique,. Deux ans plus tard, Tenochtitlán, la capitale de l’Empire aztèque qui allait devenir la ville de Mexico a capitulé.
Or cette lettre du président mexicain demande “que la Couronne espagnole reconnaisse publiquement les outrages commis par l’Espagne – et par l’Église – contre les peuples amérindiens," nous dit le site Veinticuatro Horas, citant le texte de la lettre.
La polémique a vite tournée autour de cette question de l’identité mexicaine, que résume le journal Milenio :
"Pendant cinq cents ans, la nation que nous formons aujourd’hui s’est construite avec les Espagnols et les Indiens, mais son identité a fini par être confondue avec le principe des ennemis éternels."
En réalité, poursuit Milenio,
"une partie des Mexicains veut croire qu’ils sont toujours les 'Mexicas' – les habitants de l’époque précoloniale –, alors qu’une autre partie ne jure au contraire que par une identité majoritairement d’origine espagnole avec une dose d’indianité."
Alors de quel côté penche le Mexique ?
La revue culturelle Nexos est allée interroger l’historien Héctor Aguilar Camín, qui explique que le Mexique, en niant son héritage colonial et ses origines hispaniques, s’est forgé une identité aussi fantasmée que contrariée.
"À l’heure des intégrations planétaires que nous propose le monde, notre réponse ne peut pas être l’exclusivisme local – aztèque, guarani, cholo, chicano ou catalan. Nous devons au contraire remettre à l’honneur l’expérience ibéro-américaine de la diversité dans l’unité. Celle-ci commence par la présence grecque et romaine dans la péninsule Ibérique et se poursuit aujourd’hui avec cet hispanophone sans papiers qui cherche sa place dans l’économie des États-Unis, s’implante et se mélange, mais, en même temps résiste, comme la frontière culturelle ibéro-américaine a résisté à travers les siècles face aux États-Unis."
La frontière avec les Etats-Unis joue donc un rôle de plus en plus important dans l’esprit des mexicaine ?
En effet, rien qu’au premier trimestre, le Mexique a vu par exemple arriver 300 000 migrants.
"Les caravanes venues d’Amérique centrale ont afflué à la fin de l’année dernière ont transformé tout le Mexique en territoire frontalier, raconte le journal El Pais. Du Chiapas à l’État de Chihuahua, le pays n’était plus un simple pays, c’était un gigantesque poste de douane", résume le journaliste.
Et quand un pays se transforme en poste de douane, on comprend que cela affecte sa culture et son identité.
Il y a un autre facette, souvent associée à l’image du Mexique, c’est la violence. L’arrestation et la condamnation du chef de cartel surnommé El Chapo en début d’année a-t-elle permis d’endiguer ce fléau?
Il est vrai qu'on pouvait espérer que l’élimination du plus célèbre trafiquant de drogue au monde ait à la fois une valeur symbolique et un effet dissuasif, écrit le quotidien américain USA Today, mais "l'impact réel sur le commerce transnational de la drogue pourrait être minime", analyse le journal. Car non seulement le cartel de Sinaloa, que dirigeait El Chapo, est actif, mais un nouveau groupe criminel rival, le Cártel de Jalisco Nueva Generación, présente un danger similaire.
Quant à la violence, elle fait partie du quotidien du pays. Au cours des trois premiers mois de l’année, le nombre de meurtres a augmenté de 9,6% : 8 493 personnes ont été tuées pendant cette période. Ces chiffres sont une très mauvaise nouvelle pour le président Lopez Obrador, qui avait fait campagne l’an dernier en promettant de faire baisser la violence, rapporte le site de la BBC.
Les journalistes sont particulièrement visés : cette semaine, on a retrouvé le corps de l’un d’entre eux dans les environs de Cancun. Francisco Romero Diaz est le cinquième journaliste à être tué en 2019 au Mexique, un pays parmi les plus dangereux au monde pour les reporters, rapelle le journal El Sol de México.
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