Les affres du Vatican

Le pape François, entouré de cardinaux et d’évêques, assiste à une messe de clôture de la réunion "La protection des mineurs dans l’Église" au Palais de Regia, le 24 février 2019, à la Cité du Vatican.
Le pape François, entouré de cardinaux et d’évêques, assiste à une messe de clôture de la réunion "La protection des mineurs dans l’Église" au Palais de Regia, le 24 février 2019, à la Cité du Vatican. ©Getty - Photo by Franco Origlia/Getty Images
Le pape François, entouré de cardinaux et d’évêques, assiste à une messe de clôture de la réunion "La protection des mineurs dans l’Église" au Palais de Regia, le 24 février 2019, à la Cité du Vatican. ©Getty - Photo by Franco Origlia/Getty Images
Le pape François, entouré de cardinaux et d’évêques, assiste à une messe de clôture de la réunion "La protection des mineurs dans l’Église" au Palais de Regia, le 24 février 2019, à la Cité du Vatican. ©Getty - Photo by Franco Origlia/Getty Images
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A quelques jours des célébrations pascales, l’Eglise catholique vacille sous les scandales sexuels, les affaires de pédophilie, les procès... Pourquoi les affaires de mœurs si longtemps enfouies sous la robe ont-elles pris une telle ampleur? L'Eglise peut-elle rejoindre son temps? Que peut le pape?

Avec
  • Frédéric Martel Journaliste, Producteur de l'émission "Soft power" sur France Culture.
  • Constance Colonna-Cesari Journaliste et réalisatrice, spécialiste du Vatican
  • Marco Politi journaliste vaticaniste italien, auteur notamment de « François parmi les loups », ed. Philippe Rey, 2015.
  • Danièle Hervieu-Léger sociologue, spécialiste des questions religieuses

Le sommet sur la protection des mineurs, en février 2019, n'a livré aucun résultats concrets, les quelques gestes d'ouverture à l'égard des homosexuels, dont certaines organisations ont récemment été reçues à Rome, ont déçu. Au Vatican, le pape François est la cible d'attaques féroces. Au sein même du Collège épiscopal, les luttes de clan, jadis feutrées, ont changé d'intensité, une sorte de guerre civile à ciel ouvert déchire l'Eglise romaine et oppose ses clientèles traditionnelles. Comment en est-on donc arrivé là ?  Que signifient les tentatives de déstabilisation de ce pape argentin dont les priorités contrarient l'ordre établi ?  

Autour de Christine Ockrent

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Danièle-Hervieu Léger , directrice d’études de l’EHESS, sociologue des religions. Elle a  publié Le temps des moines : clôture et hospitalité en 2017 aux PUF.

La question de la pédo-criminalité d'un côté, et puis de l’autre côté, l’explosion médiatique et politique qu’a provoquée la publication du livre de Frédéric Martel Sodoma, révèlent au grand jour deux points : premièrement une culture du secret, une volonté de protéger l’institution. Cette culture est destinée avant tout à préserver un système de pouvoir, qui est gagé sur la figure du prêtre. Et l’autre point de convergence, c’est que les deux questions touchent à des problèmes engageant la sexualité. De ce point de vue là, le désarroi des fidèles a commencé bien en amont, au moment où a été publiée en 1968, l' Encyclique Humanae vitae, au moment où s''est accentué de façon gravissime un décalage entre une culture qui fait entrer la parité, la liberté sexuelle, tout ce qui participe de l'autonomie individuelle, et un discours de l'église qui continue de verrouiller.

Constance Colonna-Cesari, journaliste et documentariste, spécialiste du Vatican. Elle a  publié Dans les secrets de la diplomatie vaticane en 2016 aux éditions du Seuil.

Il y a à la fois ce que fait le pape François sur la culture, la morale familiales et il y a des voix géopolitiques que le pape a tracées, comme l’accueil des migrants... l’ouverture et le dialogue avec l’Islam... Aujourd’hui, toutes ces actions politiques du pape François coalisent des gens contre lui, comme le cardinal américain, Burke, écarté du pouvoir par le pape et qui représente la culture pro-life. Il avait refusé, par exemple, la communion au démocrate, John Kerry, qui s’était prononcé sur le divorce et sur l’avortement.

Le cardinal américain Raymond Leo Burke à la Marche nationale pour la vie, contre la loi 194 sur le droit à l’avortement, à Rome, 13 mai 2012.
Le cardinal américain Raymond Leo Burke à la Marche nationale pour la vie, contre la loi 194 sur le droit à l’avortement, à Rome, 13 mai 2012.
© Maxppp - Riccardo De Luca/MAXPPP

Rome devient une plaque tournante de tous les opposants, à la fois politiques et idéologiques, au pontificat du pape François. Il y avait ce fameux projet qui vient d'être arrêté, Dignitatis Humanae, de la Fondation de Benjamin Harnwell, un ami de Steve Bannon et du cardinal Burke, afin d'ouvrir une école de formation pour les futures élites de toutes les droites souverainistes européennes les Viktor Orbán, lesMarion Maréchal...

Frédéric Martel, écrivain, sociologue il produit le magazine " Soft Power" à France Culture. Il vient de publier Sodoma chez Robert Laffont.

Ce qui est très frappant, c’est que vous avez des gens (au Vatican) très homophobes, très misogynes, d’extrême droite, vivent en même temps dans un environnement, un univers très majoritairement homosexuel. Il y a une schizophrénie, une hypocrisie absolument abominable. C'est ce que le pape François a compris. Ce qu'il déteste, c’est que ces cardinaux, schizophrènes, rigides mènent une double vie.

Pour comprendre ce Vatican il faut être contre intuitif. Au fond, ceux qui sont les plus conservateurs et les plus réactionnaires sont en fait ceux qui ont très souvent  une vie sexuelle, ou en tout cas une vie complètement délirante (les soirées régulières avec sexe et drogues) Au Vatican cela dépasse les séries télé. 

Si on prend la France, 85% des Français soutiennent le mariage des prêtres, 70% sont pour l'ordination des femmes. La société a changé, elle a compris qu’il y avait une hypocrisie, un mensonge. Elle veut que cette Eglise change (...); Mais on comprend bien que cette Eglise a 50 ans de retard sur la sexualité.

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Par téléphone depuis Rome, Marco Politi, journaliste spécialiste du Vatican. Il a publié François parmi les loups aux éditions Philippe Rey en 2016.

Aujourd’hui, il y a une guerre civile souterraine contre la ligne réformiste du pape François. Un pape est tout puissant, lorsqu’il est conservateur. Quand il est réformiste, il trouve résistance, sabotage et opposition ouverte, comme nous le voyons avec les cardinaux qui font des documents contre le pape.

Sur le plan de l’homosexualité, le pape n’est pas assez fort pour changer le catéchisme, mais il veut libérer l’Eglise sur les questions de l’obsession sexuelle. Il a dit qu’il ne va pas juger les homosexuels. C’est le pape qui a reçu pour la première fois un transsexuel de l’Espagne au Vatican avec sa fiancée. 

Il a changé l’atmosphère mais sur le plan des abus, au contraire, il y a une guerre acharnée, entre une ligne de tolérance zéro que le pape voudrait réaliser mais qu’il n’est pas capable d'instaurer à tous les échelons. Sur le plan de l’église universelle, il a rencontré une résistance de passivité.

L'Eglise face à l'appel mondial à la vérité

La chronique d'Eric Chol, Directeur de la rédaction de Courrier International

Comment réagit la presse internationale face à ce déluge de scandales ?

Cardinal Swald Gracias avec la journaliste mexicaine Valentina Alazraki lors de la dernière séance d’information sur les travaux de la réunion sur la protection des mineurs dans l’Eglise à l’Institut Patristique Augustinianum, Vatican, 24/02/2019
Cardinal Swald Gracias avec la journaliste mexicaine Valentina Alazraki lors de la dernière séance d’information sur les travaux de la réunion sur la protection des mineurs dans l’Eglise à l’Institut Patristique Augustinianum, Vatican, 24/02/2019
© Maxppp - GIUSEPPE LAMI/EFE/Newscom/MaxPPP

Il y a eu ce coup d’éclat, de la part d’une journaliste mexicaine Valentina Alazraki, très bonne connaisseuse du Vatican, qu’elle couvre depuis plus de 45 ans. Elle n’a pas hésité à  interpeller le Pape et l’assemblée de religieux réunis en février à Rome pour le sommet organisé sur les abus sexuels, et son discours a eu un grand retentissement. Le New-York Times  raconte la scène : 

Se présentant comme une journaliste, une femme laïque catholique et une mère, Valentina Alazraki a averti les religieux que si l'église ne commençait pas à faire la clarté et à reconnaître publiquement ses péchés, devançant les scandales au lieu de les dissimuler, les fidèles et l'opinion publique deviendraient de plus en plus impitoyables. 

Valentina Alazraki poursuit : 

Si vous ne vous décidez pas de manière radicale à être du côté des enfants, des mères, des familles, de la société civile, vous avez raison d'avoir peur de nous, car nous les journalistes, qui voulons le bien commun, serons vos pires ennemis

Cet appel à la vérité, on le retrouve dans tous les journaux de la planète. Au Chili par exemple, où il ne se passe pas une semaine sans qu’éclatent de nouvelles révélations, une journaliste chilienne écrit dans les colonnes de Ciper, un excellent journal d’investigation en ligne : 

Si la phrase biblique "la vérité vous libérera" est juste, il est plus qu'évident que les évêques chiliens sont emprisonnés depuis de nombreuses années. Ces prisonniers ont pris la décision de ne pas remettre à la justice civile l'historique des crimes possibles d'abus sexuels commis par des prêtres, ce qui aurait permis de montrer la vérité sur ces horreurs. Et de mettre fin à l'impunité.

La journaliste qui écrit ces lignes, Monica Rincon, fait aussi allusion au cardinal Ricardo Ezzati, l’archevêque de Santiago, accusé d’avoir couvert des prêtres pédophiles et dont le pape a accepté la démission. Voilà ce qu’elle écrit : 

Il a dit que toute cette crise était une "bénédiction de Dieu". J'ai honte de la douleur que les survivants ont dû ressentir lorsqu'ils ont entendu le cardinal. Toute l'horreur vécue par des centaines de victimes est un produit de la perversion de ceux qui les ont maltraitées, mais aussi des réseaux de protection, de dissimulation et de négligence. 

Le nouveau Cardinal Ricardo Ezzati Andrello et le Pape François, lors du Consistoire à la Basilique Saint-Pierre, le 22 février 2014, à la Cité du Vatican. 19 nouveaux cardinaux ont été créés lors d’une cérémonie au Vatican.
Le nouveau Cardinal Ricardo Ezzati Andrello et le Pape François, lors du Consistoire à la Basilique Saint-Pierre, le 22 février 2014, à la Cité du Vatican. 19 nouveaux cardinaux ont été créés lors d’une cérémonie au Vatican.
© Getty - (Photo by Peter Macdiarmid/Getty Images

Aux Etats-Unis aussi, le prestige de l’Eglise est tout autant terni.

La nomination récente de Mgr Wilton Gregory à la tête de l’Église catholique à Washington fait partie de ces signaux pour tenter montrer que les choses changent. Le pape a choisi un réformateur afro-américain, connu pour son engagement dans la lutte contre la pédo-criminalité. Mais peut-il restaurer l’image si abîmée de l’Église ? De son côté, le Los Angeles Times invite les responsables catholiques à la plus grande transparence.  

Il est de plus en plus évident que la maltraitance des mineurs n’est qu’un aspect de la crise », écrit l’éditorialiste. « L’Église catholique doit traiter avec la même fermeté les prêtres qui abusent sexuellement ou exploitent des «adultes vulnérables», jeunes séminaristes, religieuses ou laïcs. Elle fait maintenant face à son propre mouvement # MeToo et doit réagir avec force. 

Pour certains, il est déjà trop tard. C’est le point de vue de Melinda Henneberger, édiorialiste à USA Today. Cette journaliste catholique raconte que lorsque le Boston Globe et le Philadelphia Inquirer ont révélé que plus de 130 évêques américains ont été accusés de ne pas avoir traité de manière appropriée l'inconduite sexuelle de prêtres, le cardinal de Boston, qui est, rappelle-t-elle, le principal conseiller du pape François sur ces questions, a déclaré : "Je suis choqué par ce chiffre, cela soulève beaucoup de questions dans mon esprit."

Une réaction qui suscite l’écœurement de Melinda Henneberger : « Je suis choquée qu’il soit sous le choc, écrit-elle, l'église s'est endormie. Depuis un siècle. ».

On observe le même type de réactions en Australie, où le cardinal Pell, ancien numéro trois du Vatican, a été condamné à six ans de prison, après avoir été reconnu coupable d'agression sexuelle sur deux enfants, en Allemagne et en Pologne. Pour la version irlandaise du quotidien The Times : 

Un gouffre sépare aujourd’hui l’Église catholique d’une part grandissante de ses fidèles 

Et pour l’auteur, rien ne sera réglé tant que l’Eglise ne s’attaquera pas à la racine du mal. 

L’Église catholique est obsédée par l’activité sexuelle, qu’il s’agisse de la réglementer, de la limiter ou de la dénoncer. Or, en empêchant les prêtres d’avoir des relations sexuelles normales, l’Église laisse la porte ouverte à des relations anormales , écrit-il.

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