Le Brexit approche et divise comme jamais l'opinion britannique, tandis que les contradictions continuent. Quel avenir pour les relations entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne? Les sociétés européennes sont en crise. Aux antipodes, la Nouvelle Zélande vient d'être frappée par le terrorisme.
- Charles Grant Directeur du Centre for European Reform
- Robert Frank Historien, professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.
- Florence Faucher Professeure de science politique au Centre d’études européennes de Sciences Po, associate fellow de Nuffield College à Oxford
- Vivien Pertusot Chercheur associé à l’Ifri.
- Adrien Rodd Maître de conférences en civilisations britannique et du Commonwealth à l'Université de Versailles-Saint Quentin
Notre (Grande) Bretagne — dépend de la masse du monde, sans faire corps avec elle (Shakespeare, Cymbeline, 1611 cité par Robert Frank à propos de la "sublime ambivalence qui va caractériser pour les siècles à venir", le Royaume Uni)
Autour de Christine Ockrent
Robert Frank, professeur émérite à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’histoire européenne et des relations internationales. Il a publié en octobre 2018 Etre ou ne pas être européen ? : les Britanniques et l'Europe du XVIIe siècle au Brexit chez Belin.
"Comment sortir de l'UE ou comment sortir du Brexit ? On a l'impression que le compromis est impossible... entre ceux qui veulent un hard Brexit et ceux qui ne le veulent pas. Ou bien c'est le no deal ou un second referendum ou des élections générales. Si les Conservateurs sont réélus, cela ne bougera pas (...) Les contradictions continuent. Tout est imprévisible. Le va et vient va continuer. C'est une histoire de plusieurs années. Si le Brexit se fait (...), le retour peut être envisagé, aussi. C'est le scénario Cymbeline de la pièce de Shakespeare en 1611, le roi breton veut sortir de l'Empire romain et finalement, il change d'avis : l'empire romain, c'est bien et il veut payer l’impôt... Seul le peuple peut défaire ce qu'il a décidé, il peut faire comme Cymbeline. Le peuple a le droit de changer d'avis."
Il y a une certaine humiliation infligée par l'Union européenne aux brexiteurs. S’il y a report : « vous allez organiser des élections européennes ». C’est du Kafka ! On est dans le surréalisme le plus complet, on est en train de faire le Brexit et les Britanniques seraient donc obligés de faire les élections européennes.
Les Britanniques par rapport à l’Europe ce sont des Européens, authentiques, mais qui à la différence des continentaux non seulement se sentent nationaux mais ils se sentent à part. D’où ce va-et-vient depuis trois siècles, entre Britanniques et Europe. Des va-et-vient maîtrisés, contrôlés, dans le cadre d’un pragmatisme très britannique. Là ce va-et-vient est devenu convulsion.
Même si la semaine prochaine la chambre des communes accepte le compromis, rien n’est fait car tout est à négocier.
Florence Faucher, Professeure à Sciences Po au Centre d’études européennes. Elle est Associate Fellow de Nuffield College à Oxford et membre associé du Département de science politique et relations internationales à Oxford. Elle a co-écrit, Les rituels de vote en France et au Royaume-Uni, dans la Revue française de science politique aux Presse de Science Po en 2015.
C’est un paradoxe intéressant : aux dernières élections de 2017, les deux grands partis, donc les travaillistes et les conservateurs, ont obtenu un de leurs meilleurs score : 80% des suffrages exprimés, ce qui ne s’était pas passé depuis 40 ans quasiment, puisque l'on avait assisté à un déclin progressif de leurs parts en voix, et la progression de partis nationalistes, des Verts, surtout des sociaux-démocrates et des libéraux-démocrates. Donc un mode de scrutin qui leur a permis en 2017 d’avoir 90% des sièges. C’est ce qui contribue à faire la force de ce système bipartisan : créer deux partis qui sont extrêmement divers en interne, mais qui en même temps sont tenus ensemble par la nécessité d’arriver premiers aux élections. La possibilité de division et d’éclatement du système politique britannique reste largement gênée par ce mode de scrutin.
Ce qui rend les électeurs britanniques particulièrement frustrés, c’est que depuis les deux ans où le Brexit est discuté aux communes, un certains nombres de promesses qui étaient incluses dans le Brexit, sont abandonnées : ces promesses qui concernaient des investissements sociaux, notamment dans la santé - toutes les questions sociales, toutes les réformes sont en plan.
Le Brexit occupe le temps, l’énergie et les finances du Royaume Uni. Des investissements considérables doivent être faits pour se préparer au no Brexit. (…) L’investissement en terme administratif et la crise administrative que le Brexit entraîne est absolument considérable. Cette préoccupation du gouvernement pour cette question de Brexit veut dire que les réformes sociales et les fonds qui sont à disposition pour redresser les services de santé, qui est un service national, sont absents.
Vivien Pertusot, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (IFRI), spécialiste de l'Union Européenne et des relations entre le Royaume-Uni et l'Union Européenne. Il a contribué au rapport annuel mondial sur le système économique et les stratégies (RAMSES) de 2017 " Un monde de ruptures" publié chez Dunod
Ce qui a très bien fonctionné, c’est la capacité des Européens à s’unir derrière un mandat clair, ce qui est presque une première. Dans des négociations compliquées, extrêmement publiques où on aurait pu voir des signes de désunion à différents moments, ça n’est jamais arrivé (…) Ils ont commencé à réfléchir à leur avenir à 27. Sans que forcément ce soit très concret, mais en se disant « de toutes façons les Britanniques sont sortis, sur certains dossiers ça peut nous retirer une épine du pied, on peut penser à la défense européenne notamment, et donc, on continue comme ça. » Mais que se passe-t-il si jamais les Britanniques restent encore 20 mois de plus, voire plus, voire ne quittent jamais l’Union européenne ? Finalement on se retrouve dans une situation où les Britanniques qui étaient une épine dans le pied sur beaucoup de dossiers vont rester dans l’Union européenne et vont rapporter tous les problèmes qu’ils apportaient quand ils en étaient membres pleins.
Il faut penser à l’'impact psychologique qu’il pourrait y avoir si les Britanniques restaient dans l'Union européenne. Ce n’est pas totalement impossible. Il n’y a peut-être que 10% de chance mais c’est tellement rocambolesque, cette saga du Brexit, qu’on ne sait jamais...
Charles Grant, directeur du Center for European Reform de Londres
Adrien Rodd, maître de conférences en civilisations britannique et du Commonwealth à Sciences Po Saint Germain et à l'université de Versailles-Saint-Quentin
Pendant très longtemps, jusqu’à ce que le Royaume-Uni entre dans la CEE en 1973, l’Australie et la Nouvelle-Zélande étaient les pays du Commonwealth qui étaient les plus proches du Royaume-Uni, qui s’alignaient toujours sur lui en matière de politique étrangère, qui demeuraient dépendants commercialement de leur relations avec le Royaume-Uni, et ce vraiment par choix. Pour les Australiens et les Néo-Zélandais, l’entrée des Britanniques dans la CEE a été vraiment un choc. Ils ont dû s’adapter très rapidement. Et c’est notamment pur cela qu’ils ont commencé à s’ouvrir vers l’Asie, à développer leurs relations commerciales et diplomatiques avec l’Asie.
Aujourd’hui ils tiennent à leurs relations avec l’Union Européenne, ils se précipitent quand même un petit moins pour établir des relations commerciales privilégiées avec les Britanniques.
La Nouvelle-Zélande, pays membre du Commonwealth, nation réputée calme, est sous le choc après le massacre perpétré dans deux mosquées, à Christchurch (deuxième ville du pays)
Adrien Rodd explique que "c'est un événement inconcevable" :
"c'est le premier acte terroriste en Nouvelle Zélande, l'ultra-droite ou l'extrême droite n'existent pas dans ce pays, il n'y a pas de mouvements politiques organisés, pas de structures d'extrême droite."
"30% de la population nouvelle-zélandaise sont des émigrés de première génération.
L'immigration est un sujet de débat de plus en plus. La Nouvelle-Zélande est une colonie de peuplement de migrants britanniques. Pendant plus d'un siècle, ce pays voulait attirer des migrants britanniques, autant que possible. Le pays était très fermé à toute immigration asiatique, notamment. Depuis les années 1970, le pays s'est ouvert à une migration, choisie, utile à son économie, avec des quotas. Le pays accueille bien volontiers des migrants asiatiques. La communauté musulmane est minuscule, autour de 1%. Le débat sur l'immigration s'est surtout porté sur l'immigration asiatique."
Robert Frank explique à propos des débats sur les migrants en Grande-Bretagne :
"Dans le monde britannique, on n'a pas peur du mot 'race', souvent employé pour être anti-raciste, précisément. Quand le multiculturalisme, qui contraste avec une laïcité à la française, s'institue (institutionnalise à partir de la loi de 1976), c'est pour reconnaître des groupes ethniques et pour qu’il y ait égalité des races (auparavant, à Londres, les annonces pour les appartements à louer, pouvaient indiquer 'hommes et femmes de couleur non désirés'). Ce multiculturalisme institué se voulait anti-raciste. Mais après les émeutes raciales, en 2001, les travaillistes, en ont vu les inconvénients. Les travaillistes qui l'avaient institué, puis Cameron... sont revenus sur ce multiculturalisme : on réfléchit sur la citoyenneté britannique, sur les tests de citoyenneté pour les nouveaux migrants..."
Tuerie de Christchurch en Nouvelle-Zélande : que sait-on de Brenton Tarrant, militant d’extrême droite nourri de références internationales
La chronique d'Eric Chol, Directeur de la rédaction de Courrier International
Alors que Brenton Tarrant, le suspect principal dans l'attaque des mosquées, a été inculpé pour meurtre ce samedi , on commence à en savoir plus sur le profil de cet ancien instructeur de fitness, celui d’un militant d’extrême droite nourri de références internationales.
Les autorités bulgares ont par exemple annoncé dès hier qu’elles enquêtaient sur les raisons qui ont conduit cet Australien de 28 ans à se rendre en Bulgarie en novembre dernier. Ce qui est certain, c’est que Brenton Tarrant montrait beaucoup d’intérêt pour les Ballkans, une région du monde où il s’était déjà rendu en 2016.
Sur les fusils du terroriste figurent des inscriptions à la gloire de personnages historiques des Balkans qui se sont opposés aux Ottomans… . “Il s’agit de références à de grandes batailles des peuples slaves et balkaniques contre l’Empire ottomans”, raconte le quotidien bulgare Dnevnik.
Autre élément troublant, cette musique serbe, que l’on entend sur la vidéo tournée dans la voiture du terroriste juste avant le massacre de Christchurch. Il s’agit d’une chanson à la gloire de Radovan Karadzic, le leader des Serbes de Bosnie condamné pour crimes de guerre par le tribunal de La Haye.
Et dans le manifeste publié par le tueur, on retrouve également de nombreux éléments sur la “balkanisation” des États-Unis et la question du statut du Kosovo. Autant de raisons pour lesquelles la presse locale parle de “filière balkanique” au sujet de cet attentat en Nouvelle-Zélande, rapporte la version bulgare de la radio Deutsche Welle.
Huffington Post: "Christchurch: la théorie complotiste du "grand remplacement" français, obsession du terroriste"
Cela a été déjà beaucoup commenté, mais il y a aussi de nombreuses références à la France ou aux États-Unis dans ce manifeste du terroriste
Dans ce document de 74 pages mis en ligne peu avant l’attentat, Brenton Tarrant évoque à plusieurs reprises un voyage effectué en France en 2017.
Il raconte comment il a fondu en larmes devant un cimetière militaire dans l’Est de la France, et l’homme s’interroge alors en lettres capitales, rapporte le journal The Australian : “POURQUOI PERSONNE NE FAIT QUELQUE CHOSE ?”, (…) “POURQUOI NE FAIS-JE PAS QUELQUE CHOSE ?” “C’est là que j’ai décidé de faire quelque chose (…), poursuit-il, de mener le combat contre les envahisseurs moi-même”.
Certaines de ses références à la France sont très actuelles : il évoque Emmanuel Macron, “un ex-banquier mondialiste” et “anti-blanc” ou encore le Rassemblement national, “un parti de chiffes molles sur le retour. Mais il puise aussi dans l’Histoire de France : le quotidien australien The Advertiser, mentionne par exemple le nom de Charles Martel, figure célébrée par les identitaires français pour avoir combattu les invasions arabes au VIIIe siècle.
Coté américain, on trouve un nom, qui, si l’on en croit ce manifeste, a aussi très largement inspiré Brenton Tarrant : celui d’une femme américaine, Candace Owens, dont le Washington post a publié un long portrait le 6 mars : à 29 ans, elle est, écrit le journal, « le nouveau visage du conservatisme noir », l’étoile montante de la droite nationaliste américaine mais aussi une influenceuse de choc avec plus d’un million d’abonnés sur Twitter, des vidéos vues par des millions de personnes sur YouTube. Candace Owens a créée le Blexit, raconte le Washington Post, un mouvement politique qui fait campagne auprès de la communauté noire pour que celle-ci cesse son soutien au parti démocrate, car pour Candace Owens, il n’y a pas de doute, le seul qui vaille la peine en politique, c’est Donald Trump.
En Norvège, le terroriste qui a frappé les mosquées de Nouvelle Zélande est bien sur comparé à un autre tueur de masse, Anders Breivik
Personne n’a oublié comment le 22 juillet 2011, ce norvégien de 32 ans, avait commis un double massacre faisant au total 77 morts. Arrêté le jour-même, Breivik, a été condamné à vingt et un ans de prison, et le nom de cet extrémiste apparaît à plusieurs reprises dans le manifeste de Brenton Tarrant.
Voici d’ailleurs le commentaire d’un journaliste du tabloïd norvégien Verdens Gang :
« Après avoir commis son massacre, Breivik avait espéré une série d’attaque de l’extrême droite en Europe. Mais ce sont surtout les attentats islamistes qui ont marqué le continent ces dernières années. Néanmoins, aujourd’hui, Breivik a eu sa réponse»
Même remarque de la part du quotidien Aftenposten, qui explique que la Nouvelle Zélande a désormais son propre 22 juillet (date du massacre de Breivik) et que le pays a certainement des leçons à tirer des expériences norvégiennes.
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