A l'instar des diamants, tout scintille en période de fêtes. Mais ces pierres précieuses révèlent parfois des tensions géopolitiques majeures, surtout avec l'arrivée de nouveaux acteurs économiques.
- Sandrine Poupon présidente de l’École Internationale du Marketing du Luxe de Paris
- David Gotlib joailler, vice-président de la Bourse du Diamant d’Anvers
- Thierry Vircoulon Coordinateur de l’Observatoire de l’Afrique centrale et orientale à l’IFRI
- Alix Gicquel chercheuse au CNRS, présidente de la start-up Diam Concept
Malgré sa réputation de valeur d'échange dans des conflits sanglants, le diamant est loin d'être une pierre délaissée. Il attire encore le regard, et les portefeuilles : depuis le 25 novembre 2019, la firme américaine de joaillerie, Tiffany, fondée en 1837, appartient à LVMH. Le groupe français, présidé par Bernard Arnault, en a fait l'acquisition à un prix qui frôle les 15 milliards d'euros. Hamdam Mostafavi, rédactrice en chef du Courrier International, revient sur cette transaction historique.
La Chronique du Courrier International
Le géant du luxe français LVMH vient de racheter le joaillier américain Tiffany pour 14, 7 milliards de dollars. Et avec lui, son plus célèbre diamant...Il s’agit d’un diamant jaune rare découvert en 1877 dans la mine de Kimberley en Afrique du Sud et acheté alors par Charles Lewis Tiffany, fondateur de la marque. Comme le rappelle le New York Times, c’était l’un des plus gros diamants bruts de ce type jamais trouvé avec 287,42 carats. La pierre fut retaillée par un jeune homme de 23 ans, George Frederick Kunz, qui deviendra un célèbre minéralogiste. Elle fut transformée en un diamant de forme coussin à 82 facettes, soit 24 de plus qu’un diamant standard, à une époque où les diamants aussi larges et brillants sont rares. Pour le New York Times, la marque Tiffany est l’incarnation du luxe à l’américaine, et ce diamant, baptisé le Tiffany, en est le symbole le plus éclatant. Il a été rendu célèbre par Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé, le film de Blake Edwards sorti en 1961, et fait toujours partie de la culture populaire, puisque la chanteuse Lady Gaga le portait cette année aux Oscars. Le Tiffany quitte parfois le célèbre magasin de la cinquième avenue pour être exposé dans le monde, comme très récemment à Shanghaï.
D’autres diamants célèbres ont eu une histoire plus mouvementée. Le New York Times, nous parle par exemple du Princie, un “petit diamant sublime” de la taille d’une très grosse olive, de 34,65 carats et d’une couleur rose éclatante. Il a été vendu en 2013 pour 40 millions de dollars chez Christie’s, à un membre de la famille royale qatarie. Mais fallait-il le vendre ? demande le quotidien américain. Car il fait l’objet d’une querelle de propriétaires. Les descendants d’un sénateur italien, qui avait acquis le diamant dans les années 60 chez Van Cleef & Arpels, affirment que le Princie leur appartient, et que leur demi-frère l’a conservé à tort après la mort de sa mère. Mais le frère affirme qu’il en avait le titre de propriété. Pour la célèbre maison de vente aux enchères, les membres de la famille n’ont pas de preuve que le diamant leur appartient et par ailleurs son client, qui l’a acheté au demi-frère, avait tout à fait le droit de le vendre. Le Princie est né dans les mines indiennes de Golkonda, et on en retrouve la première trace dans la collection du Nizam d’Hyderabad, un monarque indien, dans les années 1700. Pour le New York Times, toute cette affaire mêle royauté et riches héritiers aux nuances de la loi italienne, tout en soulevant des questions sur la responsabilité de la maison Christie’s.
On découvre encore de nos jours des diamants exceptionnels.Comme par exemple, le second plus gros diamant brut du monde jamais trouvé, le Lesedi La Rona, découvert en 2015, au Botswana. De 1111 carats à l’état brut, son nom signifie “la lumière”. Il est acquis par le joaillier britannique Graff pour 57 millions de dollars en 2017. Celui-ci l’a retaillé pour en faire la plus grande émeraude carrée du monde “un bijou qui en jette”, selon le site américain Bloomberg, de 302, 37 carats. Le prix de ce bijou ? Indéterminé. Le Lesedi da Rona rebaptisé Graff Lesedi da Rona, est un diamant exceptionnel, difficile à obtenir, puisque les gemmologues de Graff n’avaient tout simplement pas un équipement de taille adaptée. Il a fallu construire un scanner spécial pour analyser la pierre et trouver comment la couper, un processus qui a pris 18 mois. C’est pour le joaillier Laurence Graff, “la forme ultime de l’art de la sculpture, la plus risquée, car on ne peut jamais corriger une erreur. Il faut être prudent, et il faut être parfait.”
La fin d'un monopole
On estime à 350 tonnes la quantité totale de diamants extraits dans le monde. Pour rappel, 1 carat représente 0,20 grammes, en sachant qu'il faut mobiliser trois tonnes de minerai pour récupérer le fameux carat. Depuis le XVIIème siècle, Anvers a été la plaque tournante du commerce de diamants. De Beers, le diamantaire sud-africain fondé par les deux frères Boers, Diederik Arnoldus et Johannes Nicholas de Beer, continue à être un des acteurs incontournables de la joaillerie, bien que l'entreprise ait perdu son statut de monopole à partir des années 2000.
Un début de XXIème siècle qui a entaché l'image des diamants, dont certains furent à l'origine de guerres civiles, notamment au Sierra Leone et au Libéria. C'est ce qu'on appelle les "Blood Diamonds" c'est-à-dire des diamants qui sont extraits dans des mines situées en zone de guerre, et "utilisés par les mouvements rebelles pour financer leurs activités militaires, en particulier des tentatives visant à ébranler ou renverser des gouvernements légitimes", selon la définition retenue par l'Assemblée des Nations Unies. Un business qui s'étend à d'autres pays d'Afrique, même si le Processus de Kimberly a tenté de réglementer cette pratique. Initié en mai 2000, ce protocole de certification internationale est lancé en 2003 et vise à confirmer que le diamant extrait n'est pas un "diamant de conflit".
Mais les diamants ne sont pas tous "extraits". Certains sont aussi "élevés", créés dans des laboratoires : c'est justement ce que réalise Alix Gicquel, chercheuse au CNRS. La présidente de la start-up Diam Concept conçoit des diamants dits de synthèse, et appartient donc à ces nouveaux acteurs dans le vaste marché concurrentiel de la pierre précieuse.
Avec Thierry Vircoulon, coordonnateur de l'Observatoire de l'Afrique australe et centrale à l' Institut Français des Relations Internationales, Alix Gicquel, chercheuse au CNRS, présidente de la start-up Diam Concept, David Gotlib, joailler, vice-président de la Bourse du Diamant d’Anvers et Sandrine Poupon, présidente de l’ École Internationale du Marketing du Luxe de Paris.
L'équipe
- Production
- Réalisation
- Collaboration