Cette semaine, le biopic événement "Elvis", signé Baz Luhrmann, sort au cinéma. Ce blockbuster raconte non seulement la liaison toxique entre le colonel Parker et l'icone du rock mais il dresse également le portrait d'un artiste blanc qui s'approprie la musique noire américaine.
- Sophie Rosemont Journaliste Culture à Rolling Stone, Les Inrocks, Vanity Fair, Vogue
- Jean-Michel Frodon Historien et critique de cinéma
- Patrice Blanc-Francard Présentateur, auteur, producteur
Tewfik Hakem s'entretient avec Patrice Blanc-Francard, journaliste musical et producteur, pour la sortie de son livre Rock my soul (ed. Calmann-Levy), Sophie Rosemont, journaliste musicale, auteure de Girls Rock (ed. NiL) et Black Power. L’avènement de la pop culture noire américaine (ed. GM) et Jean-Michel Frodon, historien et critique cinéma de Slate.
Durant près de deux heures et quarante minutes, le biopic de Baz Luhrmann est une production rutilante et stupéfiante qui raconte la vie d'Elvis Presley vue par le colonel Parker, mentor, manager et bourreau de l'icone rock disparue en 1977.
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L'histoire du rock et celle d'Elvis sont indissociables du contexte historique et racial de l'après-guerre dans le sud des Etats-Unis, une région qui a fondé sa richesse sur l'exploitation des Noirs dans les champs de coton. Dans les années 1950, si les populations blanches et noires ne se mélangeaient pas dans les rues, elles se trouvaient des affinités grâces aux programmes musicaux des radios locales. Le réalisateur Baz Lurhmann montre l'influence considérable qu'a eu la musique noire sur le King, avec des apparitions de Sister Rosetta Tharpe, BB King, Little Richard ou encore Big Mama Thorton.
En effet, comme l'explique Patrice Blanc-Francard, "Elvis est né dans une famille blanche vivant dans un quartier noir. Il a été élevé comme les Blancs déclassés, toute la culture noire environnante a complètement transpiré à l'intérieur de lui. Il n'a pas cherché à s'immiscer là-dedans, c'était sa vie quotidienne. Et ce n'est pas un génie, il n'a pas réfléchi énormément au cours de sa vie, il avait le colonel Parker pour lui dire ce qu'il fallait faire et ce n'était pas à lui de prendre une position philosophique. A l'époque, on n'attendait pas des artistes, comme c'est le cas aujourd'hui, qu'ils aient une conception philosophique pour dire comment le monde doit fonctionner et évoluer."
Sophie Rosemont considère qu'Elvis Presley "s'est intéressé à la musique noire, qu'il a découverte un peu par hasard, parce qu'il était un des rares Blancs à vivre dans un quartier noir. On le voit dans le film et contrairement à ce que beaucoup de rockeurs des années 1960 et 1970 ont pensé, il y avait une vie avant Elvis et celle qui a inventé le rock and roll, c'est Sister Rosetta Tharpe, qu'on aperçoit dans le film, incarnée génialement par Yola. Elle ne chantait pas que du gospel et jouait de la guitare et c'était une sacrée rockeuse, c'est la première à avoir branché la guitare, elle a inspiré Chuck Berry qui a lui-même inspiré les Stones etc. La pop culture et la musique américaines n'ont que des racines noires, tout remonte aux champs des esclaves, au negro spiritual, au gospel et au blues."
Pour Jean-Michel Frodon, le blockbuster de Baz Luhrmann "contient et produit des effets de questionnements et de réflexions sur ce qu'a été Elvis Presley qui ne reposent pas sur un bonheur de spectateur. Il y a deux grandes simplifications pour les besoins du show biz : le rapport à la musique noire et la répartition du bien et du mal entre le colonel Parker et Elvis Presley. Le film est très gentil vis-à-vis de Priscilla Presley. Pour faire un film pareil, il faut avoir l'accord des ayants-droits (...) et cela structure le récit. Il ne m'a pas beaucoup aidé à mieux comprendre le monde qu'il évoque mais c'est un spectacle qui a de l'efficacité et de la puissance, on ne peut pas le nier."
Dans une lettre publiée par la revue La règle du jeu, Michel Houellebecq répond à Bruno de Stabenrath qui revient sur un des derniers concerts d'Elvis Presley dans une petite ville du Dakota du Sud en le qualifiant de " Big Mac baroque, en pachyderme boursouflé, larmoyant de sueur, suintant les larmes, l’eau de toilette Fabergé et le beurre de cacahuètes. » Michel Houellebecq affirme qu'il y a "quelque chose qui fait qu’on s’en fout de la graisse, du lamé doré, du beurre de cacahuètes, de l’ambiance Las Vegas du truc — d’ailleurs c’est enregistré à Rapid City. Il y a deux choses même, une petite et une grande" :
" La petite, c’est qu’Elvis est sympa. Il a besoin d’aide c’est certain, il faut lui tenir son micro, il du mal à marcher. Mais avec les gens qui l’aident il est reconnaissant, un peu gêné d’être l’objet d’une telle attention, son sourire est sincère. Ce n’est pas obligatoire, pour la plus grande star du monde, d’être sympa ; mais il l’était.La plus grande (mais est-ce la plus grande ? il m’arrive d’en douter), c’est la question de la beauté. Jamais Elvis n’a aussi bien chanté, jamais sa voix n’a été aussi profonde, aussi bouleversante que dans les quelques mois, les quelques semaines qui ont précédé sa fin. Il respire avec difficulté, il a de la peine à parler ; mais dès que sa voix s’élève il se passe quelque chose, qui n’est plus tout à fait de ce monde ; il s’envole sur les ailes du chant, et nous nous envolons avec lui. Chaque fois que je me suis senti au fond du trou, et que j’ai eu l’idée de mettre cette vidéo, quelque chose est revenu en moi, de l’ordre de la croyance (en la beauté, en l’espérance, en un peu tout), et j’ai pu commencer à me hisser hors du trou (...)."
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Extraits diffusés
- Grande Traversée Elvis Presley, par Michel Pomarède, diffusé en août 2013 et disponible sur le site de France Culture.
- Bagarres au King Creole, film réalisé par Michael Curtiz en 1958.
Programmation musicale
- Elvis Presley "That's all right", 1954
- Elvis Presley, "Baby Let's Play House", 1955
- Elvis Presley, "Unchained Melody", 1977
- Aretha Franklin, "Chains of Fools, 1968
- Elvis Presley, "Caught in a trap", 1969
Bibliographie
- Patrice Blanc-Francard, Rock my soul (ed. Calmann-Levy)
-Sophie Rosemont, Girls Rock (ed. NiL)
-Sophie Rosemont, Black Power. L’avènement de la pop culture noire américaine, (ed. GM)
L'équipe
- Production
- Réalisation
- Collaboration