

Chaque nuit, nous tombons dans les bras de Morphée et nous rejoignons le monde des rêves. En tant qu'ils sont porteurs de significations, les rêves sont des objets d'étude tant pour les psychanalystes que pour les sociologues. Que nous apprennent leurs interprétations ?
- Bernard Lahire Professeur de sociologie à l’École normale supérieure de Lyon, détaché au CNRS
- Mathilde Girard Philosophe, psychanalyste et écrivaine
“J’ai commencé mon activité professionnelle en tant que neurologue pour soulager mes patients névrotiques. J’ai fait d’importantes découvertes sur l’inconscient dans la vie psychique. Sur cette base s’est développée une nouvelle science : la psychanalyse. Mon nom : Sigmund Freud." C'est avec la voix de Freud que commence ce troisième épisode de la série consacrée à la valeur de nos interprétations puisqu'Aïda N'Diaye et ses invités se demandent : quel sens donner à nos rêves ?
Bernard Lahire, un sociologue qui s'intéresse aux rêves :
Le sociologue Bernard Lahire est l'auteur de deux tomes d'un même travail : L'interprétation sociologique des rêves (La Découverte ; 2018 et 2021). Il peut a priori être surprenant qu'un sociologue se soit intéressé aux rêves. En effet, le travail sur les rêves est plutôt associé à celui du psychanalyste. Bernard Lahire précise sa démarche : "J'ai voulu prolonger la réflexion de Pierre Bourdieu concernant l'inconscient socialement structuré par la prise en charge de la question des rêves. Je suis parti de Freud, car je pense qu'il faut allier les forces, comme le disait souvent Bourdieu, des psychanalystes, des sociologues, des historiens, des anthropologues, et même des psychologues cognitivistes. J'ai essayé de travailler sur la question des rêves avec l'idée qu'on avait un peu négligé la question sociale. Un rêveur paraît isolé, il dort, et il produit des images involontairement. Tout cela ne ressemble pas a priori à un objet sociologique. Pourtant, je pense que le rêve est très structuré socialement."
Il semble difficile de faire des rêves un terrain sociologique. Évanescents, les rêves sont difficiles à saisir. Au réveil, le récit de rêve n'est pas systématique : il peut ne jamais arriver. Bernard Lahire souligne que "beaucoup de gens ne se rappellent pas de leurs rêves le matin, alors qu'on sait neuro-biologiquement qu'on rêve tous et toutes les nuits. Rêver est une activité du cerveau qui est tout à fait reconnaissable dans une IRM. Mais les gens ne se rappellent pas toujours d'avoir rêvé, ce qui constitue une première difficulté. Ensuite, il est possible qu'ils racontent des choses qui, bien souvent, paraissent incongrues, absurdes, sautent du coq à l'âne... Le rêve ne semble pas être un objet très saisissable. C'est notamment ce qui a fait dire à beaucoup de savants dans l'histoire qu'on avait tort de prêter attention aux rêves. Le rêve était considéré comme une production d'images incohérentes liée à des dysfonctionnements du cerveau incontrôlables durant la nuit. Ce n'est pas exactement cela, et Freud a été le premier grand savant à souligner l'importance des significations qui traversent en permanence le rêve."
La question sociale n'était pas l'objet de la psychanalyse :
Mathilde Girard, philosophe et psychanalyste, rend compte de l'absence de la question sociale dans le travail psychanalytique par le fait "qu'initialement, ce n'était pas son objet. Ce n'était pas l'objet de Freud, même si lorsque la guerre a éclaté, il a rapidement remarqué qu'elle imprimait des choses différentes dans la vie psychique. Il s'est intéressé aux rêves traumatiques, à la compulsion de répétition. Mais ce n'était pas, je pense, de l'ordre de la sociologie pour lui. Aujourd'hui, les choses évoluent : il est difficile de ne pas reconnaître que les épisodes marquants de l'histoire du XXème siècle, à l'instar des mouvements sociaux et des guerres, marquent la vie psychique, l'inconscient et les rêves. Néanmoins, ce qu'on en fait de cette dimension sociale en tant qu'analyste, c'est une autre question."
Ce qui intéresse la psychanalyse dans les rêves, Mathilde Girard le rappelle, "c'est d'abord comment cela arrive dans la relation transférentielle, comment un patient rêve, raconte son rêve et pourquoi il le raconte. Tenir compte de cette dimension, à savoir comment le rêve arrive dans une séance, renvoie au fait que le rêve est une formation du désir qui a à voir avec des questions sexuelles, pulsionnelles, amoureuses pour parler plus largement, c'est-à-dire des choses qui ont à voir aussi avec le corps et la satisfaction des besoins. Dans la psychanalyse, on s'intéresse d'abord à la dimension dynamique du rêve avant de s'intéresser à son contenu."
L'émission est à écouter dans son entièreté en cliquant sur le haut de la page.
Bibliographie
- Mathilde Girard, VIRUS, avec Antoine d'Agata, éditions Vortex, 2020
- Mathilde Girard, La séparation du monde, éditions Excès, 2022
- Mathilde Girard, Les indications pour le corps, éditions Isabelle Sauvage, à paraître en 2023
- Bernard Lahire, Pour la sociologie : et pour en finir avec une prétendue "culture de l'excuse", La Découverte, 2016
- Bernard Lahire, L'interprétation sociologique des rêves, La Découverte, 2018
- Bernard Lahire, La Part rêvée. L’interprétation sociologique des rêves. 2, La Découverte, Laboratoire des sciences sociales, 2021
Références sonores
- Archive de Sigmund Freud, BBC, le 7 décembre 1938
- Archive de Pierre Bourdieu, Apostrophes, le 21 décembre 1979
- Extrait de "L'Ombilic des rêves", La Grande Traversée "Moi, Sigmund Freud", France Culture, le 1er août 2018
- Extrait du documentaire Rêver sous le capitalisme, réalisé par Sophie Bruneau, 2017
- Extrait de l'essai documentaire Les Episodes - Printemps 2018, réalisé par Mathilde Girard, 2021
- Chanson de Jean-Jacques Goldman, Au bout de mes rêves, 1983
Le Pourquoi du comment : philosophie
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